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qu'a parcouru leur père; que les filles soient élevées et établies par les soins du gouvernement. Alors on verra le soldat marié affronter les plus grands dangers, avec au moins autant de courage que le célibataire.

Pénétré de reconnaissance envers sa patrie, dont les soins maternels à son égard s'étendent au-delà du tombeau, loin de craindre de perdre la vie au champ d'honneur, il ne verra dans une mort glorieuse, qu'un titre de plus pour assurer le sort des êtres qui lui sont chers.

Jusqu'à présent nous nous sommes occupés du remplacement et du complétement de l'armée en hommes. Reste à parler de l'élément indispensable de la cavalerie et de l'artillerie; les chevaux. Nous avons vu dans le chapitre précédent que la proportion de l'infanteric à la cavalerie était en terme moyen celle de 5 ou 6 à 1. Adoptons la première. Nous avons également vu que la proportion de l'artillerie devait être de 2 pièces en ligne et 2/3 de pièce en réserve, pour mille hommes. Chaque pièce entraîne à sa suite cinq voitures en ligne ou au parc et une pour les munitions de guerre des troupes. Un tiers de l'artillerie de ligne est ordinairement à cheval.

Pour une armée de 300 mille hommes, il y aurait donc 50 mille chevaux de cavalerie. Les 400 pièces à pied de première ligne avec leurs voitures employent 9600 chevaux. Les 200 pièces à cheval, ont chacune 6 chevaux, une des voitures de la suite en a autant et les autres 4; il faut encore compter 2400 canonniers montés; c'est donc 5600 chevaux. Les 800 voitures de munitions en emploient 3200. Ce serait donc en tout 73,200 chevaux qu'il faudrait. Posons 74 mille. Le remplacement des chevaux de service à l'armée est calculé sur le pied de 1/8 pár an. Il s'éleverait donc à 9250 chevaux chaque année. Il est vrai que les 20,800 chevaux des voitures d'artillerie peuvent être réformés à la paix, comme il est d'usage, ou au moins réduits à 175. Ce ne serait donc plus qu'environ 56 mille chevaux, dont le remplacement ne s'éleverait qu'à 7 mille par an; mais cette diminution n'est que fictive, car le remplacement ayant été calculé sur le terme moyen des morts ou mis hors de ser

vice, ces deux cas atteignent également les chevaux correspondans au total de guerre de l'armée, quoiqu'ils soient hors de service actif. L'économie produite par la réforme des chevaux d'artillerie, n'en est donc une, que sous le rapport des dépenses en numéraire du gouvernement. Elle n'a aucune influence sur l'objet que je veux particulièrement considérer dans ce chapitre ; c'est d'assurer, d'une manière constante, les canaux qui doivent fournir à l'augmentation et au remplacement des chevaux de la cavalerie et de l'artillerie.

Quelle que soit la proportion que les circonstances de l'état ou la nature du pays ont fait établir pour ces deux armes, il У en aura toujours une certaine quantité, dont il faut déterminer exactement et d'avance les besoins, dans l'état de paix et dans celui de guerre. Cette fixation est la première base du calcul à établir, pour assurer le remplacement. La seconde base est la fixation de la quantité de chevaux strictement nécessaire aux travaux de l'agriculture, des arts et du commerce. La troisième est la connaissance exacte du nombre de chevaux existans dans le pays et dans chacune des branches de travail auxquelles ils sont propres. La quatrième enfin, est la comparaison de la perte et du remplacement naturel, qui a lieu chaque année, afin de connaître les augmentations ou les diminutions qui en résultent. Nous ne nous occuperons ici que de l'armée. La somme des deux premiers nombres exprime le minimum, au-dessous duquel la troisième ne doit jamais se trouver. Le quatrième nombre indique en général au gouvernement, quels soins il doit porter à l'entretien des chevaux du pays. La comparaison entre le second nombre et les branches ou classes correspondantes du troisième, est la base générale dont le gouvernement doit partir, pour terminer les mesures à prendre relativement à l'armée. Quand même la quantité, indiquée par le troisième nombre, correspondrait au total numérique des besoins des différentes branches, le service de l'armée ne serait pas encore assuré. Il faut encore que le total de l'existence dans les branches qui y correspondent, soit égal au total de ses besoins. C'est-à-dire qu'il existe réellement dans le pays, un nombre de chevaux propres à l'artillerie et à la

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cavalerie, au moins égal aux 3/8 du total de l'état de guerre. Si cette parité n'existe pas, il faut que le gouvernement songe, si le déficit résulte de la qualité des chevaux, à l'améliorer; et s'il résulte de leur nombre, à l'augmenter. L'un et l'autre se fait ordinairement ou par des haras établis comme pépinière de chevaux, ou par des dépôts d'étalons, répandus dans le pays pour améliorer les races.

DE L'ÉDUCATION MORALE DE L'HOMME DE GUERRE.

Nous avons vu dans un premier mémoire que plus le soldat était capable, par son caractère ou son instruction, d'une action ou d'une détermination individuelle, plus le général d'armée pouvait hasarder de s'écarter d'une timide réserve tactique, et entreprendre des opérations stratégiques plus étendues, plus hardies et plus rapides. C'est donc à lui donner cette capacité que doit tendre son éducation morale. Le caractère et le degré de culture de la classe du peuple qui, en fournissant les recrues, livre à l'armée les premiers matériaux qui la constituent, ont sans doute une influence marquée sur l'éducation future du soldat. Il n'y a aucun doute que l'homme de guerre n'acquière plutôt les qualités qui lui sont nécessaires et n'arrive à un plus haut degré de perfection, s'il est déjà un peu dégrossi par son éducation civile, ou sa situation politique, en arrivant sous les drapeaux C'est dans ce sens qu'on peut encore dire que la conscription est le mode le plus avantageux de recrutement, parce qu'en frappant sur toutes les classes de la société, elle se compose d'élémens moralement meilleurs que la lie de la populace, qui fournit à l'enrôlement mercenaire. Cela est si vrai, que dans les pays où ce dernier mode était adopté, on voyait toujours les chefs de corps préférer les campagnards aux recrues des grandes villes, dont la populace peut s'appeler le rebut de l'humanité. C'est aussi pour ce motif que les bataillons de volontaires français de 1791,

ont si brillamment servi et fourni tant d'illustres chefs, et que les volontaires prussiens de 1813 ont rétabli l'honneur de leur patrie, que l'armée permanente avait laissé flétrir. Mais, sans m'arrêter plus long-temps à examiner cette thèse, dont le développement tient à des considérations qui sont hors de mon su-jet, je me contenterai d'indiquer les qualités qu'il faut, à mon avis, que l'homme de guerre atteigne, pour être propre à remplir, dans toute leur étendue, les devoirs de son état.

L'homme, en général, est propre à bien peu de choses, sans amour-propre; l'homme de guerre encore moins. Il lui faut plus même; il a besoin d'émulation, ou plutôt d'ambition. Supporter avec patience des fatigues extraordinaires, des privations de tout genre, est une qualité qui ne tient purement qu'à l'homme animal, que l'éducation gymnastique peut donner jusqu'à un certain point, qui est tout entière dans l'intensité des forces physiques et qui cesse avee elles. Mais supporter ces mêmes fatigues sans abattement d'esprit, les braver par devoir, conserver unc âme forte avec un corps abattu, est un résultat qui appartient exclusivement à l'éducation morale. C'est pourquoi l'on voit quelquefois le soldat succomber sous les mêmes fatigues, auxquelles son officier résiste, avec bien moins de forces physiques. Sans en chercher des exemples bien loin, il suffit de rappeler celui de la retraite de Russie, en 1812. Des régimens entiers périrent, les autres furent réduits presqu'à rien; mais presque tous les câdres se sauvèrent, par leur courage moral, du même désastre.

Cette force d'âme est donc une des premières qualités qu'il faut imprimer à l'homme de guerre; mais on n'y peut parvenir qu'en aiguillonnant son amour-propré par l'émulation, en lui imprimant le sentiment de l'honneur et le dirigeant vers l'ambition. L'état militaire n'offre pas les mêmes dédommagemens que la vie civile. Dans ce dernier état, l'homme trouve, même dans l'intérêt pécuniaire, l'indemnisation de ses fatigués. Les richesses lui servent à multiplier des jouissances, dont sa situation tranquille lui permet d'espérer la prolongation. Les honneurs et l'avancement ne lui sont point fermés. Mais l'homme de guerre ne

peut pas connaître les avantages que donne la fortune dans un état paisible: son existence, à laquelle il a, pour ainsi dire, du rencacer, en endossant l'habit militaire, n'est plus pour lui qu'un songe qui touche peut-être au réveil, dans l'instant où il voudrait s'embellir. Quel dédommagement peuvent lui offrir des richesses, dont l'usage lui appartient bien moins qu'à sa postérité. Il n'y a donc que le sentiment de l'honneur et l'espoir de l'avancement qui puissent lui faire oublier les dangers et les peines auxquels il est exposé. Ce sont les seules jouissances sur lesquelles il puisse compter, jusqu'au dernier moment d'une existence, qui déjà même ne lui appartient plus.

Sans ces dédommagemens purement moraux, l'homme le plus courageux reculerait à la vue des dangers, des privations et des maux qu'il doit braver. Mais s'il en est assuré, on verra le même homme, que son état a exclu des jouissances du présent pour ne lui laisser que l'avenir, y trouver sa plus douce récompense. Il bravera tout et s'élancera dans la carrière de la gloire, dans l'espoir de transmettre son nom dans les fastes de l'histoire, et de vouer sa mémoire à l'estime, et peut-être à l'admiration de la postérité.

Mais si d'un côté il est nécessaire d'animer et de conduire l'homme de guerre par les sentimens de l'honneur et de l'ambition, il ne l'est pas moins de le retenir dans les liens de l'obéissance et de la discipline militaire. C'est ce milieu entre la liberté absolue et l'esclavage, qui fait l'essence de la tactique disciplinaire. C'est là l'écueil contre lequel ont échoué la plupart des tacticiens qui ont écrit sur cet objet; soit que les préjugés établis les aient entraînés eux-mêmes; soit qu'ils n'aient pas osé établir des maximes, trop contraires aux principes adoptés et universellement reçus. Le soldat à leurs yeux était un être destiné à ne jamais sortir de l'état obscur, où le sort l'avait placé: il était donc inutile, non-seulement de cultiver ses qualités morales, mais même d'examiner s'il en avait. Condamné à être toujours un instrument aveugle, il n'avait besoin que d'une existence passive.

Le soldat, considéré sous ce point de vue, ne pouvait être re

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