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même préparer ces siphons, opération que les Grecs s'efforcèrent toujours de tenir secrète. Sans chercher ici à la deviner, nous pouvons conclure qu'un artifice qui frappait l'air avec violence, devait, en vertu de la réaction, faire voler les enveloppes, lorsque par hasard celles-ci échappaient de la main des soldats. Or, voilà, dès la fin du 9o. siècle, des espèces de fusées volantes (1).

Dans le célèbre manuscrit de Marcus Græcus (2), on trouve à la fois la manière de composer la poudre à canon, le feu grégeois et les fusées volantes et meurtrières. Les mêmes renseignemens furent reproduits dans un ouvrage du 13o, siècle, attribué à Albert le Grand, Roger Bacon paraît avoir connu quelque

I

(1) Léon le Philosophe monta sur le trône en 880.Il n'est pas certain qu'il ait inventé les siphons à main, mais, avant son règne, on n'en trouve aucune trace dans toute l'histoire byzantine. Les grands siphons décrits d'abord par Thucydide et Apollodore, dont l'usage fut renouvelé par Callinique en 672, étaient des espèces de pompes foulantes qui lançaient du naphte, de la poix et autres matières liquides et inflammables. De là vient le nom de feu Mède (My dixov vp) et feu liquide (po up). Ces artifices qui brûlent jusque dans l'eau, et qu'on a nommés aussi feu romain et feu grec ou grégeois, furent d'abord en usage chez les Assyriens, les Chinois, les Chaldéens, les Perses, les Hébreux, les Mèdes, etc. Ils passèrent ensuite chez les Phéniciens, Ies Grecs, les Romains, les Alexandrins, les Byzantins, les Vandales,. les Arabes, les Francs, etc. Non-seulement on a employé ce feu à des époques très-reculées, mais on n'a jamais entièrement cessé de s'en servir. La manière de le composer et de l'employer se trouve dans un grand nombre d'ouvrages anciens et modernes. Cependant, certaines différences dans les ingrédiens, dans la préparation, et surtout dans le nom, sont cause de toutes les erreurs débitées à son sujet par phane, Cédrène, Albert d'Aix, Mélanchton, La Porte, Pancirolle, Schotte, Ducange, Moréri, Montesquieu, Daniel, Grose, Watson, Gibbon, Hoyer, et une infinité d'écrivains distingués. Un savant anglais, membre de la Société royale de Londres, a publié récemment, sur le feu grégeois, un mémoire ingénieux, mais qui contient des méprises singulières.

Théo

(2) Liber ignium ad comburendum hostes tam in mari quàm in terrá; imprimé à Paris en 1804. Voyez pages 5, 6 et 13.

chose de semblable; mais non plus que Marcus et Albert, il n'a parlé de canon ni d'aucune autre bouche à feu; en sorte que les fusées, dites à la Congrève, qui sont regardées aujourd hui comme une des inventions d'artillerie les plus récentes, sont au contraire une des plus anciennes. En voici d'autres preuves.

Dans différens états de l'Asie, les feux de joie sont en usage depuis un temps immémorial: le juif Benjamin de Tudèle, qui visita la Perse, vers 1173, vit une grande quantité de ces artifices nommés soleils, qui ne sont autre chose que des fusées tournantes. Lorsque les Portugais abordèrent pour la première fois, à Mélinde, en 1498, les Indiens ne cessèrent toute la nuit de tirer des fusées volantes et des coups de canon, signe de réjouissance.

en

On trouve un exemple frappant de l'emploi des feux d'artifice par les Chinois pendant leur guerre contre les Tartares, vers le commencement du 13. siècle : leurs villes trouvèrent un de leurs principaux moyens de défense dans l'usage des bombes, des lances à feu et des fusées volantes.

Celles-ci, nous venons de le voir, étaient connues alors en Europe; mais, malgré des recherches très-nombreuses, nous n avons commencé à trouver des preuves de leur emploi, qu'en 1379 et 1380 Les Padouans s'en servirent pour incendier la ville de Mestre; et les Vénitiens, pour incendier la tour delle Bebe, qui appartenait aux fortifications avancées de Chiogia. Ces faits se passèrent presque à la vue des historiens qui les ont rapportés.

En 1449, Dunois fit jeter des fusées dans la place de PontAudemer; et, tandis que l'assiégé s'efforçait d'éteindre l'incendie, les Français escaladèrent les remparts (1).

Ce n'était pas la première fois que nous faisions usage de ces artifices: un chanoine d'Orléans a reconnu, en compulsant le registre des dépenses de cette ville, que pendant le siége de

(1) Voyez sous cette date la vieille Histoire anonyme de Charles III, ou l'Histoire de la Milice française, par Daniel, t. 1, pag. 576.

1428, on avait donné diverses sommes pour l'achat de matériaux propres à fabriquer des fusées (1).

Dans un manuscrit qui passait pour très-vieux en 1561, les fusées volantes et meurtrières sont décrites avec un soin particulier. On recommande de faire les enveloppes en tôle, et de les vernir pour les empêcher de se rouiller (2).

Un ingénieur en chef de Charles - Quint, Louis Collado, nous apprend qu'à l'époque où il composait son Manuel d'artillerie (en 1586), on se servait de fusées pour éclairer les environs des places assiégées, et pour mettre en déroute la cavalerie. Il veut qu'on leur ajoute des pétards, afin de les rendre plus dangereuses, et qu'on les lance à l'aide d'un long tube, afin d'augmenter leur portée.

Hanzelet recommande aussi d'employer contre la cavalerie des fusées armées d'un pétard, ou d'une grenade.

A la même époque, un auteur anonyme (3) donnait un moyen de diriger les fusées pour brûler les navires, les maisons, etc., à l'aide d'une table à bascule qu'on fixait au degré d'inclinaison convenable, en visant le but que l'on voulait frapper.

Furtembach décrit des espèces de boucliers surmontés d'un tube, qui servent à lancer des grenades à main et des fusées (Ragetten, aujourd'hui Rachetten ). Cet auteur nous apprend que les Barbaresques et autres Musulmans en faisaient un grand usage dans leurs combats de mer. (4) Il ajoute : 1o. que la tête des

(1) Renseignemens donnés par le capitaine d'artillerie Vergnaud.

(2) Petit Traité contenant plusieurs artifices de feu, etc., chap. 25, 26, 35 et 36. Le nom de roquet et celui de roquette, sont employés pour désigner le corps ou l'enveloppe de la fusée. La fusée entière est nommée feu volant comme dans le manuscrit de Marcus Græcus.

(3) Récréations Mathématiques, composées de plusieurs problémes plaisans et facétieux, etc., 3o partie, chap. 15, pag. 41 et 42; Rouen,

1639.

(4) On trouve ailleurs la confirmation de ce fait (Vie de Tourville, par Richer, tome 1, pag. 43). Le chevalier d'Hocquincourt, ayant abordé un vaisseau d'Alger, reçut un grand nombre de grenades et de

fusées doit être armée d'une pointe de fer barbelée; 2°. que parfois on enduit l'enveloppe d'une matière inflammable, pour empêcher l'ennemi de les saisir et de les rejeter; 3°. qu'on insère dans le pétard des balles de fer ou de plomb, qui forment, lorsque le petard éclate, une mitraille très-meurtrière. Cela se iquait déjà pour les bombes, les grenades, les pots à feu et s projectiles creux.

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ers la fin du 17. siècle, et pendant tout le 18., on cessa à rès de se servir de fusées en Europe, si ce n'est pour les de réjouissance et pour les signaux. Cependant, l'artificier sieci fit des expériences, en 1760, sur des fusées destinées

er des matières incendiaires. Il fit aussi des fusées à grees avec un nommé Monjori.

paraît en Asie on continua à employer les fusées à la orre. Un des exemples les plus récens eut lieu en 1799, au e de Seringapatnam; les soldats de Tippoo-Saeb en lancèat un grand nombre contre les Anglais, et elles produisirent effeis extrêmement destructeurs. Les fusées employées par Indiens sont en fer, et armées d'une baguette de bambou; es pèsent ordinairement de 1 à 8 livres.

Julienne de Belair, qui en avait vu précédemment les bons eels, étant revenu en France, entreprit, vers 1791, de les rfectionner, de concert avec C. F. Ruggieri. Ce dernier en fabriqua de nouvelles en 1798, pour un armateur de corsaire,

Bordeaux. Mais ces différentes personnes et quelques autres, parmi lesquelles on remarque les généraux Lariboissière, Marescot, Éblé, essayèrent inutilement de faire adopter cette innovation militaire. Sir William Congrève fut plus heureux, en 1805, auprès de son gouvernement.

Les premières fusées qu'il fit exécuter pour le service des troupes anglaises étaient garnies seulement de matières incen

Jances à feu. Ce dernier artifice, semblable au siphon à main des Grecs et à nos chandelles romaines d'aujourd'hui, formait une espèce de fusée volante, dès qu'il était abandonné à lui-même. Souvent, au reste, on a confondu ensemble les lances à feu et les fusées

diaires (1), et c'est surtout ce qui a contribué à les discréditer.

En effet, lorsqu'on lance dans une ville des fusées ou d'autres projectiles chargés de ces matières, ils tombent souvent sur des pierres ou de la terre, et s'y consument en pure perte; que s'ils tombent sur un objet combustible, on annulle leur effet en les déplaçant avec promptitude, ou en jettant de l'eau sur l'incendie naissant: il en est de même à bord des navires. Quant aux troupes (l'effroi des chevaux à part), elles ne sont offensées par les projectiles incendiaires que dans le cas où elles se trouvent précisément sur leur passage.

Les projectiles détonans, pleins de poudre, sont évidemment plus redoutables: non-seulement ils peuvent causer des incendies, si l'on n'y remédie à temps, mais leur explosion détruit tout ce qui les entoure.

Le premier essai des fusées du général Congrève eut lieu en octobre 1806, contre la ville de Boulogne. Depuis cette époque, les Anglais ont continué d'en faire usage, dans presque toutes leurs expéditions. En 1813, le prince royal de Suède commença, ainsi que les Prussiens, à employer ces armes pour le service de campagne: il avait réuni un corps de tireurs de fusées à la division de l'armée coalisée qui était sous ses ordres. Enfin le prince régent d'Angleterre, d'après les rapports avantageux qui lui furent faits sur cette espèce d'artillerie légère, ordonna la formation d'un corps de tireurs de fusées qui fut organisé le 1er. janvier 1814, et adjoint aux régimens d'artillerie. Des détachemens de ce corps furent envoyés vers la même époque à l'armée des Pyrénées sous les ordres du général Wellington, et, l'année suivante, il s'en trouva aussi dans les rangs de l'armée anglaise à Waterloo.

Maintenant des compagnies de fusées à la Congrève sont incorporées dans plusieurs régimens anglais de l'artillerie légère,

(1) Un de nos plus habiles chimistes, M. d'Arcet, a donné l'analyse de ces matières et la description des fusées avec une exactitude et une clarté parfaites. — Bulletin de la Société d'Encouragement. Juin 1814, p. 137

et suivantes.

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