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tionale, le fonds, l'industrie et les capitaux, les deux derniers résident en plus grande abondance dans la ville. La propriété foncière ou immobile est inhérente au pays; la mobile l'est à la ville. Cette dernière étant plus à la portée du pouvoir des hommes et plus exposée à l'effet des desseins de l'ennemi, est celle qui doit être le plus protégée.

Toutes les villes d'un état, correspondent à leur tour à un centre commun, à une capitale, qu'on peut considérer comme le centre de gravité de tout le pays. Là se réunit tout ce que la richesse nationale a de plus important et de plus respectable, là réside le principe de la vie politique. C'est le centre de l'action du gouvernement, de la législation, des sciences, des arts, de l'industrie, du commerce intérieur et des grandes fortunes. C'est à ce centre que doivent nécessairement tendre tous les efforts de l'ennemi; et c'est à le conserver que le stratégicien doit diriger toute son habileté et ses moyens.

Le principe de centralisation que je viens d'exposer et de développer, va nous servir à déterminer les règles générales qu'il faut suivre pour sauver l'élément immobile de la force de guerre et le défendre contre les efforts de l'ennemi.

Celui-ci peut entrer dans le pays qu'il veut attaquer par différens chemins, et comme l'on ne peut pas prévoir qu'elle est la direction qu'il choisira, il faudrait que l'armée puisse être placée en même temps sur tous ces chemins, afin de pouvoir arrêter l'ennemi⚫ sur quelque point qu'il se présente. Mais la force d'action d'une armée reposant uniquement dans l'union de ses parties constituantes, elle ne peut pas être subdivisée, sans courir le danger de la dissolution. Le principe d'unité exigerait que l'armée réunie en masse, existât sur les lignes par lesquelles l'ennemi peut menacer le pays.

La solution de ce problème se trouve en plaçant l'armée au point de réunion des lignes d'invasion, ou au moins de manière à ce que toutes ces lignes concourent dans l'espace que l'armée réunie occupe matériellement. Car la géométrie nous enseigne que celui qui se trouve au centre d'un cercle, est présent sur tous ses rayons. Dans cette position, non seulement l'armée peut

couvrir son propre pays; mais même menacer toute l'étendue des frontières ennemies : elle se trouve donc dans la possibilité de choisir entre l'attaque et la défense. Quand plusieurs lignes convergentes sont unies ou coupées par une transversale, chaque point d'intersection de cette dernière réunit les qualités du centre commun. C'est-à-dire l'armée située sur un point quelconque de cette ligne transversale peut s'opposer à l'ennemi avançant par une quelconque des lignes d'invasion. C'est cette ligne qu'on appèle base d'opérations.

Ordinairement la capitale d'un pays est le point de réunion des principales communications; elle est aussi, et surtout dans les petits états le centre de formation de l'armée. Il en résulte que les opérations défensives doivent diverger du centre à la circonférence, et qu'au contraire les offensives doivent converger de la circonférence au centre. Ce principe mathéma tique est absolu dans les petits états. Car dans un pays d'une petite extension la capitale est presque toujours le centre obligé du système de guerre, en même temps que le centre unique des relations civiles. Il ne peut donc y avoir qu'un seul système de guerre, basé sur ce centre unique et immobile.

Dans les états d'une grande étendue, le même principe n'est que relatif. Là l'élément mobile de la force de guerre, pouvant, par l'étendue même de la surface sur laquelle il agit, mobiliser son centre d'action, le centre commun de la masse mixte qui compose la force de guerre, peut également être mobilisée. C'est-à-dire qu'on peut séparer le centre de l'action politique, point intellectuel de la force de guerre d'un pays, du centre stratégique, qui est le point matériel où tend l'action physique de la guerre. La stricte observance de ce principe peut presque toujours sauver un pays des effets d'une invasion et de la mort politique.

La translation du centre d'action politique et intellectuelle hors du système actif de guerre, doit nécessairement produire dans les grands états un changement dans ce dernier. C'est ce qu'on peut démontrer facilement. Le système stratégique de guerre ayant des agens phisiques, qui sont l'armée et la configu

ration du terrain, est obligé à des conditions géographiques qui sont fixes et immuables. Ce sont ces conditions qui déterminent le système des mouvemens de l'armée pour l'attaque et la défense et pour chaque point de la frontière où l'ennemi peut se présenter. Il est donc évident que toutes les fois que le centre d'action changera, il faudra pour chaque nouveau centre changer également le système d'attaque et de défense, pour en substituer un nouveau qui lui convienne. Nous avons déjà vu que le but de l'ennemi, dans l'attaque, étant d'atteindre le centre de la force totale de guerre et par conséquent des deux élémens qui la composent, il était naturel qu'il se dirigeât vers le centre politique du pays. Sans chercher des exemples bien loin, il suffira de citer les campagnes de 1805, 1806, 1809, 12, 14 et 15. Si donc, lorsque l'ennemi aura réussi à se rendre maître des points défensifs les plus avancés et qu'il commence à menacer le centre politique, on transporte ce dernier dans un autre système stratégique, l'ennemi sera forcé, pour atteindre son but, de changer le système d'attaque qu'il a suivi jusqu'alors. Ce changement peut même être fait de manière à tourner contre lui les conséquences des avantages qu'il a remportés. C'est ainsi que dans la campagne de 1814, lorsque l'ennemi s'approcha de Paris, si le centre d'action du système de guerre avait été changé, par la translation du gouvernement au delà de la Loire, cette circonstance aurait également changé la face des affaires. Il suffit de jeter les yeux sur la carte du théâtre de cette guerre; pour voir que ce mouvement produisait une nouvelle combinaison stratégique très-avantageuse à la défense. Le nouveau système stratégique étant perpendiculaire au premier, et le flanquant, il était possible que l'armée alliée fût détruite avant de pouvoir se dégager.

Quelque étendue qu'aie la ligne des frontières de notre pays, nous ne sommes jamais dans l'obligation de la couvrir tout entière. C'est ce que nous avons déjà vu plus haut. Il faut donc lui appliquer le principe que j'ai posé dans le chapitre précédent C'est-à-dire choisir sur cette ligne un plus ou moins grand nombre de pointsdont l'influence sur le total soit telle que l'ennemi soit forcé de les attaquer et de s'en rendre maître, avant de

passer outre. A ces points indiqués par la nature, on peut et on doit en ajouter d'autres rendus forts par le secours de l'art. Les uns et les autres composent ce qu'on appelle le système de frontières. Nous allons voir comment on peut déduire ce système du principe général posé dans le chapitre précédent. C'est-à-dire que quand plusieurs lignes convergentes sont coupées par une transversale, chaque point d'intersection représente le point central d'union. Il n'est aucun pays en Europe dont la capitale ne soit le point de réunion des routes principales ou grandes communications par lesquelles on passe en venant des pays voisins. Ces communications seront donc naturellement les lignes d'action de l'armée ennemie, puisque c'est sur elles qu'on trouve les plus grandes ressources de toute espèce et la plus grande facilité pour les mouvemens de l'armée. Ce motif indique que les points principaux dont la conservation est intéressante au système de défense se rencontreront sur ces lignes. Ce sont donc celles que nous devons particulièrement défendre.

Nous avons vu plus haut que pour employer utilement l'élément mobile de guerre, c'est-à-dire l'armée, il faut qu'elle soit placée près de la capitale, ou au moins sur une transversale peu éloignée. Il faut encore que cette ligne ne soit pas assez longue, pour que l'ennemi puisse arriver sur une de ses extrémités, avant que nous n'ayons pu y réunir des forces suffisantes pour lui résister. Chacun des points d'intersection de cette transversale représentant le point central du système, doit être conservé et défendu comme lui: il appartient donc à l'élément immobile de la force de guerre. Or, si l'on voulait défendre ce point immobile, par l'élément mobile, c'est-à-dire par une partie de l'armée, on ne le pourrait pas sans risquer de paralyser l'action du tout. Il vaut donc mieux chercher à donner à ces points une force défensive propre et inhérente, et qui, au lieu d'exiger un appui, les mette en état d'en servir eux-mêmes. On peut y parvenir en les fortifiant, et comme les forteresses peuvent être défendues par des troupes qui n'appartiennent pas à l'armée active, il en résulte que celle-ci se trouve dégagée et libre de ses

mouvemens.

Tom. I.

3.

Ayant une fois prouvé la nécessité de fortifier les points principaux de la ligne transversale que peut occuper l'armée, on peut appliquer le même raisonnement à une ligne d'une plus grande étendue, et ainsi successivement en nous éloignant du centre. La dernière transversale qui coupe les communications par lesquelles l'ennemi peut pénétrer dans le pays, est celle des frontières. En fortifiant donc les points principaux les plus voisins de ceux où les grandes communications entrent dans le pays, nous obtiendrons une ligne extrême de défense, composée de points existants par eux-mêmes. Ceux-ci auront la faculté de faciliter les opérations de l'armée; de la protéger dans le cas d'un mauvais succès tactique; d'assurer ses communications latérales et ses magasins. De l'usage même de l'extrême ligne de forteresses frontières, on peut facilement déduire l'utilité d'en avoir plusieurs successives, sur lesquelles l'armée puisse s'appuyer, pour gêner les tentatives de l'ennemi sur les premières.

Les forteresses se divisent en quatre classes, qui se trouvent tout naturellement indiquées par l'importance de l'objet auxquelles elles sont destinées.

Celles qui donnent ou assurent la possession d'un pays; l'heureux résultat d'une guerre ; la clef de l'objet des opérations sont sans contredit de première classe. On y comprend également celles qui couvrent une de ces positions tactiques, qu'on peut appeler champs de bataille obligés; et celles que la configuration du terrain et des communications destinent à servir de magasins principaux de première ligne. Ces forteresses doivent avoir une circonférence d'ouvrages, capable de contenir une garnison de douze mille hommes au moins. Quand le terrain permet d'y joindre un camp retranché, il ne faut pas négliger cette augmentation de défense. Un corps de vingt-cinq à trente mille hommes restant sur les derrières de l'ennemi, l'oblige à un détachement presque double et forme dans son système straégique une brêche toujours dangereuse et souvent nuisible.

Les forteresses qui ne servent qu'à faciliter la défense d'un pays et concourir à la conservation des frontières peuvent être

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