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quitter leur camp de la Lohe, et s'avancer au-devant de lui. Maîtres de Lignitz qu'ils avaient fortifiée, ils pouvaient, en y appuyant leur gauche, prendre une position menaçante devant l'armée prussienne. Il était alors plus que probable que Frédéric, au lieu de hasarder une bataille, aurait cherché à se dégager au plus vite pour se replier derrière le Bober. Une bataille perdue le rejetait sur Lüben et Glogau, et lui coupait le chemin de la Lusace. Une victoire ne le tirait pas d'embarras, puisque l'armée autrichienne trouvait un point d'appui à Schweidnitz, et qu'il ne pouvait pas marcher sur Breslau. Pendant les six jours que le roi de Prusse passa à Parchwitz, les Autrichiens ne s'étant pas fait voir au delà de Neumarkt, il était encore croyable qu'ils avaient marché vers Kanth, afin d'être également à portée de couvrir Breslau et Schweidnitz, se contentant de conserver, pour cette année, la base d'opérations qu'ils avaient acquise en Silésie.

Dès Parchwitz, Frédéric avait pu prévoir que la négligence et l'indolence des généraux autrichiens, les ayant empêchés de tirer parti de leur double victoire, il lui restait encore la chance d'en tourner les résultats en sa faveur, par une bataille. Aussi ne négligea-t-il aucun moyen d'y préparer ses troupes, en relevant le courage moral des unes, et maintenant le souvenir d'une brillante victoire dans les autres. Mais ce ne fut qu'à Neumarkt qu'il connut toute l'incapacité de ses adversaires et l'étendue de leurs fautes. Certain de les rencontrer dans un camp de marche et non dans une position de bataille, sur un terrain qu'il connaissait pied à pied, et où la victoire lui promettait des avantages immenses, il conçut qu'il pouvait

tout cser.

Arrivé sur le champ de bataille, la persuasion qui l'y avait conduit, ne put que s'accroître encore; après avoir renversé l'avant-garde ennemie, et l'avoir rejetée sur l'aile droite de son armée, aucune autre troupe ne se fit voir, aucune reconnaissance ne se présenta, pour observer ses mouvemens. En effet, les Autrichiens n'avaient point de corps avancés sur la ligne de coteaux, dont le roi de Prusse voulait se servir, pour cou

vrir ses dispositions. Il put en toute sûreté, et sans aucun obstacle, quitter sa direction de marche, et conduire son armée transversalement sur le flanc gauche des Autrichiens. Il ne se fia cependant pas assez à l'apathie de ses ennemis, pour ne pas se croire obligé de changer de dispositions. Ses colonnes de marche étaient formées pour un déployement de front, sur deux lignes. Dans la nouvelle direction qu'il prenait, le déployement devait se faire par le flanc gauche. Afin d'éviter la confusion des contre mouvemens, auxquels obligeait l'usage de conserver à chaque corps, sa ligne et son rang de bataille, il rompit ses colonnes, en les faisant tourner à droite, et en forma deux lignes, marchant par pelotons, à droite. Dans cette disposition, en quelqu'endroit qu'il lui fallut s'arrêter, l'armée se trouvait en bataille, par un simple à gauche. Cette précaution était sage, car il pouvait se faire que les généraux ennemis voyant que le combat d'avant-garde n'avait point eu de suite, se persuadassent que ce n'avait été qu'une fausse attaque, et fissent marcher leur droite et leur centre, de manière à pren. dre une position entre Leuthen et le bois qui est près de Heyde, afin de s'éclairer sur le véritable mouvement des Prussiens.

Parvenu jusqu'à l'aile gauche ennemie, le Roi de Prusse, pouvait regarder la bataille comme gagnée. Une attaque un peu vigoureuse, le rendait maître de Sagschütz, et des hauteurs qui sont en arrière. En faisant serrer son avant-garde, aussi près que possible de la rivière, et appuyer son armée à droite, à mesure qu'il avançait, il était sûr, non seulement de reboucher l'aile gauche ennemie sur le centre, mais de la déborder continuellement. C'est ce qu'il fit, et en même temps il laissa la cavalerie de sa gauche, derrière Lobelintz, pour lui servir de réserve au besoin. Le moment de s'en servir arriva, lorsque les Autrichiens eurent enfin fait avancer leur droite. Il fallait la renverser par un choc subit, et la déborder, afin de décider plus rapidement l'occupation du point tactique de la bataille. Un corps de cavalerie valait, sans contredit, mieux pour cette opération, que de l'infanterie. L'événement justifia les mesures de Frédéric.

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Les généraux Autrichiens, enfin réveillés de leur léthargie, par la défaite du corps de Nadasti, essayèrent de rétablir leurs affaires, par une résistance opiniâtre. C'était trop tard, et la position qu'ils prirent sur les hauteurs de Leuthen, fut une nouvelle faute. Ils auraient dû prévoir que le roi de Prusse n'aurait pas laissé sa gauche en l'air, sans avoir une réserve pour la soutenir; ils ne pouvaient donc pas espérer de la déborder. Les grands coups se portaient sur leur propre gauche déjà presque détruite ; il était donc facile de prévoir que la position serait enlevée. Dès lors, ce qu'ils avaient de mieux à faire, aussitôt que M. de Nadasti eut été chassé de Sagschütz et Gohlau, était de faire reployer leur centre et leur droite, dans la ligne de Rathen, par Sahra, jusqu'au bois, afin de couvrir les ponts qui devaient servir à leur retraite. Ils passaient la rivière dans la nuit, en sauvant les deux tiers de leur armée, et il leur restait encore la chance de hasarder une seconde bataille.

On voit, par ce bref exposé, que l'ordre oblique, employé par Frédéric II, à Leuthen, n'a dû son succès qu'à une surprise complète, rendue possible, par la négligence et les fautes multipliées des généraux Autrichiens. Encore faut-il observer, que le roi de Prusse n'y a pas tout laissé au hasard; 1o. il n'a hasardé son mouvement, que parce qu'il a pu le couvrir par une ligne de coteaux, et le dérober à l'ennemi, qui, par une faute impardonnable, n'avait éclairé les approches de sa position, d'aucun côté; 2o, sa marche de Borna, à Striegwitz, n'a pas été, à proprement parler, une marche de flanc, c'està-dire, une marche où les colonnes qui changent de direction, restant formées, pour être déployées de front, ne le peuvent sur un flanc, que par une complication de manoeuvres, toujours dangereuses en présence d'un ennemi un peu rapproché. L'armée Prussienne, au contraire, fit son mouvement sur deux lignes, la cavalerie en tête et en queue, se prolongeant à droite, par pelotons, et pouvant se remettre en bataille dans une demi-minute, par un à gauche ; 3°. le Roi de Prusse, qui était venu de Leipzig, vivant de requisitions, et qui n'avait point de maga

sins sur le chemin qu'il avait parcouru n'avait, à proprement parler, pas de ligne d'opérations obligée. En passant de Borna à Striegwitz, il ne péchait donc pas contre la règle qui défend de quitter la ligne d'opérations. En cas de retraite, devant vivre des ressources du pays, il lui était autant et peut-être plus facile de revenir à Buntzlau par Striegau et Goldberg, que par la ligne qu'il avait parcourue.

Tout le monde conviendra avec nous, que la bataille de Leuthen est un chef-d'œuvre de mouvemens, de manœuvres et de résolution, et qu'elle suffirait seule pour immortaliser Frédéric II, ainsi que l'a dit le plus grand capitaine du siècle (1). Mais nous laisserons au lecteur, à juger lui même, si on peut la considérer comme un ordre oblique, tactiquement parlant, et ainsi que le conçoivent la plupart des écrivains militaires.

G. V.

(1) Napoléon, Mémoires pour servir à l'histoire de France, Montholon, T. V. p. 215.

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ARMÉES DE TERRE.

Le principal objet du Journal des sciences militaires est, ainsi qu'on l'a annoncé, « de réunir toutes les branches de la science de la guerre en un seul cours écrit, dans lequel toutes * personnes exerçant la profession des armes, ou se proposant d'embrasser cette carrière, puissent trouver tout ce qui est nécessaire à leur instruction, sans être obligées de recourir à << une immense collection de livres, non moins incommode à transporter que dispendieuse à se procurer, et par conséquent << sans être dans le cas de consacrer à des recherches longues et pénibles un temps précieux pour l'étude. »

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C'est assez dire que ce journal contiendra successivement tous les préceptes généraux de la science de la guerre, leurs applications aux différentes branches de cette science, et toutes les parties de l'histoire militaire des différens peuples, anciens et modernes, dont l'étude peut, sous quelque rapport que ce soit, concourir au perfectionnement de cette science. Nous croyons donc pouvoir nous flatter qu'il présentera dans son développement tous les élémens nécessaires d'instruction aux militaires, qu'un service trop actif, ou des causes quelconques empêchent de se former une bibliothèque militaire, ou de consacrer leur temps à rechercher et à consulter les livres originaux dont ils auraient besoin sous ce rapport. Mais il en est sans

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