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obstacle. Ajoutant la ruse au carnage, les uns coupaient les cordes des tentes, et égorgaient les soldats enveloppés dans leurs pavillons; les autres attaquèrent la flotte, amarinèrent les bâtimens, et les traînèrent en remorque. Ils avaient gardé le plus grand silence dans la surprise, mais, lorsque l'attaque eut commencé, ils jetèrent de grands cris pour augmenter la terreur. Les Romains réveillés prennent les armes, courent par les rues du camp, un petit nombre couverts de leurs armures, la plupart ayant leurs habillemens roulés autour des bras et l'épée à la main; le général, à moitié endormi et presque désarmé, échappa par une méprise des ennemis; car ils avaient enlevé le vaisseau prétorien, où le pavillon de commandement leur faisait croire que le général se trouvait. Cérialis avait passé la nuit ailleurs, et comme on croit, avec une femme ubienne, nommée Claudia Sacrata. Les sentinelles s'excusèrent sur leur chef, en disant qu'il leur avait été recommandé de se taire pour ne pas troubler son repos, en sorte que les signes et les cris ordinaires ayant manqué, le sommeil les avait gagnés. Au grand jour, les ennemis se retirèrent, conduisant avec eux les vaisseaux pris et la trirème prétorienne, qu'ils envoyèrent par la Lippe à Velléda.

Civilis, non pas tant par vanité, comme le prétend Tacite, mais pour gêner les communications des Romains, qui tiraient leurs vivres des Gaules par eau, voulut organiser une flotte. Il équipa toutes les birèmes et les galères simples qu'il avait ; il y ajouta un grand nombre de barques, dont trente ou quarante armées en Liburniques, et les bateaux pris auxquels des sayes de diverses couleurs servaient assez agréablement de voiles. Sa flotte prête, il la fit passer dans cette espèce de mer que forme l'embouchure commune de la Meuse et du Rhin, où elle pouvait mieux surveiller ce qui venait des Gaules. Cérialis, plus étonné qu'effrayé, fit avancer sa flotte, moins nombreuse, mais supérieure à celle de Civilis, par l'adresse des rameurs, l'habileté des pilotes et la grandeur des bâtimens. Elle avait en sa faveur le courant, et les ennemis, le vent. Les deux flottes passèrent l'une près de l'autre, et, après avoir tenté de' se lancer

quelques traits, se séparèrent. Cet essai ayant fait voir à Civilis qu'il ne pouvait rien espérer de la marine, il abandonna tout-à-fait l'île, et se retira au-delà du Rhin (1). Après son départ, Cérialis fit ravager toute l'île des Bataves, en affectant, par un artifice assez ordinaire, de ménager les propriétés de Civilis. Cependant, au déclin de l'automne, les pluies continuelles et le débordement des fleuves changèrent les plaines marécageuses de l'île en un étang: il n'y avait ni flottes, ni vivres à portée, et les camps, situés forcément en plaine, étaient ravagés par les eaux.

Civilis se vanta d'avoir pu alors détruire les légions, que les Germains le voulaient et qu'il les en avaient adroitement détournés. La reddition qui suivit peu de jours après, rend cela probable, Cependant Cérialis, pour hâter la conclusion de cette guerre, faisait offrir secrètement aux Bataves la paix, et à Civilis le pardon; il exhorta Velléda et ses proches à se faire un mérite près des Romains, en faisant cesser une guerre désastreuse aux Germains, faite en faveur d'un fugitif privé de sa patrie, et leur donnant à entendre indirectement qu'il était prêt à passer lui-même le Rhin. Ces menaces entremêlées de promesses ayant ébranlé les Transrhénans, les Bataves euxmêmes commencèrent à craindre de consommer leur ruine en résistant seuls aux dominateurs du monde. Si on avait fait la guerre pour Vespasien, Vespasien était empereur, et leur sort à eux, exempts de tributs, et ne fournissant que leur valeur et des hommes, était encore meilleur que celui des autres nations. Les grands y ajoutaient que Civilis, pour venger ses injures domestiques, les avait entraînés dans la guerre et avait perdu la nation, et que réduits à l'extrémité, il était temps de sacrifier une tête coupable pour prouver leur innocence.

Cette disposition des esprits n'échappa pas à Civilis qui résolut d'en prévenir les effets, et de profiter du moment où il avait encore assez de force pour obtenir des conditions hono

(1) Ce qui suit fait voir que Civilis repassa même l'Yssel, tira dans la Germanie proprement dite.

et se ré

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rables, et ne pas attendre que le découragement et la défection de tous les siens, le perdît tout-à-fait. Il demanda donc une entrevue à Cérialis qui la lui accorda. On fit pour cela détruire le milieu du pont de la Navali (1), et les deux généraux s'étant avancés sur les extrémités, Civilis commença ainsi : « Si j'avais à me défendre devant un légat de Vitellius, ni mes ac» tions ne mériteraient de grâce, ni mes paroles de croyance. Tout ce qui s'est passé d'hostile entre nous a été commencé par lui et aggravé par moi. Vespasien a reçu depuis long>> temps mes hommages, et lorsqu'il était homme privé, nous » nous appelions amis. Antonius Primus le savait, lorsque par » ses lettres, il m'excita à la guerre, afin d'empêcher les légions germaniques et la jeunesse gauloise de passer les Alpes. Ce qu'Antonius m'écrivait, Hordeonius présent m'y engageait. » J'ai pris les armes en Germanie, comme Mucien en Syrie, Aponius en Mésie, Flavianus en Pannonie...

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Ici cesse le texte de Tacite, le seul qui nous donne les détails de cette guerre; mais d'après ce qu'il dit lui-même un peu plus baut, la soumission de Civilis et des Bataves suivit cette entrevue. Les conditions en furent douces, puisque dans le temps où Tacite écrivit sur les Germains, c'est à-dire, vingt-cinq ans plus tard, ces peuples jouissaient de nouveau de tous leurs priviléges passés. (2).

Il ne sera peut-être pas tout-à-fait sans intérêt pour le lecteur de connaître la manière dont la guerre de Civilis est mentionnée dans les anciennes chroniques bataves. Selon celle de Klaas Kolin, publiée par Gérard Van Loon, Ziwers Bouwens, (ou Baudouin Siekko) eut deux fils: savoir: Zillis Bouwens (Julius (Paullus) et Claudius Schewelen (Claudius Civilis) que Klaas Kolin

(1) La partie de l'Yssel, comprise entre son embouchure et celle du canal de Drusus, s'appelait Navale flumen, et le port en station navale, située à l'entrée du lac Fitivus, s'appelait également Navalis (Kampus.) Il paraît que le pont dont il s'agit était celui de castra Drusi (Doesburg), forteresse située à la rive gauche et à la réunion du canal, comme le castra Herculis à sa sortie du Rhin.

(2) Mor. Germ., 9.

appelle noble comte. Ce dernier, selon la chronique, fut celui qui arracha le premier les aigles romaines, et y substitua le lion rouge. Mais il fut battu à Furstenborch, que Van Loon dit avoir été un couvent près de Xanten. Dans le même temps, vivait un Edel wes'te Boren (autrement Brinio) qui détruisit avec ses troupes les forts romains de Brit et de Rombourg dans le Catwyk. Dans ce récit informe, il est facile de reconnaître les vrais noms des héros bataves habillés dans Tacite à la romaine, et les événemens dont nous avons donné le récit.

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SUR LA BATAILLE DE LEUTHEN OU LISSA, Gagnée le 5 décembre 1757, PAR LE ROI de prusse, sur l'armée AutrichIENNE, COMMANDÉE PAR LE PRINCE CHARLES DE LORRAINE.

La bataille de Leuthen (1) est sans contredit une des plus mémorables de la guerre de sept ans, et peut être celle où le héros du dix-huitième siècle a donné les preuves les plus incontestables de sagacité dans les mouvemens, d'habileté dans les manœuvres, et surtout de cette résolution soudaine, de cette non hésitation dans les momens critiques, qui seules constituent le grand stratégicien, le général digne de ce nom. Une victoire aussi brillante, aussi riche en conséquences heureuses, remportée sur une armée victorieuse et plus nombreuse, par une armée plus faible et dont la moitié se composait des débris encore effrayés d'une déroute récente ; une telle victoire, dis-je, ne pouvait manquer d'appeler l'attention des écrivains militaires. Tous, à-peu-près, s'en sont occupés et y ont cherché la détermination et le développement des principes généraux de la stratégie. En effet, la guerre mémorable que Frédéric II soutint à cette époque, et dont il sortit vainqueur, moins en

(1) Cette bataille porte également le nom de Lissa, parce que le quartier général autrichien, avant l'action, et celui du roi de Prusse, après, y furent établis. Mais, s'il est juste d'appeler une bataille du nom da point tactique qui lui a servi de pivot, nous lui conserverons celui de Leuthen, que le roi de Prusse lui a donné, parce que ce point était celui auquel était attachée la victoire.

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