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ruisseau de Cysoing (C), le vicomte de Melun restant toujours en présence (D) et faisant tous ses efforts pour arrêter leur avant-garde. Dans le moment où Philippe-Auguste délibérait encore avec ses généraux, on vit les ennemis tourner à droite, pour trouver un passage plus commode, ou peutêtre obligés à un détour pour le passage du défilé. On crut que l'empereur Othon, n'ayant pu prévenir les Français à Bouvines, se rabattait sur Tournay; une partie des généraux, persuadés que l'ennemi ne voulait pas se battre, insistèrent pour que l'armée achevât de passer le pont. Le chevalier Guerin soutenait au contraire que l'ennemi voulait livrer bataille, et il avait raison d'y croire. Il n'était pas probable qu'Othon, que l'envie d'attaquer les Français avait dirigé de Mortagne droit sur Bouvines, eût changé de dessein lorsqu'il ne pouvait plus douter qu'il ne les eût atteints, dans les embarras même du passage de le Marque, en colonne de route, et nullement préparés au combat. Mais le Roi, entraîné par l'opinion de la plupart de ses généraux, fit continuer le mouvement sur Lille; une grande partie de l'armée passa la Marque, le Roi luimême s'était fait désarmer pour prendre quelque repos.

Cependant l'armée ennemie ayant passé le ruisseau continua à se diriger vers le nord (E), un peu à l'ouest, sur les hauteurs qui dominent Bouvines. Son mouvement confirmait de plus en plus l'opinion où l'on était qu'elle allait se diriger sur Tournay, lorsque tout-à-coup on fut détrompé. Othon ayant renforcé son avant-garde pour couvrir le déploiement de son armée, le vicomte de Melun, qui avait fait tous les efforts possibles pour contenir l'ennemi, se vit accablé par une cavalerie tellement supérieure, qu'il fut forcé de se retirer en doublant le pas; de tous côtés les coureurs vinrent annoncer au roi que l'ennemi avançait. La situation de l'armée française était assez critique; la tête de la colonne (T), composée des milices de Corbie, Amiens, Beauvais, Compiègne et Arras, presque toutes d'infanterie, était déjà assez loin; une grande partie de l'armée avait déjà passé le pont; le restant du corps de bataille et l'arrière-garde étaient entassés à Bouvines. H

n'était plus possible de songer à achever le passage, et quand même on l'aurait pu, l'armée était trop dispersée pour qu'on pût la remettre en bataille sur les hauteurs en arrière, dans le moment même où l'ennemi passerait la rivière à la suite de l'arrière-garde. Le seul parti qu'il y eut à prendre dans cette circonstance, était celui d'attaquer l'ennemi pendant son déploiement, et de tâcher de l'arrêter oude l'embarrasser assez pour avoir le temps de faire revenir les troupes et les ranger en bataille. Il fallait surtout éviter de laisser encombrer le champ de ba taille en y recevant le premier choc, et commencer par le couvrir. C'est le parti auquel Philippe-Auguste s'arrêta. Montant à cheval sur-le-champ, il donna ordre à la tête de la colonne de revenir sur ses pas, et à toutes les troupes qui avaient passé, de repasser le pont en hâte; le chevalier Guerin fut chargé de les ranger en bataille. Pendant ce temps le Roi marcha au-devant des ennemis avec son arrière-garde, toute de cavalerie, et l'élite de ses braves, Guillaume des Barres, Barthelemy de Roye, le jeune Gauthier, Pierre de Mauvoisin, Gerard Scrophe, Etienne de Longchamp, Guillaume de Mortemer, Jean de Rouvray, Guillaume de Garlande, Henry, comte de Bar, et Galon de Montigny, porteur de la bannière royale, dont il est fait mention ici pour la première fois. Le déploiement de l'ennemi commençait, et Othon prolongea son avant garde pour le couvrir. Le Roi de son côté étendit, pour le même objet, le corps à la tête duquel il s'était mis, et qui, par le fait, devint le corps de bataille. Dans la position où le combat allait se livrer, les Français faisaient face entre le nord et l'est, et tournaient le dos au soleil, car il était plus de midi: le contraire arrivait aux ennemis.

Cependant la plus grande partie de l'armée française avait repassé le pont et pris son ordre de bataille. Celui que le Roi adopta était le seul que les circonstances pussent lui permettre. Les ennemis étaient arrivés obliquement sur le champ de bataille; il en résultait que leur premier choc se dirigerait sur la droite française, et que s'ils obtenaient des succès, ils culbuteraient cette aîle sur Bouvines et couperaient le reste de l'ar

mée. D'un autre côté, leur grande supériorité numérique leur permettant d'étendre leur front, un danger pareil pouvait menacer la gauche française. Il était donc nécessaire de songer d'abord à assurer ces deux aîles, d'autant plus que la défaite du centre ne pouvait pas entraîner les mêmes conséquences. S'il était forcé de plier, il se trouvait poussé dans la direction du pont, et le couvrait pour la retraite des aîles.

Le Roi forma son aîle droite de la gendarmerie bourguignonne et champenoise et des milices de Bourgogne, de Champagne et de Soissons, la cavalerie en première ligne (G) et l'infanterie en seconde (H), et la mit sous les ordres du duc de Bourgogne et du chevalier Guerin. L'aile gauche, commandée par les comtes de Dreux et de Ponthieu, fut composée d'un corps de gendarmerie et des milices de Gamaches et de Ponthieu, rangés dans le même ordre (K, L). Le Roi se tint au corps de bataille avec l'arrière-garde de cavalerie à la tête de laquelle il s'était mis, et qu'il déploya (I) pour couvrir l'espace que devait occuper l'infanterie qu'il attendait encore, et que nous avons vu se composer des milices de Corbie, Amiens, Beauvais, Compiègne et Arras (T).

L'armée ennemie ne tarda pas à se déployer de son côté. Le comte de Flandre, avec ses troupes flamandes, se rangea à l'aile gauche, la cavalerie également en première ligne (M) et l'infanterie en seconde (N). L'aîle droite était composée des Anglais, sous les ordres des comtes de Salisbury et de Boulogne. La plus grande partie de la cavalerie était en première, ligne avec le comte de Salisbury (R). L'infanterie anglaise formait un bataillon rond (S) à rangs doublés, avec une large ouverture sur le front, pour laisser à la gendarmerie du comte de Boulogne (X) qui y était renfermée, le moyen de sortir et de rentrer. L'empereur Othon était au centre, son infanterie allemande rangée sur trois lignes sur son front (O) et la cavalerie derrière (P).

L'attaque commença par l'aîle droite française. On attribue au comte de Saint-Pol d'avoir conseillé au chevalier Guerin d'engager l'action. Quoi qu'il en soit c'était le mouvement le plus

opportun et celui que dictaient les circonstances même de la bataille. La gauche de l'ennemi, nécessairement la première arrivée, était celle qui menaçait le plus l'armée française. Il était probable qu'elle n'attaquerait pas avant que la droite ne fût arrivée sur le terrain et ne fût elle-même engagée. Mais alors une attaque soutenue de sa part pouvait être funeste aux Français en culbutant leur aîle droite sur le pont et sur les troupes qui devaient encore le passer, pour garnir le centre. Il valait donc mieux prévenir l'ennemi. Cent-cinquante chevaux légers de Soissons reçurent l'ordre d'attaquer la gendarmerie Flamande; ils étaient soutenus par la gendarmerie du comte de Saint-Pol. Les Flamands, offensés de se voir attaqués par un corps de troupes légères et non par des gendarmes, qui étaient gentilhommes comme eux, ne daignèrent pas faire un pas en avant pour les recevoir. Ils se contentèrent de leur envoyer une grêle de traits qui en tuerent deux, en blessèrent un grand nombre, et les démontèrent presque tous. Mais les chevaux-légers, quoique à pied, se battirent avec tant de fureur, que Ferrand se vit obligé de faire un effort extraordinaire pour s'en débarrasser. Tout ceci n'avait pu se passer sans causer de désordre dans la ligne Flamande. Le comte de Saint-Pol en profita, et s'élançant à la tête de ses gendarmes, enfonça les Flamands par une charge vigoureuse. Dans ce moment, Ferrand détacha deux escadrons pour prendre le comte de SaintPol en flanc. Mais Pierre de Remi, ayant été envoyé contre eux, avec un escadron de Ponthieu, les battit et les fit prisonniers. Cette circonstance amène une réflexion qui ne doit pas être sans intérêt. Nous avons vu dans la description de l'ordre de bataille, que les milices de Ponthieu faisaient partie de l'aile gauche. Il faut donc croire que le roi, ayant parfaitement senti de quelle importance il était que son aile droite se soutint, l'avait encore renforcée par une partie de la cavalerie de la gauche.

Après cette première charge, le comte Ferrand, ayant rétabli sa ligne, songea à une nouvelle attaque. Désespérant de forcer la droite française, dont une partie seulement l'avait menée si

rudement, il forma le projet d'entamer le centre, qui ne se composait jusqu'alors que d'une ligne de cavalerie, qu'aucune infanterie ne contenait. Il essaya donc de faire obliquer ses troupes à droite, pour prendre, s'il se pouvait, le centre français en flanc. Mais le duc de Bourgogne, qui s'aperçut de ce mouvement, se hâta de le prévenir. A la tête des milices de Bourgogne et de Champagne, et de cent quatre-vingt chevaliers Champenois, tous recommandables par leur valeur, ayant auprès de lui Mathieu, baron de Montmorency, les comtes de Saint Pol et de Beaumont, et le vicomte de Melun, il se porta au-devant des Flamands et leur coupa le chemin. Le combat fut sanglant et obstiné. Le duc de Bourgogne ayant été démonté, pensa être pris ou tué. Comme il était très-gros et pesant, il aurait succombé dans la mêlée, si les Bourguignons, l'entourant et écartant tout ce qui l'approchait, ne lui eussent donné le temps de remonter à cheval. Hugues de Malaunay et plus de vingt chevaliers de distinction également démontés, combattirent à pied avec un courage inébranlable. Le vicomte de Melun et le comte de Saint-Pol firent des prodiges de valeur. Le comte Ferrand de son côté ne montra ni moins d'intrépidité, ni moins d'habileté. Mais enfin le comte de Saint-Pol et le vicomte de Melun parvinrent à enfoncer les Flamands. Le comte Ferrand, renversé de cheval et tout couvert de sang et de blessures, fut obligé de se rendre aux deux seigneurs de Mareuil. Sa prise avait mis en fuite les Flamands qu'on ne poursuivit pas.

Au centre, le roi avait été obligé de réunir toutes les res-sources du général à la bravoure d'un soldat, pour résister aux Allemands. Quoique bien plus faible avec la cavalerie seule et les braves dont il était entouré, il était parvenu à soutenir les efforts de l'ennemi, et à le contenir jusqu'à l'arrivée des milices qui devaient complèter le corps de bataille, et qui, comme nous l'avons vu, étaient les plus avancées sur la route de Lille. Ces troupes étant enfin arrivées, le roi en fit passer les bataillons par les intervalles de la cavalerie, et les plaça en première ligne (V), pour les opposer à l'infanterie allemande (O). Mais

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