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archevêques, les évêques, et les prêtres, répètent à l'envi cet appel, et soudain, les Grecs sont armés, à l'instigation même du divan. Ainsi le premier soulèvement de la Grèce, en mai 1820, fut un acte d'obéissance aux volontés souveraines de la Porte-Ottomane. De son côté, Ali convoque une grande assemblée, dans laquelle il appelle les chefs militaires et religieux, Grecs et Mahométans; il convie les deux races Albanaise et Grecque, à se rallier à lui pour répousser la race des Osmanlis. Ainsi, des deux côtés, les oppresseurs des Grecs, leur offraient l'indépendance, comme perspective de l'appui qu'ils imploraient d'eux. Passons sous silence une foule d'actions de détail, remarquables seulement par leur cruauté, mais dont aucune n'est assez importante pour mériter une mention dans cette analyse:

Cependant, un moine nommé Théodore, comme un autre Saint-Bernard, appelle d'une voix éloquente les Orthodoxes, à marcher sous l'étendard de la croix. « Le Juge invisible, » s'écrie-t-il, » a prononcé l'arrêt des descendans d'Agar: tout demande vengeance, et l'obtiendra ».

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Que penser d'Ali pacha, qui, sans comprendre beaucoup une réforme de Gouvernement, que tous les peuples semblaient alors demander de leurs vœux, depuis Naples jusqu'à Cadix, annonçait qu'il était prêt à donner une Charte aux Epirotes, afin de se les rendre propices? « Une charte! disaient en murmu»rant, les mahométans de l'Epire: n'avons nous pas notre » Coran ». Une Charte! demandaient les Albanais, cela » fera-t-il augmenter notre paie? «Une charte,» se deman» daient tout bas les Grecs, nous délivrera-t-elle du joug de la » conquête ottomane ? >>

Ali pacha fit partir un Grec, nommé Colovos, qui se rendit dans les îles Ioniennes, afin d'y chercher un modèle de gouvernement constitutionnel, pour les habitans de l'Epire. Ali pacha donna des instructions secrètes à Colovos, qui différaient beaucoup de ses instructions ostensibles; et Colovos, de son côté, se proposa de trahir son maître. Il prépara des intrigues pour soulever à la fois, les Grecs de Monténégro, les Bosniens, les

Serviens, les Moldaviens et les Valachiens : une proclamation, rédigée par Colovos, appelait de toutes parts les Grecs à l'in

surrection.

Cependant, Mohamed Dramali, pacha de Larisse, s'avance contre Ali, en marquant son passage par des exactions de tout genre. Des capitaines d'Armatolis s'offrent à marcher sous ses ordres. Le pacha de Larisse s'indigne de voir des compagnies grecques parfaitement équipées, et portant des armes redoutables: « Comment des Raïas osent-ils paraître en armes devant » un Prince Mahométan ? C'est avec le cercle d'osier au cou, » et le bonnet de coton sur la tête, signes de l'esclavage perpé» tuel de votre race, que vous devez paraître sur le seuil de » mon palais. Retirez-vous, et n'y paraissez jamais que dans » cet humble appareil ». Dramali s'irrite en voyant une foule d'églises grecques, bâties récemment, ou relevées de leurs ruines; il veut qu'on lui montre les firmans par lesquels on avait autorisé ces constructions; les Grecs alléguent les permis d'Ali pacha mais Mohamed Dramali répond qu'Ali n'étant ni sultan, ni calife, les édifices consacrés au culte chrétien doivent être, sans délai, détruits de fond en comble. C'était donc pour leurs autels, non moins que pour leur liberté personnelle, que les Grecs allaient bientôt prendre les armes.

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Au milieu de ces dissensions, les Souliotes exilés débarquent dans l'Hellénie; ils prennent parti pour les forces ottomanes, contre Ali qui possédait leur territoire, dans l'espoir d'y rentrer les armes à la main. M. Pouqueville fait remarquer qu'une partie des Grecs de Souli venaient alors du royaume de Naples, dont ils étaient expulsés, pour n'avoir pas pris parti avec les Carbonari, en faveur du gouvernement constitutionnel, que les Deux - Siciles ne possédèrent qu'un moment. A la tête des Souliotes était Marc Bozzaris, dont les exploits héroïques ont étonné l'Europe civilisée.

Une armée turque commence le premier siège de Janina. Des fusées à la congrève, fournies par les Anglais au Visir Ali, qui s'est retranché dans la citadelle, lui servent pour incendier sa propre capitale; en même temps l'armée assiégeante s'empresse

de dépouiller les malheureux habitans de Janina, et de s'emparer de leurs femmes et de leurs enfans, pour en faire des esclaves et les vendre à l'encan. Telle était de ce côté l'infortune des Grecs.

A peine la nouvelle qu'Ali pacha se trouvait assiégé, et qu'on espérait le prendre avec tous ses trésors, est-elle répandue, que la soif des richesses fait accourir de toutes parts des hordes ottomanes. Vingt six pachas traversent dans toutes les directions, la Macédoine et la Thessalie, pour se reunir à l'armée assiégeante. Au milieu d'un tel danger, Ali ne perd ni son courage ni sa présence d'esprit : il est en correspondance secrète avec la plupart des chefs des Armatolis. Un homme célèbre depuis, et digne à beaucoup d'égards, de partager la renommée du roi d'Ithaque, dont il porte le nom, Odyssée se trouvait au nombre des défenseurs d'Ali : celui-ci, soupçonnant sa fidélité, l'engage à faire une sortie avec ses Grecs : tous passent du côté des assiégeans; mais bientôt, abreuvés de dégoûts et d'opprobres, ils désertent, et se préparent à la guerre de partisans. Ainsi s'accomplit le projet d'Ali qui transforma, sans coup férir, des défenseurs dangereux et peu fidèles, en défenseurs volontaires et combattant pour leur propre cause qui se trouvait ainsi réunie à la sienne.

Cependant Véli, fils aîné d'Ali, rend la forteresse de Prévésa, et se constitue prisonnier avec ses enfans. Mouctar, autre fils d'Ali, accepte l'offre du pachalis de Cutaïe et rend la citadelle d'Argirocastron, sans tirer un coup de canon; il conduit avec lui Salie pacha, troisième fils d'Ali.

La terrible Kaïnitza", plus courageuse que ses neveux, abhorrée des Turcs et des Grecs, parmi lesquels elle a fait tant de victimes, leur impose à tous par la force de son caractère. Ils essaient de l'assassiner; ils la trouvent armée de pistolets passés dans sa ceinture; à ses côtés gisent deux chiens molosses; une carabine est dans sa main : elle leur déclare froidement que souterrains de son palais renferment dix milliers de poudre, et que les assassins sauteront avec elle, s'ils attentent à ses jours. En parlant ainsi, elle leur montre et leur abandonne des sacs

les

remplis d'or, qu'ils emportent en tremblant. Ensuite elle distribue à quelques Bohémiens, des hardes pestiférées; et la plus fatale contagion se répand au loin dans l'Epire : ce fut encore une de ses vengeances.

La nouvelle de la défection des fils d'Ali n'ébranla point sa constance; il continua de soutenir avec énergie la défense des forteresses de Janina.

Cependant les Turcs commencent à s'effrayer de l'attitude guerrière que, de toutes parts, ont prise les Grecs, qu'ils voudraient encore traiter comme de vils Raïas. Un édit d'Ismaël, pacha, le général qui commande l'armée devant Janina, annonce que le sultan ne reconnaîtra plus désormais dans les Grecs, que des esclaves dont les biens et la vie continueront d'être à la discrétion de la race conquérante. Il expulse de son camp tous les chefs des Armatolis. On était alors dans l'automne de 1820; l'hiver approchait et l'armée assiégeante voyait chaque jour ses rangs s'éclaircir.

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Les Souliotes n'obtenant rien, malgré leurs conventions avec gouvernement de la Porte, se préparèrent à tenter de nouveau la fortune dans les combats contre les Osmanlis. Ali résolut de mettre à profit le mécontentement des Souliotes, qui se trouvaient campés en présence des forteresses de Janina. Ceux-ci, voyant tomber plusieurs bombes dans leur camp, sans qu'aucune éclatât, les examinent; ils y trouvent, au lieu de fusée, un rouleau de papier, enfoncé dans un cylindre de bois sur lequel était gravé ces mots : Ouvrez avec précaution. Ali leur envoie comme un à-compte, six mille sequins d'or enfermés dans les bombes qu'il avait lancées sur leur quartier. Il demande que l'un d'eux vienne la nuit dans sa forteresse. Un Souliote s'y rend; Ali révèle à l'émissaire grec que les projets d'indépendance, déjà nourris par ses compatriotes, sont révélés au gouvernement turc par une légation étrangère : la Porte a résolu d'exterminer les sujets dangereux qui peuvent porter des armes; enfin les jeunes enfans mâles seront circoncis, et réservés pour servir dans les armées turques. Ali propose aux Soulictes de leur donner d'avance une année de solde, à condition qu'ils

quitteront sans délai l'armée turque, et qu'arrivés dans leurs montagnes, ils commenceront aussitôt la guerre contre la Porte. Les Souliotes, avant de rompre avec Ismaël pacha, ré— clament la récompense de leurs services; il les repousse avec hauteur, avec outrage. Ali leur remet en otage son petit-fils, et leur propose de quitter, durant la nuit, le camp des Turcs: mais Bozzaris le chef des Souliotes, s'y refuse et croit cette prudence indigne de sa valeur. Au lever du soleil, le jour fixé pour le départ des Souliotes, Marc Bozzaris commande une salve générale de mousqueterie, et fait pousser le cri de guerre par tous ses braves : l'étendard de la croix flotte dans les rangs souliotes; et les Grecs partent en bon ordre pour aller conquérir leur terre natale.

La défection des Souliotes rompit toute intelligence entre les Turcs et les Grecs, armés depuis peu à l'instigation même des musulmans. Le mauvais succès du siége des forteresses de Janina décida la Porte, vers la fin d. 1820, à faire remplacer le généralissime Ismaël pacha par Kourchild, visir de Morée.

L'année 1821 commence pour les Grecs la grande époque de leur indépendance. Ce n'est point par système, ce n'est point par une conspiration, que les Heliènes vont secouer le joug; c'est pour se dérober à l'extermination, et pour résister avec les moyens de défense que leurs ennemis mêmes ont mis à leur disposition.

Ali dans une situation de plus en plus critique, pressé par les assiégeans, et déjà voyant ses défenseurs en proie à la famine, excite par toutes les voies, une insurrection générale des Grecs de l'Epire, de la Thessalie, de la Thrace et du Péloponèse. C'est un visir qui devient l'instrument d'une révolte que la sainte alliance attribue à des carbonari!

Tel est le fait important révélé, démontré par M. de Pouqueville : C'est l'ancien tyran de l'Epire qui dénonce aux Grecs les nouveaux projets d'oppression et d'assassinat, médités par le gouvernement turc contre la race des Hellènes; et qui, d'un bout à l'autre de la Grèce, souffle le feu de la révolte.

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