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chez les Médiomatrices, pour les conduire par le plus court chemin à l'ennemi. Il rassembla également tout ce qu'il y avait de troupes à Mayence, les réunit à celles qu'il avait amenées, et dans trois marches arriva à Rigodulum (Rigol). Valentinus s'était porté là avec un corps considérable de Treviriens, dans une position resserrée entre la Moselle et les montagnes; il avait couvert son front par des fossés et des murs de quartiers de rocher. Ces retranchemens n'arrêtèrent pas le général romain; méprisant des troupes ramassées en hâte, et jugeant que la valeur de ses soldats était plus que suffisante pour contrebalancer l'avantage de la position, il fit avancer son infanterie, et ordonna à sa cavalerie de gagner les hauteurs. Il y eut un peu de retard à la montée à cause des traits de l'ennemi, mais sitôt qu'on combattit corps à corps, il fut renversé et mis dans une entière déroute. Une partie de la cavalerie romaine, ayant tourné les hauteurs les plus abordables, fit prisonniers les principaux Belges, parmi lesquels le chef Valentinus. Nous ne pouvons pas abandonner cet illustre Gaulois sans rendre compte de sa fin malheureuse. Traîné dans les fers jusqu'à Rome, il y fut conduit devant le vice-empereur Mucien et devant Domitien encore César. On ne l'interrogea que pour la forme et pour mieux connaître son caractère : il était condamné d'avance, car jamais les Romains ne pardonnèrent à un ennemi dangereux, quelque digne d'admiration qu'il pût être d'ailleurs. Quelqu'un ayant eu la lâcheté, comme il marchait au supplice, de lui annoncer pour l'insulter, que sa patric était conquise, il se contenta de répondre froidement, que cela le consolait de sa propre mort.

Le lendemain Cerialis entra dans Trèves. Les soldats étaient avides de la destruction de cette ville et le demandaient à leur général. Cerialis craignit pour sa réputation s'il paraissait céder à la licence et à la cruauté des soldats, et ceux-ci, après la guerre civile, plus modérés envers les étrangers, obéirent. L'aspect misérable des légions rappelées de chez les Médiomatrices vint bientôt occuper les esprits et les détourner de l'idée du pillage de Trèves. Elles entrèrent tristement dans

leur camp, sans que le salut ordinaire des armées fut donné ni rendu. Les soldats accablés par la conscience de leur crime, les regards fixés sur la terre, se refusant aux exhortations et aux consolations, coururent se renfermer dans leurs tentes, comme pour se soustraire à la lumière du jour et pour échapper à la honte, qui les affectait plus que la crainte du châtitiment. Les vainqueurs mêmes, émus de pitié, n'osant élever la voix, imploraient grâce par leur larmes et leur silence. Cerialis calma les esprits en rejettant sur une destinée fatale les maux causés par la discorde des chefs et la fraude de l'ennemi: ce jour devait être considéré comme celui de leur serment et de leur entrée au service; l'empereur et lui ne se souviendraient pas du passé. En effet ils furent reçus dans le même camp, et il fut défendu à l'ordre de leur rappeler leur faute.

Bientôt après Cerialis convoqua les Treviriens et les Langrois. Nous rapporterons le discours que Tacite lui prête, non pas qu'il l'ait prononcé, mais parce qu'il peut donner une idée de la politique des Romains, et donner lieu à quelques réflexions qui ne seront pas perdues.

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« Je ne me suis jamais exercé à l'art oratoire, et j'ai servi le peuple romain par les armes; mais puisque les paroles pré» valent auprès de vous, et que vous n'estimez pas les choses » bonnes ou mauvaises, parce qu'elles le sont ainsi, mais d'a»près les discours des séditieux, j'ai jugé à propos d'entrer » dans quelques considérations que, la guerre étant terminée, » il vous sera plus utile d'entendre qu'à nous de vous exposer. » Les généraux romains ne sont point entrés sur le territoire » des Gaules par aucun esprit de cupidité, mais appelés par » vos ancêtres que fatiguaient à l'excès les discordes, et que les >> Germains, qu'ils avaient appelés, réduisaient en servitude, » ou comme alliés, ou comme ennemis. On sait assez combien » de combats nous avons livrés contre les Cimbres, et quels » ont été les travaux de nos armées. Nous n'avons pas occupé » les bords du Rhin afin de protéger l'Italie, mais afin qu'un >> autre Arioviste ne s'emparât pas du royaume des Gaules

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Croyez-vous être plus chers à Civilis, aux Bataves et aux Trans-Rhenans, que vos ancêtres ne l'étaient aux leurs ? La » même cause fera toujours passer les Germains dans les Gau» les la licence, l'avarice, et le désir de changer d'habitation, » d'abandonner leurs déserts et leurs marais pour se rendre >> maîtres de vous et de votre sol si fertile. Au reste, on vous » abuse avec le nom de la liberté, et d'autres aussi spécieux; if » n'est personne qui, désirant soumettre ses voisins à son empire, n'ait fait usage des mêmes mots.

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>> Il y eut toujours des royaumes et des guerres dans les Gau» les, jusqu'à l'instant où vous acceptâtes nos lois. Nous, quoique » souvent provoqués, nous n'avons fait usage du droit de la >> victoire que pour conserver la paix. Il n'y a point de tranquillité pour les peuples sans armées, point d'armées sans solde, point de solde sans tributs; tout le reste est commun » entre nous. Vous-mêmes vous commandez souvent nos légions; vous gouvernez ces provinces-ci et d'autres (1); rien » ne vous est interdit ni fermé Vous tirez les mêmes avan» tages des bons princes, quoique éloignés, et les mauvais » sévissent contre ceux qui sont les plus proches. Supportez » la prodigalité ou l'avarice des gouvernans, de même que » la sécheresse, les pluies excessives et les autres maux de » la nature. Il y aura des vices aussi long-temps qu'il y aura des hommes; mais ils ne sont pas continus et des intervalles plus heureux les compensent; à moins que vous n'espériez » sous le règne de Tutor et de Classicus, un gouvernement plus modéré, ou des tributs moindres que ceux que vous payez, » pour l'entretien des armées chargées de repousser les Germains et les Bretons. Car si, ce dont les dieux nous pré» servent, les Romains étaient chassés, que verrait-on d'au» tre, si ce n'est une guerre entre tous les peuples? Ce colosse » s'est organisé pendant huit cents ans de bonheur et de discipline, et on ne peut le renverser sans causer la ruine des

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(1) A l'avènement de Vitellius, le légat de la Belgique était Valerius Asiaticus, Gaulois, et le recteur des Gaules était Junius Blaesus de Lyon.

» destructeurs. Mais vous mêmes vous en souffrirez davantage, » parce que vous possédez l'or et les richesses, causes principales des » guerres. Aimez donc et servez la paix et cette cité, qui » nous appartient également vainqueurs et vaincus. Instruits par » les leçons de l'une et de l'autre fortune, ne préférez pas une » indocilité nuisible à une soumission qui assure votre tranquillité. >> Par ce discours il calma et encouragea ces peuples, qui craignaient bien pire.

»

L'armée victorieuse occupait Trèves, lorsque Civilis et Classicus écrivirent à Cerialis des lettres dont le sens était, que 'Vespasien, quoiqu'on voulût en cacher la nouvelle, était mort; que Rome et l'Italie étaient ravagées; que Domitien et Mucien n'étaient que de vains noms sans pouvoir; que si Cerialis voulait l'empire des Gaules, ils se contenteraient des limites de leur cité; que s'il voulait combattre, ils ne le refuseraient pas. Cerialis n'y fit aucune réponse et envoya le messager à Domitien. Cependant les ennemis réunissaient leur armée et la renforçaient par les détachemens qui leur arrivaient de toutes leurs provinces. Tacite dit que quelques personnes blâmaient Cerialis d'avoir permis cette réunion, lorsqu'il pouvait l'empêcher en attaquant les ennemis en détail. Ce reproche n'est que spécieux. Cerialis, en s'avançant, se trouvait au milieu d'un pays insurgé, et il valait mieux attendre que réunis en un seul corps, il pût les battre en masse, que de laisser des peuples armés et des détachemens sur ses communications. D'ailleurs il attendait les légions qui devaient compléter son armée. Cependant il prit quelques précautions de plus, et l'armée romaine, qui jusqu'alors avait campé témé– rairement et sans précautions, entoura son camp d'un fossé et d'un rempart. Les Germains étaient divisés d'opinions. Civilis soutenait qu'il fallait attendre les peuples Trans-Rhenans, dont la terreur écraserait les forces déjà brisées du peuple romain. Qu'étaient les Gaules, si ce n'est la proie du vainqueur? et même les Belges, qui en sont l'élite, étaient tous unis à eux, soit ouvertement, soit par leurs vœux. Tutor, au contraire, prétendait, qu'en temporisant on donnait le temps aux Romains de se

renforcer en réunissant les armées qui arrivaient de toutes parts. Il venait des légions de Bretagne, d'Espagne, d'Italie, non de nouvelles levées, mais de vétérans; que les Germains sur lesquels on comptait étaient indisciplinés et faciles à corrompre à prix d'or, d'où l'avantage était pour les Romains; que si on attaquait Cerialis sur le champ, on n'aurait à faire qu'au reste de l'armée de Germanie, aux légions enchaînées par leur serment envers les Gaules; que l'avantage inespéré qu'ils avaient remporté sur les troupes désorganisées de Valentinus, ne servait qu'à alimenter la témérité des Romains et de leur général; qu'ils oseraient attaquer de nouveau, et tomberaient alors dans les mains, non pas d'enfans sans expérience, plus propres aux discours et aux assemblées qu'aux armes, mais de Civilis et de Classicus, dont la seule vue rappellerait dans leur âme, l'épouvante, la fuite, la faim et le sort précaire des captifs ; que les Tréviriens et les Langrois n'étaient pas retenus par leur inclination et reprendraient les armes lorsque la crainte cesserait. Classicus mit un terme à l'indécision du conseil, en donnant son assensentiment à l'avis de Tutor, et sur-le-champ on se mit à l'exécution. L'armée confédérée se mit donc aussitôt en marche vers Trèves, et l'attaque eut lieu la nuit qui suivit son arrivée. Les Ubiens et les Langrois furent placés au centre, les cohortes bataves à l'aîle droite, les Bructères et les Tenchtères à la gauche. Les ennemis descendant en partie les montagnes, en partie entre la route (de Cologne) et la Moselle, arrivèrent tellement à l'improviste, que Cerialis était encore dans sa chambre et dans son lit (car il n'avait pas couché au camp), lorsqu'il apprit en même temps que le combat était engagé et que les siens étaient battus; il accusait les messagers. de poltronnerie, lorsqu'il vit lui-même le désastre universel. Le camp des légions était forcé, la cavalerie battue, et le pont du milieu, qui joint le faubourg à la ville, occupé par l'ennemi. Cerialis, intrépide dans le danger, ramenant les fuyards, s'élança désarmé au travers des traits, et, par une heureuse témérité, aidé par les plus braves qui accoururent à sa suite, il reprit le pont qu'il fit garder par une troupe

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