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soit que ces troupes arrivées en hâte, fussent hors d'haleine, soit, ce qui est plus probable, qu'elies fussent trop faibles pour soutenir le choc d'une triple ligne de bataillons profonds, elles ne purent résister. La première ligne allemande s'avançait victorieuse, lorsqu'elle fut arrêtée par le comte de Dreux, venu de l'aile gauche; la seconde ligne fut également arrêtée par la noblesse de Champagne; mais la troisième où était Othon en personne, pénétra jusqu'à la troupe du Roi, et l'entoura. Là, le combat fut opiniâire et sanglant. Tous les coups se dirigeaient contre le Roi, qui ne dut son salut qu'à son adresse, à sa force et à la bonté de ses armes. Enfin un soldat allemand l'atteignit vers la gorge, au défaut de la cuirasse, avec un de ces javelots à double crochet dont se servaient les anciens Francs, et le tirant avec violence, l'abattit de cheval. Galon de Montigny, tout en haussant et baissant l'étendard royal, pour faire connaître le danger du roi, lui fit, quoiqu'embarrassé de son étendard, un rempart de son corps, abattant à coups de sabre les ennemis qui se présentaient. Le roi se releva, sans que le soldat allemand le lâchât pour cela. Mais dans le moment, Pierre Tristan l'en débarrassa et le remonta sur son propre cheval, unissant ses efforts à ceux de Montigny pour écarter l'ennemi presque vainqueur. Othon s'avança alors lui-même pour achever d'accabler le roi; mais Guillaume des Barres étant arrivé avec un renfort, Othon fut obligé de reculer, et le combat se rétablit avec un nouvel acharnement.

Le péril du roi avait fait accourir de toutes parts à son secours, et porté au plus haut degré l'enthousiasme et la valeur de ses guerriers. Les Allemands furent enfoncés, les gardes d'Othon renversés, et l'empereur lui-même enveloppé, se vit en butte aux traits des Français. Pierre de Mauvoisin saisit la bride de son cheval; mais ne pouvant l'emmener à cause de la foule, Gérard Scrophe lui porta dans l'estomac un grand coup d'épée qui fut paré par la cuirasse. Il lui en porta un second qui n'atteignit que la tête du cheval. L'animal, blessé à mort, fit un effort extraordinaire, et, retournant en arrière, arracha son maître au danger qu'il courait. Guillaume des Barres qui

se trouvait sur le passage de l'empereur, le saisit deux fois au corps, mais ne put l'arrêter. A quelque distance de là le cheval tomba mort, et Othon étant promptement remonté sur un cheval frais, continua à s'enfuir à toutes brides jusqu'à Gand. Dèslors la déroute des Allemands fut complète et la boucherie effroyable. L'aigle d'or impériale, que les ennemis considéraient comme le présage de la victoire, fut prise, et le char qui la portait brisé.

A l'aile gauche des Français, le combat se soutenait encore. Le comte de Salisbury ayant voulu hasarder une charge avec sa cavalerie, rencontra le redoutable Philippe de Dreux, évêque de Beauvais. Ce prélat, pour ne pas violer les lois de l'église, qui défend aux prêtres de verser le sang humain, portait, au lieu d'épée, une massue. Le comte de Salisbury ressentit la force de son bras: terrassé d'un coup de massue, il fut pris par Jean de Nesle qui accompagnait le prélat. Mais le comte de Boulogne, au milieu du cercle d'Anglais dont il s'était entouré, se défendait toujours avec une valeur ext aordinaire. Préférant la mort à la captivité ou à la honte, il ne voulut pas se sauver et refusa de se rendre. Le comte de Dreux le serrait de près, et la défense du comte de Boulogne coûta bien du sang. Enfin ies Anglais furent enfoncés et mis en déroute. Le comte de Boulogne, abattu sous son cheval par Pierre de la Tourelle, aurait péri victime de quatre seigneurs qui se disputaient så prise, si, ayant aperçu le chevalier Guérin, il ne se fût rendu à lui.

Il ne restait plus sur le champ de bataille que sept cents Brabançons (1) qui s'étaient retranchés à quelque distance pour attendre la nuit. Guillaume des Barres, en poursuivant Othon, les avait rencontrés, en avait été mal mené, et courait risque d'être pris par cux, lorsqu'il fut heureusement dégagé. Thomas de St.-Valery, envoyé par le roi avec deux mille hommes, attaqua les Brabançons, les rompit et les tailla en pièces.

(1) Les soldats appelés alors Brabançons n'avaient rien de commun avec le Brabant, si ce n'est que les premiers étaient peut-être de ce pays. C'étaient des aventuriers soldés, de la même espèce de ceux qu'on appelait routiers ou cotteraux.

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Les ennemis perdirent trente mille hommes dans la bataille. Deux comtes Allemands, et ceux de Flandre, de Boulogne, de Hollande et de Salisbury furent faits prisonniers avec vingt cinq bannerets et un grand nombre de chevaliers.

Pendant que ces événemens se passaient en Flandre, le prince Louis, qui avait rassemblé son armée à Chinon, marcha contre le roi Jean qui assiégeait la Foche-aux-moines entre Nantes et Angers et fortifiait cette dernière ville. Le roi d'Angleterre, saisi d'épouvante, s'enfuit au delà de la Loire, abandonnant ses machines de guerre, et se renferma dans Partenay. Le prince français reconquit l'Anjou et Angers qu'il fit demanteler, ravagea le comté de Thouars, prit Montcontour et ressera les Anglais dans Parthenay. Après sa victoire, Philippe Auguste passa lui même en Poitou où sa présence fit plier et rentrer dans l'obéissance les seigneurs Poitevins, toujours attachés aux Anglais. Le vicomte de Thouars fit sa paix sous la protection du duc de Bretagne. Le roi Jean lui même, au moment d'être assiégé dans Parthenay, d'où il n'osait sortir, ne pouvait échapper à la captivité. L'intercession du légat du Pape et une somme de soixante mille livres sterling le tirèrent d'embarras et lui obtinrent une trève de cinq ans. L'empereur Othon fut moins heureux. Découragé par sa défaite il abandonna l'empire à son compétiteur Fréderic II, et se retira à Brunswick où il vécut et mourut dans l'obscurité et presque dans le mépris. Ainsi finit cette guerre, qui avait commencé en menaçant la France d'une entière destruction.

G. V.

MÉLANGES.

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HISTOIRE

DE LA RÉGÉNÉRATION DE LA GRÈCE,

COMPRENANT LE RÉCIT DES ÉVÉNEMENS DEPUIS 1740 JUsqu'en 1824, PAR M. POUQUEVILLE, ANCIEN Consul général DE FRANCE AUPRÈS D'ALI, PACHA DE JANINA; 2o ÉDITION.

Au milieu de la lutte si longue, si courageuse et si sanglante, que les Grecs, réduits à leurs seules forces, soutiennent contre tous les efforts de l'Empire Ottoman, les amis de la civilisation tournent des regards inquiets et attentifs vers une contrée si grande par ses souvenirs, si grande encore par les exploits récents d'un peuple qu'on croyait à jamais dégénéré.

En chaque pays de l'ancien et du nouveau monde, les hommes les plus célèbres par leur talent et leur génie sont unanimes dans leurs vœux pour une population qui montre tant d'héroïsme, au sortir de l'esclavage. En France, malgré la division des opinions politiques, les hommes les plus fameux, au sein des partis les plus opposés, unissent leurs vois éloquentes pour défendre la cause des Grecs modernes. Ainsi les Bonald et les Châteaubriand joignent leurs voix à celles des Royer Coliard et des Lainé, des Foy et des Benjamin Constant; ainsi la Lyre des Lamarti::e et des Soumet résonne, en l'honneur de la nouvelle Athènes et de la nouvelle Argos, des mêmes accords que celle des Viennet, des Delavigne, des Lemercier, des Andrieux, etc. En Angleterre, les partisans du ministère et ceux de l'opposition unisent également

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leurs voix pour défendre les opprimés: Walter-Scott et Lord Byron, les deux plus beaux génies littéraires de leur pays, ont épousé la même cause; et les Brougham; les Mackintosh, les Hallam, les Holland, les Lansdown, etc. sont les éloquents défenseurs des Hellènes; à Genève, en Suisse, en Allemagne, on remarque une pareille concorde. Quelques gouvernemens européens persistent seuls à contempler avec une indifférence inexplicable, les malheurs des Grecs modernes ; quelques-uns mêmes, semblent jaloux de révéler à l'univers le désir qu'ils éprouvent de voir exterminer un peuple qui s'illustre en cherchant l'indépendance dans les ressources du désespoir. En Amérique, les gouvernemens et les citoyens sont d'accord en faveur de la Grèce. Des souscriptions ont été formées dans les principaux Etats de l'Union Américaine, et l'on a vu jusque dans l'autre hémisphère, à Calcuta, à Madras, à Bombay, des amis de la civilisation réunir leurs offrandes pour contribuer au salut de la nouvelle Hellénie.

Telle est la grande cause à laquelle M. Pouqueville a consacré ses efforts et son talent. Long-temps Consul général, auprès du plus cruel Pacha qui ait opprimé l'Hellénie, il a bien connu le caractère des anciens maîtres et des anciens esclaves: la férocité des uns et la misère des autres ; les ressources de tous. Il s'est fait l'historien des choses qu'il a long-temps étudiées et contemplées de ses propres yeux. L'ouvrage qu'il réimprime aujourd'hui, sous le titre d'Histoire de la régénératian de la Grèce, est de la plus haute importance, au milieu des évènemens dont nous sommes les spectateurs. Cet ouvrage nous fait connaître les circonstances principales qui, depuis 1740, jusqu'à ce jour, ont préparé, amené l'indépendance des Grecs. Il nous révèle la vie et tous les crimes d'une famille sanguinaire, qui régna pendant un trop grand nombre d'années sur l'Epire, la Thessalic et le Péloponèse.

Ali Pacha nous fait voir une de ces âmes fortes, un de ces cœurs corrompus, tels qu'on en trouve si souvent chez les peuples barbares: tels que les Huns, les Goths, les Vandales, en

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