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et on en a même introduit dans les brigades du même corps dans l'Inde.

Depuis la campagne de 1815, le général Congrève a déclaré que, si la guerre eût continué, il eût tellement étendu et perfectionné l'usage de ces projectiles, que le fusil serait devenu une arme purement auxiliaire.

Quelques personnes, en Angleterre et en France, ont disputé à cet actif et ingénieux officier l'invention des fusées de guerre, prétendant en être les véritables auteurs. Mais ces artifices ayant été employés autrefois en Europe et l'ayant toujours été en Asie, comme on vient de le voir, la seule prétention raisonnable était d'en renouveler l'emploi et de les perfectionner: c'est positivement ce qu'a fait le général Congrève.

INCONVENIENS ET AVANTAGES ATTRIBUÉS AUX FUSÉES A LA

CONGRÈVE.

Voyant un moyen de destruction aussi terrible que nouveau dans les fusées à la Congrève, quelques philantropes prompts à s'alarmer sur les progrès de l'art de la guerre, et quelques écrivains, plus prompts encore à déclamer sur toute espèce de sujets, ont reproché vivement aux Anglais de tirer des fuséés sur leurs ennemis, au lieu de lancer des bombes, des boulets incendiaires, de la mitraille et d'autres projectiles en usage.

Admettons momentanément la supériorité des fusées sur ceux-ci, et examinons, sans partialité, si nos rivaux ont tort d'obtenir, avec plus d'art, des succès plus décisifs, et si nous ne devrions pas adopter et même entreprendre de perfectionner une innovation importante, plutôt que d'en faire l'objet de vaines déclamations.

Dans une rixe particulière, le point d'honneur fait une loi de ne se présenter sur le terrain qu'à nombre égal et avec des armes semblables; mais d'autres principes sont suivis dans les

querelles des nations: chaque gouvernement s'efforce de surpasser ses adversaires par la nature et la grandeur de ses armemens; les généraux cherchent à opposer des troupes nombreuses au moindre corps ennemi, à prendre des positions avantageuses ou même à dresser les plus perfides embûches; enfin les ingénieurs et les artilleurs s'occupent sans cesse de perfectionner la fabrication ou l'emploi des armes offensives et défensives. Tout cela paraît légitime, indispensable. La loi, ou du moins l'opinion, frappe celui qui néglige à cet égard les devoirs de sa profession. Mais si quelqu'un crée de nouvelles ressources militaires, on crie aussitôt à la violation du droit des gens; et tel écrivain, ou tel officier, qui trouve fort naturel qu'on cherche par des perfectionnemens de détail à se procurer des armes parfaites, s'indigne qu'on y parvienne tout d'un coup par une amélioration capitale.

On s'est souvent figuré que les guerres seraient plus meurtrières, à mesure que la stratégie, la fortification et l'artillerie feraient des progrès. Mais l'histoire prouve le contraire; surtout depuis l'adoption des bouches à feu, qui furent l'objet des lamentations et de l'exécration de tant d'écrivains du 15e. siècle, et même d'époques très -récentes. C'était, à les entendre, une invention diabolique, qui devait causer la ruine totale du genre humain... Ceux qui déclament aujourd'hui contre les fusées à la Congrève ne montrent pas plus de prévoyance.

Les gens de lettres, au surplus, sont fort excusables lorsqu'ils portent de faux jugemens sur les inventions militaires; on peut citer en leur faveur d'illustres et mémorables exemples. Laissons parler ici un des raisonneurs les plus spirituels et les plus clairvoyans qui aient jamais existé: « Les armes à feu, disait Montaigne, sont de si peu d'effet, que, sauf l'étonne» ment des oreilles, à quoi chacun est désormais apprivoisé, j'espère qu'on en quittera l'usage.

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Quelques hommes du métier, il faut en convenir, avancent aussi de singulières opinions sur les perfectionnemens de l'art de la guerre. Ainsi un officier sorti de la plus célèbre des écoles s'exprimait de la sorte, en 1812: « Par ces deux préludes

» de nos méditations, les places sur les frontières des Etats » du grand Empereur et de ses descendans, seront des bou» levarts contre lesquels désormais viendront échouer les inventions infernales des Vauban (1), des Bélidor (2) et des Con» grève (3). »

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Les Anglais prétendent que, lors de l'attaque de Flessingue, en 1809, le gouvernement français fit des remontrances formelles à lord Chatam, contre l'emploi des fusées dans le bonbardement de cette place. Nous aimons à douter de cette démarche; mais dans les cas où elle auroit eu lieu, lord Chatam n'aurait-il pas été en droit de répondre : « La plupart des per» fectionnemens de l'artillerie ont été l'ouvrage de la nation française, à l'époque où elle était la plus civilisée, ou la plus >> industrieuse du monde; elle a substitué aux énormes pièces » des premiers temps, qui tiraient de grosses boules en pierre, » des canons faciles à transporter, et lançant avec autant de » célérité que de précision des boulets en fer de tous calibres. » C'est le chevalier Renau, qui fit connaître le moyen de bom» barder les villes maritimes, Enfin voici un fait très-ancien, » mais trop semblable à la circonstance actuelle, pour ne pas

(1) Cette apostrophe contre Vauban, le plus humain des guerriers, vient à l'occasion du tir à ricochet, qui annula presque la défense des places fortes. Mais qu'en résulta-t-il? on démonta presque subitement l'artillerie de ces places; on les fit capituler après quelques jours de tranchée ouverte, et après de très-faibles pertes en hommes; tandis qu'en faisant usage de l'artillerie suivant l'ancienne méthode, on eût peut-être, sans avancer le terme de la guerre, perdu, de part et d'autre, plusieurs milliers d'individus.

(2) Bélidor est accusé pour les globes de compression ou mines surchargées, que l'ingénieur Lefebvre contribua plus que celui-ci à mettre en usage; mais ni l'un ni l'autre n'en est l'inventeur, puisque ce fut par une mine surchargée que Pierre de Navarre prit le château Dell-Ovo, dès l'année 1503; et puisque beaucoup d'autres mines de ces premiers temps furent également surchargées.

(3) Mémoire sur la guerre souterraine, la poudre de mine, et sur une nouvelle bouche à feu, par C......., capitaine au corps impérial du génie, page 38. Savone, 1812.

» le citer: Un des meilleurs rois qu'ait eu la Pologne, inventa certains » boulets à feu qu'il fit jeter dans les retranchemens des Livontens et » des Moscovites, lesquels n'étant bátis que de bois, faisaient beau feu » par tous les quartiers: de quoi ces barbares firent leurs plaintes dans

l'épouvante que ce feu leur donna, disant qu'on violait en cela le droit » de la guerre, et que la bienséance des armes ne pouvait être que polluée » que par des fraudes et des tromperies si manifestes; mais on se mo» qua d'eux et de leurs raisons (1).

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La question du perfectionnement des armes est jugée depuis long temps par tous les hommes éclairés. C'est à ce perfectionnement que les nations doivent principalement leur existence et leur rang politiques; c'est par là que les Grecs sortirent victorieux de leur lutte contre le grand roi; que les Macédoniens se rendirent si célèbres sous Alexandre; que les Romains furent le premier peuple du monde; que Charlemagne rétablit l'empire d'occident; que les Espagnols et les Portugais ont soumis les deux Indes. Les conquêtes dues au nombre des combattans plus qu'à l'industrie militaire, sont à la fois les plus funestes aux vaincus et les moins glorieuses pour les vainqueurs : telles furent celles des Goths, des Huns, des Vandales, des Mogols, et de toutes les hordes sauvages ou à demi civilisées.

Si le général Congrève a réellement créé des moyens de destruction très supérieurs à ceux en usage, l'histoire placera son nom à côté des noms immortels d'Archimède, de Priscus, de Callinique, de Vauban et de Fulton; et la nation qui fera le meilleur emploi de ces moyens, deviendra, si elle ne l'est déjà, la plus puissante et la plus respectée entre toutes les nations.

Mais, jusqu'à ce jour, il n'est nullement certain que les fusées aient obtenu sur les bombes, les obus, la mitraille et autres projectiles ordinaires, un avantage général et décisif. Un grand nombre de récits tendent à prouver le contraire.

Les fusées, dit-on, étonnèrent à peine nos conscrits dans la campagne d'invasion du midi de la France; et elles n'inspirè

(1) Justi Lipsii Poliorceticon: in Casimiro Siemienovicz, Ars magna artilleriæ. La citation précédente est copiée textuellement, page 259, d'une traduction faite en 1651, du grand art d'artillerie.

rent que du mépris aux milices américaines en 1815, dans les environs de la Nouvelle-Orléans. Il en fut tiré un grand nombre dans cette expédition, mais elles ne mirent hors de combat que dix hommes, quoiqu'elles eussent fait sauter deux caissons. Dans les siéges mêmes, les détracteurs des fusées assurert qu'elles occasionnèrent moins de dommages que les boulets, les bombes, les obus et les carcasses incendiaires; ils prétendent qu'à Flessingue elles retournèrent contre ceux qui les avaient lancées, et que, si elles produisirent quelques dégâts dans cette place ainsi qu'à Boulogne, il faut en accuser la frayeur des habitans, qui leur fit négliger les précautions d'usage en pareille occasion (1); ils rappellent en outre combien elles furent nulles contre Plattsburg, Norfolk, Lewiston, Stonington, et contre plusieurs citadelles.

Les partisans des fusées citent la plupart des mêmes combats et des mêmes siéges, mais dans un sens bien différent. Ils se prévalent de relations qui attribuent des effets très meurtriers aux nouveaux projectiles, notamment à Leipsick, dans le midi de la France et à Waterloo. Dans la première de ces affaires, s'il faut en croire les auteurs anglais et allemands, la compagnie des artificiers, commandée par le capitaine Bogue, employa les fusées à la Congrève avec le plus grand succès. Un écrivain français ajoute que le corps commandé par le général Nansouty fut repoussé par une division appuyée de l'artillerie saxonne et de la batterie de fusées à la Congrève, que le prince royal de Suède avait envoyée sur ce point. Voici en outre ce que dit un de nos compatriotes: « Ces fusées devinrent le principal auxiliaire de l'artillerie anglaise ; la flotte française dans la baie des Basques, l'expédition de Walcheren, les ports des Asturies, Copenhague, les carrés français à Leipsick, les

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(1) A Boulogne, elles devinrent bientôt la risée des matelots, qui leur donnèrent le nom de fusées brûlotières; ils les détachaient avec des leviers de fer ou de bois, et les jetaient ensuite à la mer. Du sable mouillé éteignait promptement les matières enflammées que ces fusées vomissaient par plusieurs orifices. (Victoires et conquêtes, tom. 17, pag. 295).

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