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SECTION II.

DE LA FORCE-ARMÉE PERMANente,

DES ÉLÉMENS D'ACTION DE LA FORCE-ARMÉE ET DE LEURS RAPPORTS ENTRE EUX.

Les différens élémens d'action qui composent une armée se réduisent à quatre; 1o. l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et les troupes légères. Leur subdivision est basée sur les différentes modifications du service qu'on leur fait faire. La combinaison de ces quatre élémens entre eux dépend de leur influence réciproque l'un sur l'autre, et cette influence dépend elle-même de la configuration du terrain sur lequel on doit agir. Avant donc d'examiner quelle doit être leur proportion entre eux, et leur combinaison, je vais tâcher de les faire connaître au lecteur sous l'aspect sous lequel ils concourent à l'exécution des règles de la science de la guerre.

L'infanterie étant propre à agir dans toute espèce de terrain, son service ne peut rencontrer aucune exception. Elle doit donc former la base principale de l'organisation d'une armée et en constituer la partie majeure. Les élémens primitifs de l'infanterie ont leur principe d'action en eux-mêmes et sont indivisibles: il en résulte donc que leurs mouvemens n'éprouvent aucun retard ni aucune modification par la complication des mobiles. Le même individu est à la fois actif et passif, et toujours l'impulsion et la résistance physique sont directement soumises à l'influence de l'impulsion et de la résistance morale. L'arme que porte l'infanterie étant offensive de loin, en même temps qu'elle est offensive et défensive de près, le cercle de son

action, tant pour l'attaque que pour la défense, est beaucoup plus étendu que l'espace qu'elle occupe. La subsistance se réduisant à celle de l'homme, il est beaucoup plus aisé d'y pourvoir et de la transporter à sa suite; une plus grande masse d'individus peut donc résider dans un espace assez peu étendu. Il est vrai que la vitesse individuelle diminue en raison de l'augmentation de la masse, ou plutôt de sa dilatation ou de son extension. Car l'extension de la masse, en augmentant le nombre des mobiles, amène une complication qui produit les mêmes effets que les frottemens dans une machine mécanique. L'unité de volonté dans le tout et dans chaque individu ne suffit plus pour assurer l'uniformité de mouvement, parce que les petites différences, presqu'insensibles dans une partie peu étendue, augmentent à mesure que la masse agissante s'allonge. Il en résulte donc une diminution bien réelle de la force d'impulsion, puisque celle-ci étant le produit de la masse multipliée par la vitesse, un des facteurs déjà faible diminue encore à mesure qu'on veut augmenter l'autre. Mais on remédie à ce défaut, par l'application directe d'un principe de la mécanique. Pour calculer l'effet du choc des corps non vivans, on considère leur masse comme concentrée à leur centre de gravité. De même pour assurer l'effet du choc des masses d'infanterie, on les concentre dans la direction de ce choc, en leur donnant en profondeur ce qu'on leur retire en étendue. Alors on peut faire arriver la vitesse unie, presque à l'égal de la vitesse individuelle.

La cavalerie réunit en elle, à un plus haut degré, les deux facteurs de la force d'impulsion. Sa masse individuelle est plus considérable, et sa vitesse plus grande. Son choc est donc plus violent, et ses changemens de positions plus rapides. Individu contre individu, elle a peut-être encore plus de supériorité sur l'infanterie, que masse contre masse. Cette contradiction apparente vient de la nature même des élémens qui composent la cavalerie. Chacun de ses élémens primitifs, est formé de deux individus séparables l'un de l'autre : l'homme et le cheval. Le principe d'action ne réside que dans la première des deux moi

tiés, la seule qui puisse devenir active, dans le sens du système de guerre, par l'effet d'une impulsion morale; l'autre n'est que passive. Il en résulte donc, que l'ensemble, ou pour mieux dire l'unité de mouvement rencontre plus de difficultés, et éprouve nécessairement et assez souvent des modifications et des retards. Ceci explique ce que j'ai dit plus haut. Dans les chocs individuels de la cavalerie, les moyens de coarction que l'individu actif a sur l'individu passif, peuvent amener des instans où l'unité d'action est parfaite; l'individu actif peut choisir ces instans pour agir. Dans les chocs en masse, un nombre d'individus éprouvent ordinairement des contrariétés, par la résistance que leur partie passive oppose à la partie active; ces résistances détruisent l'unité d'action du tout; l'unité d'action détruite, il naît inévitablement un désordre qui décompose le choc de la masse, et le transforme en un nombre de chocs isolés, sans effet contre une masse résistante.

Les armes offensives et défensives de la cavalerie ne le sont que de près. Par conséquent son cercle d'action est, à très-peu de chose près, réduit à l'espace qu'elle occupe. La configuration physique de l'individu passif (le cheval), et son poids sont tels qu'il ne peut pas passer en tous lieux. Les terrains marécageux ou fangeux ne le supportent pas; il ne peut pas passer par des chemins étroits, tortueux, escarpés; il ne peut pas gravir ou descendre des montagnes d'une pente fortement prononcée; il marche enfin difficilement dans les terrains raboteux ou sabloneux. La subsistance de la cavalerie entraînant la nourriture de deux individus, a non-seulement le défaut d'être plus difficile à fournir et à transporter, mais les élémens de la nourriture d'un des individus sont beaucoup plus volumineux et ne se trouvent même pas partout. Il en résulte qu'une grande masse de cavalerie ne peut pas résider dans un espace peu étendu, ni même en tous lieux.

Les troupes légères se composent elles-mêmes de cavalerie et d'infanterie. Ainsi, on pourrait leur appliquer ce que je viens de dire sur chacune de ces deux armes en particulier. Mais il faut y ajouter une réflexion assez importante. C'est, qu'étant desti

nées à agir presque toujours individuellement; ne se réunissant
qu'en masses peu nombreuses, dans le petit nombre de cas où
elles doivent donner ou recevoir un choc, elles peuvent toujours
conserver l'unité et la vélocité du mouvement. Ce qui les rend
propres à toutes les opérations qui exigent de la promptitude.
Leur subdivision en petits corps leur faisant occuper un grand
espace
de terrain, elles trouvent la facilité de se pourvoir sans
obstacle de tous les élémens de la subsistance des hommes et
des chevaux. La même subdivision donne également à la cava-
lerie légère la faculté de se mouvoir dans des terrains ou la ca-
valerie agissant en ligne ne le peut pas ; et même dans ses mou-
vemens individuels elle peut surmonter ou franchir des obsta-
cles devant lesquels la cavalerie en troupes s'arrête. L'avantage
de l'arme de la cavalerie sur celle de l'infanterie, ne pouvant
exister que dans les chocs individuels, c'est la cavaleric légère
qui peut le plus souvent en profiter. Son choc sur les élémens
épars de l'armée ennemie est un des moyens les plus actifs
qu'on puisse employer contre elle; car il tend directement à sa
dissolution.

L'artillerie n'est qu'un auxiliaire des autres armes. Ses moyens d'action n'étant pas en eile, elle n'est jamais qu'en relation passive avec les mouvemens d'impulsion et avec les chocs en masse. Sa force consiste dans l'effet des armes de longue portée dont elle fait usage. Son action est à la vérité sensible à une grande distance de l'espace qu'elle occupe; elle est terrible à celle où l'action de l'infanterie commence : c'est-à-dire à portée de mitraille. Mais cette même action cesse, à quelque distance de son front, d'être bien dangereuse; c'est où l'auxiliaire dont je viens de parler, la mitraille, n'a pas encore déployé ses effets. Alors l'artillerie ne tire ses moyens de défense que de l'infanterie ou de la cavalerie. La complication des élémens primitifs dont elle est composée, et qui, outre ceux des autres armes, comprennent aussi les machines mécaniques, en rendent les mouvemens lents et difficiles en tout temps, et impraticables dans quelques terrains. On a recherché, il est vrai, suppléer à lá lenteur que produit cette complication et à sur

à

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monter les obstacles que présente la nature du terrain, en modifiant les élémens mécaniques; mais on n'y a réussi que jusqu'à un certain point. Il résulte de là que l'artillerie manque de la mobilité nécessaire, pour les mouvemens qui doivent être exécutés avec promptitude. Qu'à une grande distance elle peut protéger les autres armes, par l'effet de la longue étendue d'action de son élément mécanique, mais qu'étant absolument incapable d'un mouvement d'impulsion, et de donner ou recevoir par ellemême un choc, dès l'instant où une masse ennemie la menace de près, elle doit être à son tour protégée par les autres armes.

Il résulte de ce que je viens de dire: 1°. que l'infanterie est propre à tout genre d'opérations stratégiques et tactiques; qu'elle peut se mouvoir dans toute espèce de terrain, excepté celui-là seul où l'élément aqueux domine trop; qu'elle est susceptible d'assez de rapidité dans ses mouvemens intérieurs, et capable d'une grande force d'impulsion et de résistance, par le choc ou le poids de ses masses. Elle doit donc former la base principale, le corps de bataille de l'armée, et elle peut être exclusivement chargée de toutes les opérations qui se font dans un rayon médiocre. Elle peut donc suffire pour les opérations stratégiques; et dans les tactiques, elle est la base principale et la plus solide, de la force d'impulsion et de résistance.

2o. Que la cavalerie ne peut pas être employée à tous les genres d'opérations et a besoin d'un terrain dont la nature et la configuration lui soient appropriées. Qu'elle a cependant une plus grande force d'impulsion, en raison de sa plus grande masse et de la plus grande vitesse dont elle est susceptible. Qu'en raison de cette même vîtesse, qui permet à, la cavalerie d'occuper plusieurs espaces éloignés l'un de l'autre, dans un petit intervalle de temps, le cercle de son action change avec rapidité et regagne ce que lui fait perdre son peu de développement. Que la cavalerie doit former le second corps de l'armée et quand le terrain ne s'y oppose pas, en occuper les extrémités, parce que c'est à ces extrémités que les mouvemens sont plus libres.

3°. Que les troupes légères, étant employées en petites masses et souvent individuellement, réunissent tous les avantages

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