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d'élite. A peine rentré au camp, il vit les légions prises à Bonne et à Novesium, dispersées par manipules, les enseignes dégarnies, les aigles presqu'enveloppées. Enflammé de colère, il leur adressa de vifs reproches. « Ce n'est plus, s'écria-t-il, un Hordeonius ou un Vocula que vous désertez. Il n'y a point ici de trahison ni d'excuse, si ce n'est d'avoir impru» demment cru que vous aviez oublié notre alliance avec les Gaulois, et que vous vous ressouveniez de votre serment à » Rome. Rappelez- vous Hérennius, Numisius, tous vos gé» néraux péris par vos mains ou par celles de l'ennemi. Il » viendra des légions qui ne me laisseront pas sans vengeance, » ni vous sans punition.

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Ces reproches étaient justes; les tribuns et les préfets les répétaient. Ils firent former par cohortes et par manipules, car on ne pouvait pas se déployer en bataille dans le camp, au milieu de l'embarras des tentes et des bagages, et l'ennemi étant répandu partout. Civilis, Tutor, Classicus animaient chacun de son côté leurs troupes au combat et les excitaient, les Gaulois par l'amour de la liberté, les Bataves par celui de la gloire, et les Germains par l'appât du butin. Tout était en faveur des ennemis, jusqu'à ce que la 21o légion, s'étant serrée en masse, sur un terrain un peu moins embarrassé, arrêta leur choc, et peu après les repoussa. Aveuglés par leurs succès rapides, et entraînés par l'avidité du pillage, les ennemis, quittant presque tous le combat, s'étaient répandus dans les tentes, et étaient embarrassés de butin et hors d'état de faire usage de leurs armes. Le retour subit des cohortes dispersées leur fit croire à l'arrivée d'un secours de troupes fraîches, les effraya et les mit en fuite. C'est ainsi que Cérialis rétablit par sa constance et son courage ce qu'il avait perdu par sa négligence, et poussant ses avantages il prit et détruisit le même jour le camp ennemi.

Il n'accorda pas un long repos aux soldats. Les Agrippiniens imploraient le secours des Romains, et offraient de livrer la femme et la sœur de Civilis, laissées chez eux, en gage de l'alliance. Ils avaient même égorgé les Germains, dispersés dans

leurs maisons, et la crainte que l'ennemi, ayant rétabli ses pertes et ranimé ses espérances, ne songeât à la vengeance, rendait urgente la nécessité des secours. Car Civilis s'était dirigé de ce côté, et il n'était pas sans forces, ayant encore à Tolbiacum (Zulpich), sur les frontières des Ubiens, la plus vaillante cohorte, composée de Chauques et de Frisons. Mais un message funeste l'en détourna, la cohorte avait été détruite par la trahison des Agrippiniens, qui ayant énivré les Germains, dans un grand repas, fermèrent les portes, et mirent le feu aux maisons, où ils furent consumés. En même temps, Cerialis s'approchait à marches forcées. Civilis avait encore une autre crainte, c'est que la quatorzième légion, jointe à la flotte Britannique, ne ravageât le pays des Bataves, sur le rivage de l'Océan. Mais le légat Fabius Priscus conduisit la légion par terre, chez les Nerviens et les Tongriens, qu'il soumit; et la flotte, attaquée par les Caninefates, eut la plupart de ses vaisseaux pris ou coulés. Les mêmes Caninefates battirent également une levée en masse des Nerviens, qui s'était faite en faveur des Romains. Classicus remporta aussi un avantage, près de Novesium, sur la cavalerie d'avant-garde de Cerialis. Ces pertes modiques, mais répétées, nuisaient à la réputation de la dernière victoire.

(La suite au prochain numéro.)

HISTOIRE.

MÉMOIRE

SUR LA BATAILLE DE BOUVINES GAGNÉE PAR PHILIPPE-AUGUSTE, ROI DE FRANCE, SUR L'EMPEREUR OTION IV ET SES ALLIÉS, LE 25 JUILLET 1214.

Dès l'an 1208, la querelle qui s'était élevée entre le Roi Jean d'Angleterre, et le pape Innocent III, au sujet de la nomination de l'Archevêque de Cantorbery, avait amené une sentence d'interdiction sur ce Royaume. Il y avait trois ans que l'interdit durait, lorsque le Pape envoya au Roi d'Angleterre un légat nommé Pandolfe, pour négocier avec lui, le ramener à l'obéissance, que les Pontifes de Rome prétendaient de la part des Souverains, et s'engager à recevoir l'Archevêque nommé par l'influence papale. Le Roi se refusa à ce que le Pape exigeait de lui, et le légat Pandolfe se retira en France, d'où quelque temps après, et par ordre du Pape, il lança contre le Roi Jean, les foudres de l'église ; armc, qui ne serait que ridicule, si la politique astucieuse de Rome ne l'avait pas si souvent rendue aussi terrible qu'odieuse, en associant à ses intérêts les rivaux, ou les ennemis de ceux qu'elle frappait d'anathème. La sentence, non seulement excommuniait le Roi Jean, mais déliait ses sujets du serment de fidélité et le privait de ses États, qu'elle transférait à Philippe Auguste.

La situation du Roi Jean était assez critique. D'abord la sentence d'excommunication, en invitant et encourageant tous ses sujets au parjure envers le Souveraiu et la patrie, fournissait

un prétexte aux nombreux mécontens qu'avait fait naître sa conduite et son mauvais gouvernement. Il craignait donc avec juste raison d'être abandonné, et même attaqué ou livré par quelqu'un d'eux. D'un autre côté, il n'était pas croyable que Philippe Auguste refusât un don, qui, en ajoutant aux armes de ses guerriers la force des préjugés de la superstition, facili– tait singulièrement les projets qu'il avait formés, et dont l'exécution avait déjà commencé. Comme Roi de France, Philippe ne pouvait pas voir d'un œil tranquille le démembrement de ce beau pays, dont les provinces les plus intéressantes étaient devenues le domaine d'un prince et d'un gouvernement étranger. C'était déjà trop que les grands vassaux entravassent l'autorité royale, et l'empêchassent de s'étendre sur tout le royaume. Déjà il avait fait condamner le Roi Jean, par la Cour des Pairs, pour le meurtre de son neveu, le duc Arthur de Bretagne. La guerre qui suivit cette sentence, amena la réunion de la Normandie à la Couronne, et elle continuait, interrompue de temps à autre par quelques trèves, avec l'intention bien formelle de réunir également les autres provinces du domaine de la Maison d'Angleterre, en France.

Philippe accepta donc le don d'Innocent III, et pour s'en mettre en possession, commença, sans retard, ses préparatifs, en faisant réunir un grand nombre de vaisseaux et de troupes à l'embouchure de la Seine. Jean, de son côté, équipa également une flotte, et réunit une armée de soixante mille hommes. Il était assez fort pour repousser une invasion, s'il n'eut pas redouté ses propres sujets, dont sa poltronnerie lui grossissaient encore la mauvaise disposition à son égard. Cependant le légat, rusé italien, qui connaissait bien le caractère du Roi Jean, de la France où il était, eut l'art d'augmenter à chaque instant sa frayeur, par des avis charitables, et réussit par ses artifices à le troubler au point qu'il en reçut la promesse, de se soumettre à tout ce que le Pape exigerait. Pandolfe, revenu en Angleterre, usa ou abusa si bien de l'empire qu'il avait pris sur ce lâche Roi, que non-seulement il l'obligea à rappeler les Prélats bannis pour leur désobéissance, mais qu'il l'engagea à rendre sa couronne au

Pape, à s'en déclarer le vassal, et à lui payer une redevance annuelle à ce titre.

Après cela, le légat repassa en France, pour notifier au Roi Philippe, que le Roi Jean étant devenu l'homme lige du Pape, il n'était plus permis de l'attaquer, et que quiconque le ferait encourrait l'excommunication. Mais le Roi répondit sèchement, qu'il n'avait entrepris cette guerre qu'à la sollicitation de la Cour de Rome, et qu'il était trop avancé pour qu'il put s'arrêter ou reculer. En effet, l'armement et l'équipement de la flotte, lui avait coûté près de deux milions de ce temps-là (1). Tous les seigneurs du Royaume réunis à Soissons, le lundi de Pâques fleuri, de l'an 1213, lui avaient promis aide et assistance, de leurs personnes et de leurs biens. Le seul comte de Flandres, Ferrand ou Ferdinand de Portugal, mécontent de ce que le Roi avait exigé de lui la remise d'Aire et de Saint-Omer, pour consentir à son mariage avec l'héritière de Flandre, Jeanne, fille de Baudouin V (2), refusa de le suivre.

Le roi avait donné ordre à sa flotte de se diriger sur les côtes de Boulogne, et de là au port de Damme (3); elle était forte de 1700 voiles. L'armée de terre eut celui de se réunir à Boulogne. Philippe Auguste, s'y étant rendu lui-même, espéra que son approche déciderait Ferrand à se soumettre, et lui ordonna de venir le trouver à Gravelines. Le comte de Flandre, assuré d'être secouru par le roi d'Angleterre, se fit attendre quelques jours et ne vint point. Le roi, ne voulant pas laisser un ennemi derrière lui, se vit obligé de suspendre son expédition pour châtier son vassal. Tout céda à ses armes. Cassel, Ypres, Bruges, et toutes les villes intermédiaires se réunirent à lui, et il

(1) En 1217, le marc d'argent ne valait que 2 fr. 50 c., ce qui fait que 2 millions d'alors en feraient plus de 40 aujourd'hui.

(2) Baudouin v, comte de Flandres, avait été nommé empereur de Constantinople, après la prise de cette ville par les Croisés, en 1204. Il périt en 1205.

(3) Damme était encore un port considérable formé par un rentrant à l'embouchure occidentale de l'Escaut, et qui servait d'entrepôt à Bruges.

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