Page images
PDF
EPUB

veau sous le château d'Aste des Dardanelles. Une canonnière de Psara a l'audace d'entrer de nuit jusqu'à Nagara, mouillage situé par delà les châteaux, d'y saisir un bateau turc, et d'attendre le jour pour l'amariner en repassant les Dardanelles à la vue de l'escadre et des forteresses. Sur ces entrefaites, l'amirauté d'Hydra donne l'ordre d'expédier une division navale aux parages des Thermopyles, pour seconder Odyssée, Nicetas et les autres chefs qui se préparaient à chasser les Turcs de l'Eubée.

Vers le même temps le pacha d'Egypte, cet homme sanguinaire dont la férocité est immortalisée par un des beaux tableaux du célèbre Horace Vernet, cet assassin de la race entière des Mamelucks, venait d'envoyer six mille hommes dans l'île de Candie. Là, surprenant les Grecs, occupés à la cueillette des olives, il en avait massacré un grand nombre, avait réduit en cendres trente six villages et fait périr huit cents personnes, vieillards, femmes ou enfans, réfugiés dans la grotte de Sto maroubellos, étouffés par des feux et par la fumée épaisse qui s'en exhalait pour s'engouffrer dans la grotte. Tels étaient les exploits d'un exterminateur dont les émissaires et les stipendiés n'ont pas rougi de faire entendre l'éloge dans tous les journaux français et anglais. Cet homme qui, pour avoir de dignes compagnons d'armes, a cherché dans l'Europe des hommes parmi lesquels on en compte un qui dans nos colonies faisait, avec des chiens, contre les nègres, une guerre d'extermination.

Vers la fin de la mémorable campagne de 1823, le proconsul des îles Ioniennes expire, et dans toute la Grèce un cri s'élève du fond des coeurs » Sir Thomas Maitland, l'ennemi des » Grecs est mort! Qu'il soit maudit à jamais par les enfans » des Grecs ».

:

Enfin le moderne Tyrtée, l'illustre Byron, dont nous avons annoncé les premiers secours, arrive à Missolonghi, conduisant avec lui des ingénieurs, des artistes, des artisans, des presses, des instrumens pour beaucoup d'arts utiles; et toutes les ressources d'une immense fortune et d'un esprit magnanime.

Tel est l'ensemble des événemens qu'a retracés M. de Pou-

queville dans les quatre volumes qu'il a publiés sous le titre d'Histoire de la régénération de la Grèce. Il nous eût été difficile de soumettre à l'examen d'une sévère critique le détail des opérations qu'il explique, et l'étendue des pertes, soit du côté des Turcs, soit du côté des Grecs. Quelques inexactitudes de détails pourront certainement être reprochées à M. de Pouqueville; mais les faits principaux qu'il rapporte sont hors de doute. Il fait connaître le caractère des chefs et le caractère des nations. Son ouvrage est animé, d'un bout à l'autre, d'un puissant intérêt. On reproche à l'auteur un style emphatique, on lui reproche surtout la prétention la plus malheureuse à mêler sans cesse les souvenirs d'une érudition déplacée, aux grands événemens qui devraient seuls occuper, absorber son esprit. Mais ces taches disparaissent devant l'intérêt immense d'un peuple entier, brisant le joug, et bravant tous les malheurs, pour défendre ses droits, sa liberté, sa religion.

Un des plus beaux résultats de la publication du livre de M. de Pouqueville, c'est la preuve irrécusable que la révolution de la Grèce, loin d'être, comme on a pu le croire au sujet de l'expédition malheureuse de Démétrius Ipsilanti, le résultat de quelques combinaisons formées dans l'ombre au centre de l'Europe, avec des démagogues obscurs et suspects, est une révolution, disons mieux, une restauration commandée par la nature même des choses; une restauration toute en faveur de la croyance du Christ; une restauration qui n'a rien de commun avec les intérêts de partis, de factieux, qui ont désolé tant d'années l'Europe occidentale, Les Carbonari que je ne veux ni accuser, ni excuser, parce que j'ignore leurs projets réels, et qu'ils sont proscrits, les Carbonaris ont été parfaitement étrangers aux Hellènes. Les Hellènes sont des hommes qui s'occupent beaucoup plus du soin d'obtenir le salut de leur race, le maintien de leur croyance, que de discuter vainement sur des théories politiques. Ce qu'il leur faut avant tout, c'est de n'être point exterminés, c'est de continuer d'être chrétiens; et la querelle est tellement réduite à ce terme fatal, que partout où les Turcs ont remporté la victoire, après avoir immolé les hommes

en état de porter les armes, après avoir vendu les femmes et les filles, ils n'ont gardé les enfans que pour les circonscire, et pour en faire des Musulmans.

L'ouvrage de M. de Pouqueville a prêté un immense secours aux Grecs, en éclairant les esprits impartiaux, `en accroissant, dans l'Europe civilisée, le nombre des partisans des Hellènes. D'abord, ce peuple nouveau ne comptait en sa faveur que les hommes qui, se berçant d'illusions flatteuses, aimaient à voir dans les Grecs modernes le souvenir, le sang, les mœurs et la civilisation des Hellènes de l'antiquité; illusion séduisante sans doute, mais qui se trouve bien loin de la réalité, si l'on considère le degré d'ignorance où se trouvent aujourd'hui les habitans de la Grèce. Mais, malgré leur ignorance, ces hommes n'ont point oublié la grandeur de leur origine; ils ont montré par des exploits nouveaux qu'ils pouvaient égaler leurs ancêtres en dévouement, en vaillance, en grandeur d'âme. Ils ont prouvé qu'ils avaient des mœurs qui leur sont propres, une fermeté de croyance que n'auraient point peut-être des peuples plus civilisés. J'ose le dire, les exploits maritimes de Canaris créent, dans l'Europe, un intérêt plus puissant encore que les souvenirs, éloignés déjà par vingt siècles écoulés, des exploits de Mycale et de Salamine. La mort de Botzaris laisse dans nos esprits des impressions plus puissantes que les antiques impressions de la mort de Léonidas. Ce n'est plus d'un danger depuis long-temps évanoui que nos âmes se repaissent vainement, c'est un danger présent; c'est le danger imminent de tout un peuple qui lutte avec peine contre une extermination dont l'impossibilité nous paraît moins que jamais démontrée. Aussi voyons-nous chaque année le nombre des partisans des Grecs modernes s'accroître dans tous les états du continent européen. La générosité des citoyens fait chaque jour de plus grands sacrifices en faveur de leur cause; des comités de secours se sont formés au sein de l'Angleterre et de la France; ils comptent les noms des plus illustres philantropes; et leurs directions éclairées servent puissamment la cause des Hellènes. Que les puissances européennes discu

tent à loisir quelle forme politique il sera possible de donner au gouvernement de la Grèce; peu nous importe! ce qui nous importe, avant tout, c'est d'arracher à la destruction un peuple digne du plus généreux intérêt.

Il est difficile, nous l'avouerons, d'expliquer cominent les princes chrétiens de l'Europe civilisée hésitent encore à venir au secours des peuples de la Grèce. Attendent-ils que la Porte ottomane ait reconnu l'indépendance de la Grèce? Mais le Divan, au contraire, établit comme un principe à la fois politique et religieux, qu'à l'instant où le croissant est arboré dans une contrée, cette contrée fait à jamais partie de l'empire des Osmanlis. Cet empire n'a pas encore renoncé à la domination de la Hongrie, qu'il compte à présent même au rang de ses provinces; et l'on attendrait, pour reconnaître l'indépendance de la Grèce, que la Porte ottomane eût fait elle-même le premier pas!... Non, sans doute; d'autres motifs animent les cabinets chrétiens. Si quelque chose peut jamais les décider à prendre en faveur des Grecs une initiative généreuse, c'est la lumière que M. Pouqueville a répandue sur la véritable cause de la régénération de la Grèce. Ne devraient-ils point se dire d'ailleurs: un tyran tel que Louis XI n'a pas hésité de reconnaître l'indépendance de la Suisse, lorsque les huit cantons seulement avaient conquis leur liberté; et l'on verrait hésiter entre les Chrétiens et les Turcs, entre les victimes et les bourreaux, des rois et des empereurs célèbres par la douceur de leur caractère et l'aménité de leurs moeurs. Non seulement on les verrait hésiter, mais on verrait plusieurs d'entre eux prêter froidement secours aux exterminateurs, afin de hâter la réduction, c'est-à-dire la destruction des proscrits!!!.. Formons des vœux pour que les peuples de l'Europe cessent bientôt d'avoir sous les yeux cet humiliant et déplorable spectacle.

Considérées sous le point de vue militaire, les premières campagnes des Grecs offrent des caractères très-recaarquables. On y voit d'abord la décadence de l'organisation militaire ottomane; beaucoup de bravoure personnelle dans les Musulmans nés en Europe, et beaucoup de lâcheté dans les Asiatiques.

Chez les Grecs, aucune idée du système de guerre adopté par les peuples modernes, mais une rare intelligence de la guerre de partisans; un esprit facile en ressources et en ruses, te qu'on a pu le reconnaître chez leurs aïeux; mais aucune entente dans l'art d'attaquer et de défendre les places; aucun moyen de résister à l'action régulière d'une armée bien disciplinée. Telle est la cause du désastre récent que les Grecs viennent d'éprouver dans le Péloponèse, depuis le débarquement du fils du pacha d'Egypte.

Il ne faut pas croire néanmoins que les affaires de la Grèce soient pour cela désespérécs: avec de la persévérance, les Grecs lasseront l'armée d'Ibrahim jusqu'à l'approche de la saison des plaies; et c'est alors qu'ils pourront commencer avec succès une campagne où les esclaves du Pharaon moderne pourront enfin succomber.

Espérons qu'au milieu d'un danger plus grand qu'aucun de ceux qu'ils aient encore éprouvés, les Grecs suspendront leurs discordes fatales, et se réuniront pour détruire l'ennemi

commun.

Espérons, dans le noble dévouement d'Alexandre Cochrane, de cet amiral, dont le pavillon victorieux, après avoir flotté dans l'Atlantique et dans l'Océan pacifique, pour l'indépendance et le bonheur du nouveau monde, flottera bientôt dans l'Archipel et la Méditerranée, pour le salut et pour l'indépendance des descendans du plus illustre peuple de l'ancien monde.

Dans la longue analyse que nous venons de présenter, nous avons eu pour but, de resserrer le plus possible, les faits nombreux et pleins d'importance, expliqués par M. Pouqueville; afin de laisser dans les esprits une impression plus rapide et plus profonde, telle qu'il a voulu la faire naître, et seconder ainsi, selon nos faibles moyens, les vues généreuses de cet homme, qui par lui-même, et par son frère, a rendu à l'Hellénie, des services qui font honneur au caractère des Français.

CHARLES DUPIN,

Membre de l'Institut.

« PreviousContinue »