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paratif de siége; leur transport ne réclame impérieusement aucune espèce de voiture; il peut s'effectuer à bras, ou sur le dos de toutes les bêtes de somme, non seulement en plaine, mais dans les pays couverts de montagnes, de bois et de marais inaccessibles à l'artillerie ordinaire; de sorte qu'une troupe quelconque a la faculté, pendant la nuit, de s'approcher trèsprès des murs d'une place, et de jeter dans son enceinte une grande quantité de fusées. Une attaque semblable nuirait considérablement aussi à des troupes retranchées dans un camp.

9o. Dans le bombardement des places maritimes, on ne peut employer les mortiers qu'à bord de navires d'une certaine grandeur et à l'aide d'une installation qui exige beaucoup de temps et de dépense, et qui nuit à tout autre service. Le chevalet des fusées se place sans difficulté, au moment du besoin, à bords des bateaux de toute grandeur, ou même à bord des chaloupes, des canots et autres petites embarcations: celles-ci 'ont d'ailleurs un avantage qui tient à leur petitesse ; elles s'approchent de terre, malgré les rochers et les bas fonds, et l'ennemi ne saurait les apercevoir pendant la nuit qu'à une trèspetite distance. Tout navire de guerre ou de commerce, approvisionné de fusées, est donc à même d'attaquer subitement les places maritimes les mieux fortifiées, soit en lançant les projectiles de son bord, soit en les faisant lancer par ses embarcations; en sorte que des villes réputées inexpugnables, telles que Saint-Malo, Gibraltar ou Cadix, sont réellement dans le cas d'être entourées de jour ou de nuit par les embarcations d'un escadre, et d'être subitement couvertes de feu. En faisant usage de ce moyen, nous cussions évité, au dernier siége de Cadix, les retards causés par les préparatifs de navires à bombes; retards qui eussent élé très-funestes à notre escadre, si le coup de vent d'équinoxe eût été plus violent.

10°. Il arrive fréquemment dans un siége que les pièces, à force de tirer, sont mises hors de service. Les affûts et les plates-formes éprouvent le même accident. Les chevalets des fusées n'y sont nullement exposés; en outre ils offrent peu de prise aux projectiles de l'ennemi; et, s'ils sont brisés, leur

perte est facile à réparer en raison de leur légèreté et de la modicité de leur prix, qui permet d'en avoir de rechange. Enfin nous avons déjà vu qu'on remplace le chevalet par des talus, des piquets, etc.

11o. A la suite de combats ou de longues marches, on se trouve souvent séparé des approvisionnemens qui appartiennent à certaines bouches à feu, ou des bouches à feu propres à certains approvisionnemens: alors il n'y a plus moyen d'employer sur-le-champ ni les uns ni les autres. Quant aux fusécs, il est toujours possible de lancer celles qu'on a sous la main.

12. La plupart des villages, des bourgs et des petites villes sont bâtis en long, sur le bord des grandes routes; et, lorsque des troupes battent en retraite, elles peuvent profiter de ce genre de localité pour arrêter leurs ennemis, à l'aide des fusées. Vers le milieu de la grand'rue, l'arrière-garde établirait, à quelque distance l'une de l'autre, deux ou trois barricades, ou des coupures propres à servir chacune de talus à une centaine de fusées; puis se tenant en avant et sur les flancs de ces ouvrages, elle ferait mine de vouloir les défendre, et elle se retirerait successivement derrière chacun d'eux en mettant le feu aux fusées. Nous venons de supposer que la rue principale se trouvait percée en ligne droite; si elle formait des coudes très-prononcés, les maisons placées dans les retours dispenseraient de faire des talus; on braquerait les fusées dans les fenêtres, dans les portes, ou dans des meurtrières percées à la hâte. Les défilés formés par des montagnes ou par d'épaisses forêts, peuvent également être défendus par des rangées de fusées.

13o. Il est un avantage inhérent à toutes les armes nouvelles, qui appartiendra quelque temps encore aux fusées; c'est d'inspirer plus d'effroi, à égalité de puissance, que les armes ordinaires, surtout lorsqu'on les emploie contre des peuples peu avancés en civilisation, comme les montagnards grecs; ou peu aguerris, comme les milices du Hâvre-de-Grâce en Amérique.

14o. Envisagées sous ce dernier aspect, les fusées semblent favoriser l'oppression et l'envahissement; mais on reconnaît

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aisément le contraire. En effet, lorsqu'un peuple se lève en masse pour maintenir ou pour conquérir son indépendance, il est ordinairement dépourvu des moyens matériels et des talens nécessaires pour faire le siége des villes, des forteresses ou des camps retranchés dans lesquels s'enferment les satellites de la tyrannie. Quelques milliers de fusées achetées à l'étranger serviraient à foudroyer ces places et à décider du sort de la patrie (1).

Nous venons d'indiquer les conséquences les plus directes des documens précédens; plusieurs de ces conséquences ont échappé aux partisans et aux antagonistes des fusées; mais, en revanche, ils ont hasardé bien des assertions que nous avons passées sous silence.

Il est à peu près inutile de répondre à des personnes qui se trompent sur les faits les mieux constatés, et qui avancent, par exemple, que la portée des fusées est au plus de 1200 toises; que les obus et les bombes contiennent une plus grande quantité de roche à feu que les fusées, etc. On aurait su, en consultant quelques-uns des ouvrages déjà cités et plusieurs autres, que l'amplitude des fusées fabriquées par les Anglais, s'étend à 1700 toises, et que les Français en ont construit qui ont porté jusqu'à 2100 toises. On aurait su, en outre, que des fusées de moyenne grosseur contiennent jusqu'à 18 livres de rcche à feu, tandis que nos plus grosses bombes, farcies de roche à feu, en contiendraient au plus 5 ou 6 livres.

Mais il est des erreurs présentées d'une manière plus spécieuse qui méritent davantage notre attention.

Les auteurs anglais qui se sont le plus occupés des fusées, prétendent que le prix en est moindre que celui de la charge d'aucune arme à feu, sans y comprendre le prix de la construction et de transport de cette arme; et ils n'ont pas craint d'affirmer

(1) Lord Cochrane a employé des fusées contre la garnison royaliste du fort de Callao. Le non-succès de cette attaque doit être attribué à ce que les fusées ne furent pas lancées en assez grand nombre, ou avec assez d'adresse, ou à ce qu'elles n'avaient pas les dimensions requises.

que les fusées composent l'espèce d'artillerie la moins dispendieuse possible.

Répondons d'abord à cette dernière assertion. Fixer ainsi des limites au génie de l'homme, dans la carrière des arts mécaniques, c'est manquer totalement de savoir et de raison. Tous les jours on voit exécuter des choses jugées impossibles par nos ancêtres nos neveux s'avanceront à leur tour beaucoup plus loin que nous dans ceile vaste carrière. Nous en pouvons d'autant moins douter, que depuis le commencement de notre siècle sur tout, les découvertes, les inventions et les perfectionnemens se succèdent avec une rapidité inouïe et toujours croissante.

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Examinons à part ce qui concerne le prix comparatif des fusées et des projectiles ordinaires. En jetant un nouveau coupd'œil sur le tableau relatif aux approvisionnemens des bombes, des obus et des fusées, on se convaincra que, même en y comprenant les bouches à feu, les anciens approvisionnemens doivent étre à peu près quatre fois moins dispendieux que les approvisionnemens des fusées, attendu qu'ils sont composés en partie de matériaux moins chers, et qu'ils sont trois ou quatre fois moins lourds et sept à huit fois moins volumineux.

L'avantage d'exécuter des bombardemens extraordinairement actifs, procurerait, il est vrai, une grande compensation en faveur des fusées, mais on n'a pas encore assez de données à ce sujet, pour déterminer si cette compensation produirait un nouveau matériel de siége moins dispendieux que l'ancien. Nous ne devons guère parler que du matériel du siége, car les fusées décrites jusqu'ici ne sauraient composer uniquement l'artillerie de place et encore moins celle de bataille. Elles sont évidemment inférieures, dans la défense des places, aux fusils de rempart, aux carabines rayées, aux obusiers, aux mortiers à la Cochorn, et aux pierriers: avec les fusils de rempart et les carabines rayées, on peut mettre hors de combat quiconque élève seulement la tête au-dessus des tranchées; avec un feu vif d'obusiers, pendant le jour et même pendant la nuit (en jetant d'avance quelques balles d'éclairage), on a la faculté de bouleverser le parapet des parallèles ennemies; enfin avec les mortiers à la Coëhorn et les pier

riers, on tourmente les assaillans dans le fond de toutes leurs tranchées.

Les fusées incendiaires, ou à obus, dont il est question, ne remplaceraient, en aucune manière, les fusils de rempart, ni les carabines rayées; ni même les obusiers qui, pour mieux détruire l'épaulement des parallèles, doivent être tirés horizontalement. Ainsi donc, les nouveaux projectiles n'auraient à remplacer, du côté des assiégés, que les balles à feu. Mais nous avons déjà montré que les fusées d'éclairage coûtent plus que les balles à feu; et nous allons voir que, sous ce rapport, elles ont encore plus de désavantage si on les compare aux mortiers à la Coëhorn et surtout aux pierriers: les mortiers à la Coëhorn lancent, jusqu'à 500 toises, des grenades du calibre de 16 et de 3 livres, avec des charges de poudre de 13 et de 9 ́onces; au lieu de ces petites charges, il faudrait, pour lancer les mêmes grenades, des cartouches de fusées contenant environ 8 et 4 livres de matière fusante, dépense à laquelle il faudrait ajouter le prix de la tôle, de la baguette et d'une manipulation soignée ; en sorte que le rapport des dépenses totales serait environ de 1 à 7. Le même rapport est difficile à fixer pour les pierriers, parce qu'il n'y a aucune espèce de fusée dont l'effet puisse leur être assimilé; mais on reconnaîtra combien leur service doit être économique, en sachant qu'un pierrier du calibre de 15 pouces ne pèse que 1050 livres, et qu'il lance 100 livres de pierres menues, ou de gros cailloux, avec une charge de 2 1⁄2 livres de poudre.

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Nous sommes enfin obligés d'éluder une comparaison directe, à cause de la trop grande différence du tir, entre les fusées déjà décrites, et les armes à feu dont on se sert en campagne, savoir: les fusils, les pistoles, les canons et même les obusiers car ceux-ci fournissent, comme les pièces de bataille, des tirs rasans et des ricochets que ne donnent pas. les fusées.

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C'est en faisant abstraction de la plupart de ces considéra tions, et en ayant toujours en vue la méthode de porter des matières incendiaires à de très-grandes distances, que les par

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