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terrain, rendu dangereux par l'incertitude du passage dans les marais, était désavantageux aux Romains, couverts d'armes pesantes, et peu habiles à nager; les Germains, au contraire, accoutumés à nager, et armés légèrement, et armés légèrement, étaient encore aidés par leur haute taille.

Les plus braves soldats des Romains, harcelés par les Bataves, engagèrent le combat ; mais bientôt le trouble se mit parmi eux, lorsqu'ils virent ces marais profonds, engloutir hommes et chevaux. Les Germains parcouraient les gués qui leur étaient connus, et souvent, au lieu d'attaquer de front, se présentaient en flanc et à dos. On ne combattait pas corps à corps, comme dans une bataille ordinaire ; mais comme dans un combat naval, errant au milieu des eaux; et s'il se rencontrait quelques lieux fermes, les combattans s'y cramponnant de toute la force de leurs corps, blessés et sains, nageurs ou non, s'entrainaient dans une perte mutuelle. Il y eut cependant moins de perte, que ne le comportait le désordre, parce que les Germains, ne voulant pas se hasarder hors du marais, rentrèrent dans leur camp. L'évènement de ce combat excita, par des motifs opposés, les deux chefs à hâter une action décisive. Civilis, pour profiter de la fortune; Cérialis, pour venger un affront. Les Germains étaient enorgueillis par le succès; les Romains, excités par la honte. La nuit se passa chez les Barbares, au milieu des chants et des clameurs ; chez les Romains, en fu

reur et en menaces.

Le lendemain, au point du jour, Cérialis, rangea la cavalerie, et les cohortes auxiliaires, en première ligne; les légions (1) occupèrent la seconde, et il garda auprès de lui une

le champ de bataille. Le second jour Cerialis tourna la position de l'ennemi par le haut de l'inondation, par Veen, et sans doute à la rive des bois qui sont encore de ce côté, et qui qu'autrefois s'étendaient plus bas.

(1) Cerialis avait amené d'Italie la 21° légion entière. Les débris des 4 et 22° et des vexillaires de la 5e et de la 15e qui avaient composé l'armée de Vocula, qui s'étaient d'abord battus contre Sextilius Félix,

réserve d'élite. Civilis n'étendit point le front de son armée, il rangea ses troupes en masses: les Bataves et les Gugernes, à droite, et les Transrhénans, à gauche, touchant au fleuve. Les chefs parlèrent à leurs troupes, non pas en allocution formelle, mais en passant devant elles. Cérialis leur rappelant la gloire et les victoires de tous les temps du peuple romain, les animait à détruire à jamais un ennemi perfide, lâche et déjà vaincu, qu'on aurait plutôt à châtier qu'à combattre. N'oubliant aucun motif d'émulation, il saluait la 14a légion du nom de vainqueurs des Bretons, rappelait à la 6o la faveur de Galba qui l'avait formée, exhortait la 2° à inaugurer son aigle, encore vierge. Arrivé aux légions germaniques, il leur montra de la main leur camp et leur rivage, qu'il fallait reconquérir par le sang ennemi. Tous répondirent par un cri d'allégresse, les uns rendus avides de combats, par une longue paix; les autres fatigués de la guerre, et attendant de cette paix le repos et la récompense de leurs travaux.

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Civilis ne négligea pas de haranguer ses troupes, appelant en témoignage de leur valeur, ces champs où ils allaient combattre. Les Germains et les Bataves étaient sur les vestiges << de leur gloire, et foulaient aux pieds les cendres et les ossemens des légions. De quelque côté que les Romains jetas« sent les yeux, ils ne pouvaient apercevoir que la captivité, << la mort, et de funestes images. Qu'il ne fallait pas s'effrayer « de la déroute de Trèves, où les Germains, eux-mêmes, " avaient nui à la victoire, en quittant les armes, pour se charger de butin ; que depuis lors, tout leur avait été prospère et contraire à l'ennemi. Que l'art de leur général avait préparé tout ce qui pouvait être avantageux; des champs « inondés qu'ils connaissaient, et des marais nuisibles à l'ennemi. En présence du Rhin, et des dieux de la Germanie,

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et s'étaient unis à lui après, rejoignirent à Mayence et à Bingen. A Trèves, Cerialis reçut d'abord les 1o et 16o, et plus tard les 2o, 6o et 14a le joignirent. Il avait donc six légions complettes, les vexillaires, de quatre autres, un nombre de cohortes auxiliaires, et plusieurs régimens de cavalerie, au nombre desquels les Picentini et les Singularés.

« sous les auspices de qui ils engageraient le combat, devant « leurs femmes et leurs enfans, ce jour devait élever leur « gloire parmi leurs ancêtres, ou les couvrir de honte aux yeux « de leur descendans ». Les troupes ayant, selon l'usage, applaudi par le son de leurs armes et le battement des pieds, une grèle de pierres, de balles, et d'autres traits, engagèrent le combat, les soldats Romains évitant d'entrer dans le marais, et les Germains les harcelant pour les y attirer.

Les armes de jets épuisées, et le combat s'échauffant, les ennemis s'avancèrent avec plus d'ardeur. Avec leur grande taille et leurs longues lances, ils atteignaient de loin nos soldats chancelans, et flottant dans ces marais. En même temps, un gros de Bructères arriva à la nage, de la digue dont nous avons parlé. Cette attaque porta de la confusion à la droite, et les cohortes alliées étaient repoussécs, lorsque les légions vinrent les appuyer, arrêtèrent l'effort de l'ennemi, et rétablirent le combat. Dans ce moment, un transfuge Batave s'approcha de Cérialis, et lui offrit de lui faire tourner l'ennemi, s'il envoyait de la cavalerie à l'extrémité du marais. Le terrain y était solide, et les Gugernes chargés de ce poste, le gardaient négligemment. Deux régimens de cavalerie, envoyés avec le transfuge, enveloppèrent l'ennemi surpris. Au cri qui s'éleva, les légions attaquèrent de front, et les Germains enfoncés, se sauvèrent vers le Rhin. La guerre eut été terminée ce jour-là, si la flotte avait fait plus de diligence, la cavalerie même ne put continuer la poursuite, à cause d'une forte pluie et de la nuit.

Le lendemain, la 14a légion fut envoyée dans la province supérieure à Annius Gallus; la 10 venue d'Espagne la remplaça à l'armée de Cérialis. Civilis reçut du secours des Chauques, mais, n'osant pas défendre les bourgs des Bataves (1), il en fit enlever ce qu'on put emporter, y mit le feu et se retira dans l'île, sachant bien que les Romains n'avaient pas de bâ

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(1) Il s'agit ici des bourgs et villages bataves, qui étaient hors de l'île, entre le Vahal et la Meuse. Dans ce nombre étaient Noviomagus (Nimègue), et Batavorum oppidum (Battenburg.

teaux pour un pont, et ne pouvaient pas passer sans cela. En outre il fit ouvrir la digue construite par Drusus (1), et deversa ainsi, du côté des Gaules, le Rhin que sa pente naturelle y porte déjà; alors, comme si le fleuve eût été desséché, il ne resta plus qu'un petit canal entre l'île et la Germanie, qui paraissaient réunis en un continent. Tutor et Classicus passèrent le Rhin avec cent treize sénateurs tréviriens, parmi lesquels. étaient Julius Alpinus, envoyé, comme nous l'avons vu, par Primus dans les Gaules, et son frère Decimus Alpinus. Tous ensemble, excitant la commisération et employant les présens, réunirent des secours parmi des peuples avides de dangers.

La guerre était cependant si loin d'être terminée, que Civilis fit un jour une quadruple attaque sur les quartiers des cohortes de la cavalerie et des légions. La 10° légion était à Arenacum (Art près Arnheim); la 2o, à Batavodurum (Wyck te Durstède); les cohortes auxiliaires, à Grinnes (Rhenen), et la cavalerie, à Vada (Wageningen) (2). Civilis divisa ses forces de manière à ce qué lui, Vérax, fils de sa sœur, Classicus et Tutor commandèrent chacun une des attaques. Il ne comptait pas sur un succès complet, mais il pensait qu'à ceux qui hasardent beaucoup

(1) Il paraît que Drusus, pour obvier aux inondations de la branche principale du Rhin, ne s'était pas contenté de creuser le canal de l'Yssel, mais qu'il avait encore fait construire une digue le long de la rive gauche jusqu'à la mer. C'est cette digue que Civilis rompit près de Bata vodurum, qui reste à la rive gauche. En creusant le Leck en 860, il paraît ou qu'on l'ouvrit au-dessous de Wick, ou que cette ville fut bâtie en face de Batavodurum, Civilis, qui se doutait bien que Cerialis finirait par passer le Vahal, voulut lui opposer un second obstacle. En même temps, en appauvrissant le Rhin jusqu'à la mer, il facilitait les communications entre la partie inférieure de l'île des Bataves et

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la Germanie.

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(2) Tacite ne parle pas du passage du Vahal par Cerialis. Il est cependant certain qu'il le passa, puisque les lieux cités sont sur le Rhin. S'il les eût occupés matériellement, il aurait même déjà eu passé le Rhin; mais il paraît que les positions qu'occupèrent les troupes étaient en face de Vada et de Grinnes, où sans doute il voulait faire jeter des ponts.

la fortune sourit quelque part; il espérait aussi pouvoir enlever Cérialis, assez imprudent, et obligé de courir en plusieurs lieux, par la multiplicité des avis. Ceux qui se présentèrent devant la 10a légion, jugeant l'attaque d'un camp trop hasardeuse, se contentèrent d'attaquer les soldats répandus dans la campagne et les ouvriers employés à couper du bois de travail. Le préfet du camp, cinq des principaux centurions et quelques soldats furent tués, le reste se défendit derrière les retranchemens. Pendant ce temps les Germains s'efforçaient de couper le pont commencé à Batavodurum. La nuit mit fin au combat. Les Romains souffrirent davantage à Vada et à Grinnes. Le premier endroit était attaqué par Civilis, et le second par Classicus. A peine les Romains purent-ils contenir l'attaque, et ils perdirent leurs plus braves guerriers, entre autres Briganticus, préfet de cavalerie, fidèle aux Romains, et, comme nous l'avons dit, ennemi de son oncle Civilis. Mais Cérialis étant arrivé avec un corps de cavalerie d'élite, la fortune changea, et les Germains furent culbutés dans le fleuve. Civilis, en voulant arrêter les fuyards, fut reconnu, et, comme tous les traits se dirigeaient sur lui, il abandonna son cheval, et se jeta à la nage. Les Germains se sauvèrent de même; Tutor et Classicus passèrent dans des barques. La flotte romaine ne se trouva pas au combat, comme il lui avait été ordonné : elle en fut empêchée par la crainte, et parce que les rameurs étaient absens et employés à d'autres services militaires. Il est vrai que Cérialis accordait peu de temps pour exécuter ses ordres: il était rapide dans ses dispositions, et brillant dans l'exécution. Il était heureux même là où le talent était en défaut; de là venait le relâchement de la discipline tant de son côté que dans l'armée. Peu de jours après, quoiqu'il échappât à la captivité, il n'échappa pas à un affront.

Il était allé à Novesium et à Bonne visiter les camps d'hiver qu'on construisait pour les légions, et revenait par eau, l'escorte dispersée, et les sentinelles peu attentives. Les Germains avertis lui tendirent des embûches. Ils choisirent une nuit obscure, et s'abandonnant au courant, ils pénétrèrent dans le camp sans

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