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tenu dans la discipline que par la crainte des châtimens. Sa carrière bornée ne lui offrant aucun dédommagement dans l'avenir, l'émulation était éteinte en lui; et souvent pour l'empêcher de se soustraire à des fatigues corporelles, il fallait le menacer de souffrances plus fortes. Ce n'est pas que dans quelques pays, France surtout, des tacticiens plus raisonnables n'aient pris la défense du soldat, et n'ayent cherché à prouver qu'il valait mieux le conduire par I honneur. Mais lors même que leurs réclamations ont été écoutées, elles n'ont pu servir qu'à améliorer un

peu son sort.

en

Voilà pourquoi dans le choix et la distribution des peines, on n'a presque jamais eu égard à leur influence morale. On a poussé si loin l'indifférence à cet égard, qu'on a osé proposer dans quelques pays, comme problême à résoudre, celui de réunir la sensibilité physique des châtimens avec la moindre absence possible du service. C'est ainsi qu'on aurait pu calculer le nombre de coups de bâtons que pouvait recevoir un âne, sans perdre la force nécessaire pour porter son bât. Souvent on se laissa diriger par la mode; parce que telle règle disciplinaire ou tel châtiment était en usage dans une nation, qui avait le bonheur d'avoir de bons généraux et de voir ses drapeaux couronnés par la victoire, on les adopta. On croyait ou l'on faisait semblant de croire, que les succès, que l'amour-propre ne permettait pas d'attribuer aux talens du vainqueur, ne dérivaient que de ses institutions. Mais ces mêmes institutions choquaient le caractère de la nation chez laquelle on les introduisait; les châtimens qu'on y établissait, y étaient regardés comme déshonorans. N'importe, on poursuivait son chemin, et il en résultait la perte de l'individu et l'avilissement du tout.

Il était en effet bien plus commode de retenir l'homme dans une discipline purement mécanique, que de se donner la peine de le former et de le diriger vers un but plus élevé. Quelque contraire que fut donc cette méthode, aux résultats qu'on devait avoir en vue, la paresse naturelle à l'homme et d'autres causes dont l'examen est hors de mon sujet, empêchèrent qu'on n'en choisît une meilleure. Cela dura jusqu'à ce que un concours de circons

tances extraordinaires, changea la direction des principes de l'éducation morale de l'homme de guerre.

Pour retenir le soldat dans les bornes de l'obéissance et d'une discipline sévère, sans lui ôter ni même affaiblir en lui cet élan de l'âme, qui doit toujours le diriger vers un but plus élevé, c'est de ce même amour-propre qu'on doit se servir. Bien loin de l'éteindre, il faut donc l'entretenir soigneusement et même le réveiller quand il sommeille. Qu'il ne voye dans l'accomplissement de ses devoirs, que le moyen le plus sûr d'arriver au but que lui présente son ambition; qu'il y trouve une récompense immédiate dans l'estime et les éloges de ses chefs. Bientôt il les remplira avec la plus sévère exactitude, et il ne craindra rien tant que d'y manquer. Ce n'est pas assez qu'il apprenne à respecter ses chefs et à leur obéir, parce que le bon ordre et les lois militaires l'ordonnent; les règles présentées sèchement, ont un aspect trop métaphysique pour produire un effet actif. Il est non-seulement bon, mais encore nécessaire qu'il apprenne à soulever au moins un coin du voile de l'avenir, et que dans l'espoir d'un avancement qu'il pourra mériter, son amour-propre trouve une consolation à rendre à son chef le tribut de respect et d'obéissance, qu'il devra un jour exiger pour lui-même.

C'est surtout dans les châtimens qu'il faut porter la plus grande attention, non-seulement pour leurs choix mais encore pour la manière de les appliquer. Il faut avec le plus grand soin éviter pour un délit purement disciplinaire, toute peine qui entraîne avec elle une flétrissure dans l'opinion publique, ou des suites fâcheuses pour la santé. Tout ce qui est cruel ou avilissant révolte l'homme au lieu de le corriger. Mon but n'est pas de décider si c'est le bâton, l'épée, le knout, les ceps ou la prison qu'il faut employer. C'est au législateur militaire à choisir celle de ces différentes peines, qui est la plus adaptée au degré de civilisation de la nation, à laquelle il destine son code, et qui ne choque pas ses opinions et même ses préjugés, surtout en ce qui tient à l'honneur et au déshonneur. Les punitions doivent être de plusieurs classes, et s'élever par gradations presque imperceptibles, depuis le reproche jusqu'au maximum, fixé pour la simple disci

pline. Cela est nécessaire afin de ne pas mettre le chef dans la dure nécessité d'en infliger une supérieure à la faute que différentes circonstances peuvent avoir atténuée; et souvent pour lui ôter la possibilité d'excéder en sévérité. Il est inutile je crois d'observer que leur application doit être exempte de dureté : ce que j'ai dit plus haut l'indique assez.

Outre les fautes de simple discipline dont le châtiment est du domaine de la police correctionnelle, il est encore des délits qui sont soumis au code criminel, mais qui néanmoins appartiennent exclusivement à l'état militaire. Ces derniers ne méritent pas une moins grande attention, et c'est encore dans leur punition qu'il faut éviter avec le plus grand soin, tout ce qui tend à l'avilissement et à la dégradation. Les réflexions suivantes prouveront ce que j'avance. L'armée dépositaire de la force publique, est et doit être dans tous les pays, soumise à un code particulier de lois, tendant à renfermer cette partie active de la société dans des bornes plus étroites, que celles qui sont imposées à la partie paisible et désarmée. Il faut empêcher que ce corps ne se dissolve, par l'effet du caprice et de la volonté individuelle; il faut surtout prevenir l'abus qu'il pourrait faire des armes qui lui sont confiées, et qui le rendraient alors le perturbateur de l'ordre public, au lieu d'en être le conservateur. De cette espèce de sequestration au milieu de la société, il résulte que la position de l'homme de guerre présente deux aspects difrens, et que ses devoirs sont doubles; ceux d'abord de citoyen de l'Etat, et ceux qui lui sont imposés comme militaire, et qui resserrent encore le cercle d'action laissé à sa volonté. On conçoit donc facilement qu'il doit exister pour le militaire une classe de fautes, qui, ne constituant pas un crime aux yeux de la société, ne peuvent pas être punies d'un châtiment, entraînant après soi le déshonneur ou une flétrissure qui attaque les droits de citoyen, dans lesquels il doit rentrer à l'expiration de son temps de service.

Il y a donc pour l'homme de guerre deux espèces de délits : ceux contre la société civile et contre les devoirs qui naissent des relations entre elle et l'armée, et ceux qui n'ont rapport qu'aux

:

devoirs qui lui sont imposés comme individu de l'armée, et envers cette armée. La première espèce de délits pourrait ellemême se diviser en deux ; ceux commis par des militaires entre eux, et ceux commis envers des citoyens? Tous ces délits en général, sont ou appartenant à la police correctionnelle, ou du genre criminel. Les premiers n'ont qu'un seul genre de peine qui ne sont pas infamantes; les autres entraînent après eux trois sortes de peines : les non infamantes, les infamantes et la mort, qu'on devrait ôter du code pénal civil, et voir bien rarement dans le militaire. Toutes ces trois sortes de peines peuvent appartenir à la première espèce de délits; la première et la troisième seules doivent être appliquées aux délits purement militaires. C'est encore ici le lieu de répéter ce que j'ai déjà dit plus haut que les devoirs imposés à l'homme de guerre par son état, et envers l'armée, n'étant que des liens qui le resserrent dans un cercle plus étroit, que celui où il serait placé dans la société civile, il s'ensuit que tout délit qui ne blesse que ces liens n'a rien de déshonorant aux yeux de la société, et ne doit pas êire puni par des peines qu'elle regarde comme déshonorantes. A l'égard de la compétence des délits militaires, les mêmes réflexions que je viens d'exposer, nous serviront à déterminer les tribunaux devant lesquels ils doivent être renvoyés. En les examinant avec quelque attention, on se convaincrà facilement: 1.° Que les délits de première classe, commis par des militaires envers d'autres militaires, sont exclusivement du ressort des tribunaux militaires; 2.o que les délits commis par des militaires seuls contre des citoyens doivent aussi être du ressort des mêmes tribunaux; 3oque ceux de la même espèce, commis par des militaires et des citoyens unis, doivent être du ressort des tribunaux civils. Dans ce cas, on conçoit que l'application de la peine de mort ou d'une autre peine infamante, doit être précédée par la dégradation de l'individu, et sa séparation de l'armée ; 4o enfin, que les délits de la seconde espèce sont tous du ressort des tribunaux militaires.

C'est d'après cette classification que devrait être rédigé le Code des délits des militaires. Je vais présenter au lecteur quelques idées sur les principales dispositions qu'il devrait con

tenir, tant pour la forme et la composition des tribunaux, que pour la classification et la punition des délits.

Tribunaux disciplinaires ou correctionnels. Il y a des pays où la punition des délits disciplinaires est entièrement laissée à l'arbitre des chefs militaires. Il y en a d'autres où une partie de ces délits est réservée à des tribunaux spéciaux et ordinairement composés ad hoc. Ce dernier mode me paraît le meilleur, parce qu'il laisse moins de prise aux punitions arbitraires d'un chef dur, injuste ou prévenu, et assure plus d'équité dans les jugemens. C'est le moindre de tous les avantages qu'on peut accorder à un accusé, qui a déjà contre lui l'influence que le chef supérieur a toujours plus ou moins sur les juges. Il n'y a aucun inconvénient à confier aux chefs militaires le soin de punir les petites fautes disciplinaires. Je dirai plus : ce soin doit leur ap→ partenir, car il forme une partie de l'éducation morale du soldat. C'est en le corrigeant avec soin de ses petites erreurs, qu'on parvient à éviter les grandes. Le même principe peut s'appliquer à la classe inférieure des délits correctionnels; mais, quand il s'agit de peines plus graves, ou dont la prolongation peut influer sur la santé des individus, il est beaucoup plus juste et plus raisonnable de n'accorder qu'à un tribunal le droit de les infliger. Je pense donc que les seuls châtimens, qu'on puisse laisser à la disposition des chefs de corps, sont les arrêts à la caserne où dans la salle de police jusqu'à quinze jours ; la prison simple jusqu'à quinze jours, et la prison étroite ou cachot jusqu'à huit; la destitution des caporaux et la suspension des autres sous-officiers jusqu'à trois mois. Lorsque les peines ci-dessus exprimées ne paraîtront pas proportionnées à la faute à laquelle elles doivent être appliquées, le coupable devra être jugé par un tribunal ou conseil de discipline. La compétence de ces conseils de discipline cessera au dessus du grade de capitaine; car, au-dessus de ce grade, les fautes des officiers ne peuvent plus avoir le simple caractère disciplinaire. Quant à la composition de ces tribunaux, il ne faut pas perdre de vue, que le premier principe du droit naturel est que chacun soit jugé par ses pairs. La constitution militaire et le système

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