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n'y a pas même long- temps qu'on peut le regarder comme complètement établi et basé sur des règles fixes.

Au milieu de son exécution pratique, et de l'incertitude où l'on était encore sur les véritables préceptes qui le constituent, M. de Bulow fut le premier qui essaya de les découvrir et de les fixer, en s'éclairant du flambeau de l'analyse. Son excellent ouvrage de l'Esprit du système de guerre moderne, a déterminé la direction de nos idées et de nos recherches, et a ouvert une nouvelle carrière. En rétablissant des définitions tombées en désuétude, ou confondues les unes avec les autres, en séparant la partie intellectuelle de la partie mécanique, la théorie de la pratique; en un mot la science stratégique de l'art tactique, il nous a donné le fil devons suivre établir une chaîne de préceptes liés des uns aux autres et qui forment le cadre du système

que nous

de guerre.

pour

Avant lui, le maréchal de Saxe, analysant les savantes campagnes de Turenne, Montecuculli, etc., avait travaillé à établir les préceptes de la guerre de postes et de positions. Cette espèce de guerre appartient à la stratégie, mais ne la constitue pas en entier. M. de Guibert, par ses derniers ouvrages, nous avait fait concevoir l'espérance d'obtenir de lui un traité élémentaire complet, capable de remplacer des livres purement tactiques qui ne peuvent plus servir.

M. de Jomini a publié depuis un traité des grandes opérations de la guerre; mais cet ouvrage a été écrit dans l'intention bien prononcée d'établir un parallèle entre Frédéric II et Napoléon, et de le présenter à l'avantage du dernier. On conçoit donc facilement qu'un but semblable a dû empêcher l'ouvrage d'atteindre parfaitement celui que son titre annonce. Plusieurs stratégi– ciens allemands accusent M. de Jomini de manquer de méthode, de se contredire quelquefois et de méconnaître les notions géométriques qui s'appliquent à la science de la guerre. Une seule citation suffira pour faire voir qu'un au moins de ces reproches ne laisse pas que d'être fondé. M. de Jomini dit que « les trois grandes lignes d'opérations de la France contre l'Autriche » sont l'Italie à droite, la Suisse et le Tyrol au centre, I'AL

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lemagne à gauche; ce sont les lignes d'opérations appelées » territoriales ou matérielles.... » Il est pénible pour un lecteur accoutumé à la précision mathématique, d'entendre appeler lignes des pays entiers étendus en surface et coupés par des routes qui elles mêmes sont des lignes. On se demande ce que c'est que des lignes matérielles, et pourquoi les surfaces que M. de Jomini appelle lignes sont plus territoriales que les lignes formées par des fleuves ou des grandes communications. Je ne pousserai pas plus loin l'examen des auteurs qui ont écrit sur la science de la guerre après M. de Bulow.

Les préceptes de la stratégie et de la tactique, tous les élémens d'un cours complet de la science militaire, existent tant dans ce dernier auteur que dans ceux qui ont écrit après lui. On retrouve encore ces préceptes dans un examen réfléchi des campagnes qui ont eu lieu depuis 1792; mais il résulte de cette dispersion même, que pour les étudier et en saisir l'enchaînement, il faut avoir un grand nombre d'ouvrages à sa disposition et se livrer à un travail pénible de comparaison et d'analyse. C'est assez indiquer combien il doit être utile et même nécessaire de réunir tous les principes fondamentaux de la science de la guerre, et les rè gles qui en dérivent, dans un seul cours, où les militaires qui désirent s'instruire trouvent dans leur ordre et leur enchaînement naturel les préceptes qui doivent diriger l'ensemble de leur conduite dans les differens cas où ils peuvent se trouver.

SECTION II.

DE LA SCIENCE DE LA GUERre en général.

La science de la guerre, envisagée sous un point de vue général, comprend toutes les combinaisons qui ont rapport au système soit offensif, soit défensif, selon lequel une nation peut

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et doit faire la guérre à une autre ; il résulte de là que c'est elle qui doit fixer les principes généraux du système militaire de chaque nation, en déterminer les élémens et en diriger l'emploi. Cette dernière fonction constitue ce qu'on appelle proprement le système de guerre, et varie selon la nature de la guerre, la configuration de son théâtre et même l'organisation politique du pays qui la fait, et ses ressources de tout genre. Ces différentes combinaisons peuvent varier à l'infini dans leur détail; ce sont même ces variations qui produisent les modifications partielles que le général en chef est souvent obligé de faire au système total, dont les bases en grand ont été déterminées sur l'ensemble des circonstances qui le composent. Cette variété dans les modifications ne doit pas cependant empêcher de concevoir un plan général et d'en faire le cadre, en dedans duquel on doit agir. Elles peuvent en effet être classées, et leur classification. est assez marquée pour qu'elle puisse servir utilement au but qu'on se propose en fixant le système militaire d'où dérive le système de guerre.

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On peut concevoir les causes modificatives du système militaire et du système de guerre d'une nation, comme renfermées dans les limites extrêmes que présente la classification suivante. Relativement au système militaire, et sous le rapport politique, le pays peut être maritime et continental, commerçant ou agricole, avoir le moyen de former une armée absolument nationale, ou être réduit à une force composée de mercenaires ou nationaux ou étrangers. Sous le rapport statistique et topographique, le pays est défendu par des frontières naturelles, ou il est réduit à en établir d'artificielles; il est coupé de montagnes, de rivières; il contient des grandes plaines ou il en manque; les montagnes ou rivières qui le coupent sont parallèles ou trans versales au système de défense et d'attaque; le pays est populeux ou la pópulation y est rare; il est fertile ou stérile, relativement aux différens élémens du système militaire.

Le système de guerre qui naît des circonstances que je viens d'indiquer n'est que de deux espèces, offensif ou défensif.

Cette classification suffit pour démontrer la possibilité de dé→

terminer les principes généraux qui doivent régler l'ensemble de la conduite du général en chef. Je dis l'ensemble de sa conduite, car les nombreuses modifications dont est susceptible le cadre général que je viens de tracer, démontrent suffisamment l'impossibilité de les prévoir toutes d'avance autrement que par classes. Outre celles qui naissent de causes appartenantes à notre système militaire, et qui sont par cela à peu près dans nos mains, il en est d'autres qui dépendent de notre adversaire. C'est surtout lorsque nous en serons aux mouvemens stratégiques que le lecteur pourra en juger. Il est donc vrai de dire que les préceptes dérivans des principes généraux, et qu'on doit regarder comme invariables, ne peuvent fixer que l'ensemble de la conduite du chef suprême militaire, selon la classification du cas où il se trouve; cette même conduite dans les différentes modifications de détail où il se rencontrera, soit qu'il les ait fait naître, soit qu'elles viennent de son adversaire, donne la mesure de son génie.

Nous allons maintenant examiner un peu plus en détail la classification que j'ai indiquée ci-dessus, des différentes positions politiques ou géographiques où peut se trouver un pays, afin d'en déduire ses principes généraux du système militaire qu'il peut adopter. Cet examen sera simplement élémentaire.

Un pays peut être tout-à-fait maritime, c'est-à-dire insulaire, ou tout-à-fait continental, ou toucher à la mer par quelque côté et au continent par d'autres. Chacune de ces trois positions exige un système militaire différent. Dans le premier cas, la défense de la nation reposant presque en entier sur la marine, il lui suffit d'avoir les élémens d'une force de terre suffisante pour garnir les points principaux de défense des côtes, et former au besoin un corps capable de résister à un débarquement. Le second cas est absolument l'inverse du premier. Dans le troisième cas, le développement du système militaire doit suivre la proportion existante entre l'étendue des frontières continentales et le circuit total du pays. Il en résulte que plus le pays approchera de la forme d'une presqu'île, moins la nation aura besoin d'une grande masse de moyens territoriaux de défense.

Une nation commerçante et manufacturière ne peut pas, dans les guerres ordinaires, trouver en elle-même les élémens qui composent le personnel des armées; elle est forcée d'avoir recours à des secours mercenaires pour remplacer l'armée nationale permanente qui lui manque; mais les élémens du matériel de la guerre sont en son pouvoir, soit par ses produits, soit par ses richesses. Une nation nomade forme par elle-même l'élément personnel de son système militaire, mais le matériel lui manque. Aussi ne peut-elle avoir d'autre système de guerre que celui des invasions. Une nation agricole réunit tous les élémens en elle-même. C'est celle qui est le mieux constituée pour les différentes espèces de guerre.

Les considérations statistiques et topographiques que j'ai énoncées à la suite de celles qui tiennent à l'existence politique appartiennent plus particulièrement à la partie stratégique de la science de la guerre, et c'est là où on doit les trouver.

Il suit de tout ce qui a été dit ci-dessus, que l'organisation et la conduite de la guerre comprend toutes les combinaisons qui doivent conduire au succès et leur exécution mécanique; les combinaisons qui embrassent la totalité du théâtre de la lutte et celles qui se bornent au point qu'occupe physiquement la masse des forces militaires; l'intelligence qui imagine, la sagacité qui détermine le choix, la perspicacité qui prévoit et l'aptitude physique qui exécute. Elle est donc tout à la fois une science, par ses calculs et ses combinaisons, et un art par la précision qu'elle réclame dans l'exécution. C'est pour ce motif qu'on l'a divisée en science militaire, ou stratégie et art militaire, ou tactique.

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