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Avant le siège de Veies, les Romains n'eurent pas d'armée permanente, aussi n'est-ce qu'après cette époque qu'il faut rapporter l'établissement de leur système de tactique. Il fut invariable jusqu'à Marius, et, quoique modifié dans les temps postérieurs, il servit toujours de base au système de guerre. J'ai exposé plus haut les motifs qui durent leur faire adopter dans l'origine un ordre plus mobile que profond et sans entrer dans le détail de leurs différentes dispositions, je me contente de renvoyer le lecteur à l'histoire des campagnes d'Annibal. Par la disposition ordinaire des manipules (per spatüs), après l'enchassement des Princes dans les Hastaires; le terme moyen de la profondeur de l'ordre de bataille était 12 172; mais la profondeur réelle était de 15, puisque les Triaires qui étaient sur cinq rangs, au lieu de dédoubler pour se placer tout le long et en arrière du dixième rang, se serraient seulement à l'endroit menacé. Nous n'avons qu'un seul exemple dans l'histoire qui nous présente un ordre de plus de 15 de profondeur. C'est celui de la bataille de Tunis, où Régulus plaça ses manipules l'un derrière l'autre et donna par-là 25 hommes de profondeur à son armée.

Tant que les armées peu nombreuses des Romains n'eurent à faire qu'aux armées faibles des peuples de l'Italie, dont la tactique était à-peu-près la même, la disposition par manipules resta sans modifications. Mais lorsque leurs guerres se firent contre des peuples plus puissans, et qui présentaient de grandes masses sur le champ de bataille, il leur fallut nécessairement y opposer des corps plus en état de donner et de recevoir un choc. Alors, sans se départir d'une ordonnance qui leur donnait la mobilité si nécessaire à leur caractère, ils se contentèrent de réunir en un seul corps, un élément ou manipule de chaque arme d'infanterie. Ce corps, qui prit le nom de Cohorte, devint la seconde division de la légion. Cependant l'ordre par cohortes ne fût pas l'ordre de bataille exclusif; ils se servirent aussi et assez souvent de celui par manipules. Il est même à remarquer que lorsqu'ils se mesurèrent avec les Grecs, ils crurent devoir à une ordonnance où tout était sacrifié à la solidité, en opposer

une qui avait la mobilité pour base. Ce furent les manipules qui atiaquèrent les phalanges et les battirent toujours. Ce ne fut qu'après Marius que l'ordonnance par cohortes devint exclusive; les manipules qu'on reconnaissait toujours dans les cohortes ne combattirent plus séparément.

Jusqu'à cette époque et même à peu près jusqu'aux temps de César, les machines de guerre, comme les balistes et les catapultes ne furent en usage que pour les siéges. Mais alors on s'en servit aussi dans les armées, et on connut des machines de siège et des machines légionnaires, comme nous avons de l'artillerie de siège et de campagne. De petites catapultes, des balistes montées sur des chariots légers, d'autres maniées par des hommes et connues sous les noms de scorpions et de manubalistes ou arcobalistes (arbalêtes) suivaient les armées et étaient mises en batterie, dans les endroits désignés par le général. Le premier exemple des batteries de machines à la suite des armées, qu'on trouve dans l'histoire, est tiré des commentaires de César (L. VIII.) Il est bien dommage qu'elle ne nous ait pas conservé les noms des deux soldats, qui à la bataille de Crémone, gagnée par les troupes de Vespasien sur celles de Vitellius, donnèrent le premier exemple d'une batterie de campagne prise sur l'ennemi.

Cette nouvelle révolution dans le système de guerre amena nécessairement une diminution dans la profondeur de l'ordre de bataille. Nous en trouvons des exemples nombreux dans les différentes guerres qui suivirent et sans en choisir de beaucoup postérieurs, je me contenterai de citer Titus, qui, dans la guerre contre les Juifs, réduisit ses cohortes à six rangs. Arrien, qui écrivait sous Adrien, dans le fragment qui nous reste de son expédition contre les Alanes, tout en voulant adopter une disposition plus capable de résister au premier choc de ces peuples, ne donna que huit rangs à son infanterie. M. de Folard qui a cherché à augmenter, d'une manière un peu hyperbolique, l'effet des machines de jet, pour prouver que ses colonnes ne doivent pas plus craindre le canon que la phalange ne craignait les balistes, aurait bien plutôt dû rechercher pourquoi, aussitôt

que les balistes parurent dans les armées, la profondeur des cohortes diminua. La tactique Romaine n'éprouva plus de changement jusqu'à Constantin; mais après cette époque son histoire est celle de sa décadence. Si quelques généraux d'un mérite supérieur donnèrent un éclat momentané aux armes romaines, elles n'en retombèrent que plus profondément dans la dégradation.

L'invasion des peuples demi-sauvages qui ravagèrent et renversèrent l'Empire Romain, amena l'anéantissement de tout système de tactique. La bataille des Champs Catalauniens, célèbre par la défaite d'Attila, est la dernière où l'on entende parler des légions Romaines.

INFLUENCE DE L'INVENTION DE LA POUDRE SUR LES PRINCIPES DE LA GUERRE ET LA TACTIQUE.

A l'époque de l'invention de la poudre, il n'y avait pas encore un système de tactique uniforme et réglé. L'infanterie, malgré la réputation que s'étaient acquise les archers anglais, était méprisée et ne prenait qu'une faible part aux batailles, dont la conduite et l'événement étaient entièrement remis à la cavaleric. Ce dernier corps était celui qui, en Europe constituait à proprement parler la nation. Mais sa manière de combattre, si elle n'excluait pas tout-à-fait la Tactique, la restreignait au moins beaucoup, et réduisait presque toutes les manœuvres à des mouvemens individuels. Ce n'est que dans le quinzième siècle que l'infanterie commença à se faire connaître. Les bandes suisses, espagnoles, italiennes et gasconnes, les lansquenets (landesknechte) de l'Allemagne se rendirent redoutables dans les armées et précédèrent l'infanterie française, qui, elle-même prit naissance au seizième siècle, des bandes noires du Piémont c'est de ces bandes que sortirent les six grands vieux corps. A la même époque la gendarmerie noble céda une part de service de la cavalerie, qu'elle avait jusqu'alors exclusivement

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remplie, aux cavaliers soldés, qui parurent alors aux armées. Les plus estimés dans ce temps étaient, parmi la cavalerie pesante, les Allemands, qu'on appelait par excellence les Reitres. (Reuters.) A la tête de la cavalerie légère étaient les Albanais ou Stratiotes Erpatiota. Mais la composition des armées, formées en partie de compagnies d'ordonnance, dont le service était presque volontaire et en partie des bandes soldées, levées, exercées et vendues par des partisans ou condottieri, et licenciées à la paix, ne permettait pas encore à un système régulier de tactique de s'établir. L'usage des armes à feu était encore restreint à la moindre partie des troupes. Celles de main, réduites aux mousquets, aux arquebuses et, à d'informes pistolets étaient pesantes, d'une construction grossière, et les pierres à feu n'y étant pas encore adaptées, leur service était lent, incertain et sujet à beaucoup d'inconvéniens. Celles de longueur n'étaient pas moins informes. D'énormes canons portés par des affûts massifs et d'une mauvaise construction, se traînaient avec difficulté pour les sièges. Quelques-unes de ces pièces d'un calibre un peu moindre, cependant toujours beaucoup trop longues et trop pesantes, servaient dans les armées; mais la difficulté de les transporter en rendait l'usage peu fréquent et le service incertain.

Dans le seizième siècle, François Ier. ayant réuni sous ses drapeaux les bandes noires de l'Italie, et appelé à son service le fameux Pierre Navarro, songea le premier à donner une constitution fixe à son armée permanente. Sa première idée le portà, au moins quant au nom, vers la tactique des Romains. Les corps français qu'il forma furent appelés Légion; mais l'usage des armes à feu, qui devenait de jour en jour plus commun, ne pouvait pas s'accommoder avec ce système de formation, et cette institu→ tion n'eut pas de suite. Dans le dix-septième siècle, les guerres continuelles qui déchirèrent l'Europe, servirent à établir enfin un système organique de troupes et une tactique régulière d'évolutions. L'usage de la pique fut à la vérité conservé, mais cette arme fut mêlée avec le mousquet, devenu un peu plus commode à manier, et jusqu'à la fin du dix-septième siècle les deux-tiers

de l'infanterie eurent des mousquets. A mesure que l'usage des armes à feu s'établissait, la cavalerie renonçait aussi à celui des lances et des arbalêtes, et adoptait à leurs places les pistolets et les mousquetons ou petits mousquets. Alors la profondeur de l'ordre de bataille commença à diminuer; l'infanterie combattit sur six et sur quatre rangs, et la cavalerie sur quatre et puis sur trois. Gustave-Adolphe est l'auteur du premier système d'évolutions qui eût été mis en usage avec des armes à feu. En allégeant les canons de campagne, il leur donna la mobilité qu'ils ont conservée jusqu'à présent, et qui permet d'en multiplier le nombre et d'en généraliser l'emploi. Ce fut d'après cette institution, qui lui assurait une grande supériorité sur ses adversaires, qu'il régla ses ordres de bataille. On lui vit souvent faire usage des carrés et des colonnes, qu'il couvrait toujours par le feu d'une artillerie supérieure. C'est ce qui a fait venir à M. de Folard l'idée de s'en servir partout, sans réfléchir que GustaveAdolphe n'employa les colonnes comme partie constituante de l'ordre de bataille, que parce que l'artillerie de ses ennemis n'était pas assez nombreuse ni assez perfectionnée, pour lui faire sentir le danger de placer une colonne ou un carré plein devant une batterie bien servie. D'après ce que je viens de dire on voit que ce n'est que du dix-septième siècle, que peuvent dater les ouvrages de tactique qui ont rapport à l'usage des armes à feu. Le dix-huitième siècle vit achever la révolution du système militaire. Le fusil à baïonnette ayant été adopté en France en 1703, la pique fut abolie dans toutes les troupes; l'infanterie fut rangée sur trois rangs et la cavalerie sur deux. Là commença la nouvelle tactique que les guerres successives ont perfectionnée.

Ce que j'ai exposé ci-dessus et la comparaison entre l'ordonnance des anciens et la nôtre, feront facilement saisir au lecteur les modifications qu'ont dû éprouver les évolutions et l'ordre de bataille. Le soldat ne combattant plus individuellement avec l'épée, la lance ou l'arc, n'a plus besoin d'autant d'espace entrè les files. La nécessité de faire feu par plusieurs rangs à la fois, sans augmenter la longueur du fusil et le rendre incommode, a

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