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hiérarchique qui y est indispensable exigent des exceptions: un soldat, accusé d'un délit de discipline, ne peut être jugé par des soldats seuls; cette mesure serait illusoire. Mais il faut se rapprocher le plus qu'on peut du principe que j'ai mentionné. La majorité des votes pour la condamnation étant fixée à cinq sur sept juges, voici comment je pense qu'on pourrait établir une espèce d'équilibre en faveur de l'accusé. Il faudrait d'abord considérer comme élément fictif du tribunal un individu de chaque grade subalterne, c'est a-dire un soldat, un caporal, un sergent, un sous-lieutenant, un lieutenant et un capitaine, sous la présidence d'un officier supérieur. Pour former le tribunal effectif qui doit juger un accusé, on devrait y placer trois individus de son grade, en supprimant par la queue les membres excédens. Alors on pourrait dire que les accusés sont jugés par leurs pairs, puisque leurs égaux en grade ont les trois votes qui suffisent pour l'absolution.

Tribunaux criminels. Les tribunaux correctionnels ne peuvent rendre que des jugemens dont l'effet n'est pas irréparable. Non seulement ils ne peuvent pas attaquer la vie ou séquestrer une portion prolongée de l'exi tence de l'individu condamné, mais ils ne détruisent pas même l'espérance de voir sa carrière militaire se terminer d'une manière avantageuse. Ce sont plutôt des corrections que des châtimens. Il n'en est pas ainsi des jugemens des tribunaux criminels. Ayant à prononcer sur des cas graves, et qui par cela même présentent une complication de circonstances, et les doutes qui en résultent: devant infliger des peines majeures, qui, lors même qu'elles ne sont pas capitales, influent sur une étendue plus ou moins longue de la vie de l'individu: ces tribunaux ne sauraient être composés avec trop de soin, et on ne peut mettre trop d'attention à balancer l'intérêt de l'individu avec celui de la loi. Un principe de droit public, reconnu dans tous les pays où la justice et la conservation des hommes sont comptées pour quelque chose, veut que la culpabilité d'un accusé ne puisse être reconnue que par ses pairs. Mais cette culpabilité a deux degrés : le premier est la prévention; le second, la conviction. L'un n'est que

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la conséquence de l'autre car il est évident que la conviction n'est que la preuve de la vérité de la prévention, et ne peut pas exister, que la prévention ne l'ait précédé. Il résulte de là qu'avant le jugement qui déclare un individu convaincu d'un délit quelconque, il doit en exister un précédent qui déclare que l'accusation portée, par un ou plusieurs individus est admissible devant la loi. En suivant le principe que je viens d'énoncer, l'accusé doit jouir deux fois de l'avantage d'être jugé par ses pairs. C'est de l'application de ce même principe qu'est née l'institution des deux jurys, l'un d'accusation, et l'autre de jugement. Je puis encore y ajouter un autre motif, tiré de la connaissance pratique du cœur humain. Par une tendance toute naturelle et que produit ce qu'on appelle esprit de métier, l'accusateur public veut accuser, et le juge veut juger, comme l'avocat veut défendre. Si l'accusé est examiné par une section du tribunal qui doit le juger, l'accusateur public votera pour la culpabilité, et les juges pour la prévention. Tout l'appareil préparatoire ne sera qu'une formule tendant à prolonger la procédure. Il faut donc opposer passion à passion, penchant à penchant, et accorder d'abord à l'individu, qui n'a contre lui qu'une accusation qu'on peut considérer comme une plainte douteuse, un premier tribunal, qui, n'ayant pas à le juger, n'aie pas même un motif, quelque détourné et excusable qu'il soit, de le regarder comme prévenu.

Les deux jurys d'accusation et de jugement sont donc l'institution la plus équitable et par conséquent la meilleure qu'on puisse adopter. Mais leur application aux délits militaires ne peut pas être la même qu'aux délits civils: elle a besoin de quelques modifications. Dans la vie civile, l'institution du jury ayant eu pour base l'égalité absolue des droits devant la loi, n'a pu considérer qu'une seule classe, celle des citoyens entre lesquels, sous ce rapport, il n'y a point d'hiérarchie. Il n'en est pas ainsi dans l'état militaire. L'hiérarchie, qui en est la base organique, établit, entre les élémens chargés du pouvoir et ceux à qui elle impose l'obéissance, entre les chefs et les subordonnés, une espèce de conflit, qui est encore plus marqué

dans les délits purement militaires que dans les autres. L'éducation morale tend à faire disparaître ce conflit; mais elle n'y réussit qu'en atteignant à sa perfection. Il doit donc ordinairement arriver que, si, d'un côté, il y a une tendance marquée vers l'affranchissement ou l'allègement de la sujétion, de l'autre, il peut y avoir une tendance à augmenter le pouvoir et à appesantir la sujétion. Ce sont les deux extrêmes qu'il faut éviter, et le meilleur moyen, à mon avis, est de les contrebalancer, de manière à ce que l'un n'ait pas un avantage marqué sur l'autre. Le tribunal préparatoire auquel on peut donner le nom de jury d'enquête devrait donc être, pour les fonds, composé de trois individus du grade de l'accusé et trois des grades plus élevés. La présidence appartiendrait à un officier supérieur, pour les accusés jusqu'au grade de capitaine, et au chef le plus élevé en grade, pour les autres. La prévention ne pourrait être prononcée qu'à la majorité de cinq votes. Le tribunal criminel ou conseil de guerre serait composé, et jugerait de la même manière, excepté qu'il devrait être statué, qu'aucun juge ne pourrait avoir siégé dans le jury d'enquête relatif à lamême accusation.

Des délits et des peines. Nous avons vu que les délits sont en général de deux espèces, disciplinaires ou criminels, et que, par conséquent, les peines à y appliquer doivent recevoir la même classification. Les peines disciplinaires se réduisent ordinairement, et me paraissent devoir en effet se réduire aux suivantes: les arrêts à la caserne et dans la chambre, avee ou sans l'imposition des corvées; les arrêts avec sentinelle pour les officiers, et à la salle de police pour les sous-officiers et soldats, avec l'imposition, pour ces derniers, des corvées intérieures. Ces deux peines ne doivent pas exempter de l'instruction tactique; ne doivent pas durer plus de quinze jours, la première, et un mois la seconde. La prison simple, pour trois mois au plus; la prison étroite ou cachot simple, ou au pain et à l'eau, pour un mois au plus la première, et quinze jours au plus la seconde. Aucune de ces peines ne doit exempter du service militaire, mais l'individu qui en est affecté ne devrait pas le

faire personnellement. Il y contribuerait par une retenue sur sa solde, et cette retenue serait appliquée à la masse générale pour les besoins de l'entretien ordinaire du corps. Une autre peine qui doit être classée parmi les correctionnelles, est celle de la destitution des caporaux et des sous-officiers, et de la suspension de ces derniers pour un terme inférieur à un an; elle doit entraîner la perte de la haute paye correspondante au grade de l'accusé.

Je n'entrerai pas dans le détail des délits qui appartiennent exclusivement à la classe correctionnelle; les codes civils et militaires de toutes les nations civilisées sont à-peu-près d'accord sur ce point. Mais je ne puis me dispenser d'observer qu'en temps de paix la négligence de service, la désobéissance simple, ou inexécution des ordres, la résistance à ces ordres quand elle n'est qu'inerte et qu'elle ne s'étend pas au-delà des paroles; et en temps de guerre la maraude, qui ne porte pas le caractère de vol, ni de violence, ne devraient être punis que correctionnellement.

Il est encore une observation à faire, afin que la dureté disciplinaire, ou l'arbitraire des chefs, ne viole pas l'esprit de la loi, dans l'application des peines; en les aggravant par des sévices. La salle de police ne doit être distinguée des chambres du quartier que par sa fermeture. Celle des sous-officiers doit être séparée de celle des soldats. Les unes et les autres doivent être garnies de couchettes avec une paillasse et une couverture. Les prisons et cachots doivent être sains, aérés et exempts de toute humidité ou odeur méphitique; la paille sur laquelle couchent les individus doit être saine et renouvellée avant qu'elle ne puisse se corrompre. A la salle de police, les individus doivent avoir le même ordinaire que leurs camarades: en prison, ils pourraient n'avoir l'ordinaire qu'une fois par jour, mais alors ils devraient avoir une ration et demie de pain. Il en serait de même au ca. chot simple. Au cachot forcé, l'individu ne doit être tenu au pain et à l'eau que trois jours par semaine, et avec double ration de pain; les autres jours son régime doit être celui de la prison simple. En prison, les individus devraient jouir de la prome

nåde au moins deux heures par jour, et au cachot au moins une heure.

Relativement aux délits criminels et aux peines qui doivent leur être infligées, je vais présenter encore au lecteur quelques observations, que produisent les principes généraux que j'ai exposés plus haut. Les peines afflictives qui peuvent être employées contre les individus de l'armée pour délits purement militaires, doivent se réduire aux cinq suivantes : la destitution de l'emploi, pour les officiers et les chefs; la prison; les travaux publics simples; les travaux forcés, et la mort. Quoique je partage en tout point l'opinion des publicistes philosophes, qui voudraient voir la peine de mort abolie sans exception, dans la société civile, je ne crois pas que ce principe philantropique puisse être applicable à l'état militaire. Les mêmes motifs qui placent l'armée dans un cercle plus resserré et la séquestrent, pour ainsi dire, au milieu de la société, doivent lui donner une législation plus sévère. La nécessité de la circonscrire absolument dans le cercle étroit de ses devoirs et de prévenir l'abus de sa force et des armes qu'elle porte; le caractère même d'abus de pouvoir que portent tous ces délits dans la société, imposent l'obligation de recourir à des moyens de répression plus forts,

Cependant, s'il n'est pas possible d'abolir la peine de mort pour les militaires, il faut au moins en diminuer l'usage tant qu'il est possible. Je pense donc qu'elle ne devrait être absolue que dans trois cas, savoir: la désobéissance à main armée ou rebellion, la trahison et la désertion à l'ennemi. Quant aux autres délits communément regardés comme capitaux, tels que la désobéissance devant l'ennemi, je pense que la peine de mort devrait être regardée comme un maximum, qui ne peut être que le résultat du concours d'un nombre de circonstances aggravantes.

La désertion est de tous les délits militaires celui dont la répression a souffert plus de variations. Il y a eu des pays et des temps où on s'est plu à la punir avec une barbarie aveugle. Il est vrai que dans une armée formée par un recrutement

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