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regardées comme étant simplement complémentaires du système de défense. Elles peuvent avoir pour objet une seule ligne d'opérations, un point isolé, un défilé, un passage de montagne ou de rivière qu'on veut ôter à l'ennemi, le chemin vers un objet d'opérations, de fortifier une position défensive, et de couvrir la communication entre les forteresses de première classe. Ces places se divisent, selon leur importance stratégique, en seconde, troisième et quatrième classes. Celles de seconde classe doivent pouvoir tenir une garnison de six à douze mille hommes; celles de troisième classe de trois à six mille. Celles de quatrième, le nombre suffisant, pour soutenir une attaque de vive force, ou coup de main, et pour couvrir les environs par leur feu. Ce sont les forts ou châteaux.

Aux quatre classes que je viens d'indiquer, on peut en ajouter une autre, que nous appellerons accidentelle ou passagère. Il suffit d'avoir lu l'histoire militaire de tous les temps pour savoir que dans chaque pays il y a un nombre de positions telles, qu'elles sont, dans chaque guerre, le théâtre inévitable de conflits tactiques, c'est-à-dire de batailles. La disposition du terrain y est telle qu'entre les deux positions opposées, une a toujours donné la victoire au parti qui a su s'y placer. Sans chercher de nombreux exemples, je me contenterai de citer Fleurus et Hochstett. Il est inutile d'observer que le premier soin de la stratégie doit être d'organiser le système de guerre de telle manière que nous ne puissions pas être obligés à un conflit tactique, hors de ces champs de bataille naturels et hors de la position la plus avantageuse. Jusqu'ici la stratégie agit seule; c'est à la tactique qu'il appartient de nous assurer de plus en plus les moyens de la victoire. Pour cela, on emploie ordinairement le moyen de la fortification de campagne ou passagère, en couvrant les flancs et les points les plus faibles du front par des flèches, des redoutes, des lignes droites ou à redans et autres ouvrages d'une défense facile. On ferait encore mieux de coordonner l'action tactique avec le système stratégique; et pour cela il faudrait couvrir également les flancs et les derrières de la position par des points fortifiés d'une manière plus dura¬

ble et capables d'obliger l'ennemi à faire usage du canon de siège. Dans le cas d'une bataille perdue, ces points servent pour couvrir, assurer et faciliter la retraite.

Il peut arriver que la ligne qui coupe trànsversalement les directions d'attaque de l'ennemi soit formée par un fleuve considérable. Si ce fleuve suit la frontière, ou en est très-près, alors ses principaux passages devront indispensablement être des forteresses de première classe et de première ligne. Dans le cas contraire, il devra y avoir entre le fleuve et la frontière une ou plusieurs lignes de places fortes.

Ce que nous venons de dire d'un fleuve est également applicable aux hautes chaînes de montagnes qui forment une transversale. Il faut seulement observer que l'emplacement des forteresses de première classe n'est pas au sommet du col ou des passages qui traversent la chaîne, mais au pied des montagnes et le plus près possible. On obtient alors le double avantage de conserver une communication facile avec la forteresse et d'empêcher ou gêner le déploiement stratégique de l'ennemi.

Si une ou plusieurs rivières, au lieu d'être parallèles à la frontière, avaient un cours perpendiculaire, ou formant un grand angle avec cette frontière, les passages de ces rivières qui se trouvent à l'intersection des lignes transversales défensives doivent être nécessairement des forteresses de première classe. Les fleuves convergens ou divergens, par rapport à nous, supposent ordinairement une plaine entre deux. Alors on peut indiquer et fortifier les transversales défensives, au moyen de canaux navigables, qui joindront les forteresses de première classe et se¬ ront eux-mêmes couverts et défendus, dans les intervalles, par des forteresses secondaires. Les passages d'une ou plusieurs rivières principales, qui existent entre deux lignes défensives et qui sont des positions complémentaires ou des intersections de grandes routes transversales, doivent également être défendus par des forteresses secondaires. De cette manière, en conservant les passages sur un obstacle qui se trouve perpendiculaire à nos mouvemens latéraux, cet obstacle s'évanouit pour nous et devient double relativement à l'ennemi.

Il se trouve aussi et assez souvent dans un pays, certains points dont il faut s'assurer, et desquels il faut chercher à se maintenir toujours en possession; des points où se réunissent de grands obstacles naturels, et où se trouve, pour ainsi dire, la clef des accidens du terrain qui déterminent le système de guerre; des forteresses situées à ces points ferment, dans toute l'étendue du sens de ce mot, et surtout dans le pays montueux, l'accès du pays et le couvrent entièrement.

DE LA FORCE MOBILE DE GUERRE OU FORCE ARMÉE EN GÉNÉRAL.

L'élément personnel et mobile de la force de guerre s'appelle du nom général de force armée; mais la movibilité de l'armée n'est en aucune manière ni illimitée ni inconditionnelle. Elle se trouve placée entre deux objets opposés qu'on est obligé de prendre à peu près également en considération; ce sont le pays, qu'elle doit couvrir, et l'armée ennemie, qu'elle ne peut pas perdre de vue. En premier lieu, et avant tout, il faut dans toutes les circonstances que nous coordonnions les positions et les mouvemens de notre armée avec la première de ses obligations, qui est de couvrir notre pays; cette condition est absolue et indispensable pour conserver l'unité d'action de la force de guerre, sans laquelle il n'y a point de système de guerre avantageux. En même temps les positions et les mouvemens de notre armée doivent toujours être mis en relation avec ceux de l'armée ennemie; car ces derniers sont la cause des premiers et leur condition formelle, c'est-à-dire que les manoeuvres de notre armée n'ont lieu qu'en raison de celles de l'ennemi et pour s'y opposer. Cette relation réciproque et non interrompue de notre force mobile avec la force immobile, motivée sur la conduite de l'ennemi, étant obligatoire et passive, est purement défen

sive. La première considération que nous devons avoir en vue dans notre système de guerre est donc toujours défensive. En effet la défense est la base fondamentale du système d'attaque.

Si, après avoir rempli ces premières conditions, c'est-à-dire après avoir couvert notre propre pays et nous être mis en mesure de suivre et de parer les mouvemens de l'ennemi, il nous reste un excédent de forces, stratégiques ou tactiques, qui nous permette d'étendre nos vues jusqu'à la force immobile de l'ennemi, alors nous sommes disposés pour l'offensive. Ce bref exposé fait voir que notre armée a réellement trois objets à considérer. Deux sont nécessaires et indispensables : c'est notre pays et l'armée ennemie. Le troisième est accidentel et ne peut entrer dans le système de guerre qu'après que les deux autres, et surtout le premier, sont remplis : ce troisième objet est le pays ennemi. Il est impossible à notre armée d'étendre ses vues et de diriger ses mouvemens sur le pays ennemi avant d'avoir mis parfaitement le nôtre à couvert : c'est la condition absolue et le but premier de son organisation. Po. y atteindre elle a donc trois objets à embrasser, tandis que l'ennemi n'en a plus que deux. Il est donc clair qu'il lui faut une grande supériorité sur cet ennemi pour remplir son but. Or cette supériorité ne peut être que de deux espèces. Ou elle est numérique, relativement au personnel de la force de guerre, alors c'est le choc d'un grand état contre un petit, et nous sortons de la science de la guerre; ou elle est inhérente à notre force immobile, c'est-àdire que notre pays est suffisamment couvert et défendu par des points fortifiés, pour que notre armée, dégagée de ce soin, puisse s'occuper à la fois des deux autres objets sans s'affaiblir. C'est dans ce dernier cas que se présente ordinairement la guerre offensive, et ce que je viens d'exposer est une seconde preuve qu'il n'y a pas de possibilité d'attaque quand la défense n'est pas

assurée.

Ce n'est donc qu'en conservant la relation réciproque de notre armée avec notre pays et le pays ennemi, de l'élément mobile avec l'immobile, de l'élément libre avec l'élément obligé, qu'on peut prévoir la marche de la guerre et la subordonner à

un plan. En effet, le plan de campagne que nous devons suivre n'est la combinaison des mouvemens stratégiques que nous que jugeons nécessaires pour remplir l'objet de défense ou d'attaque que nous nous proposons. Or ces mouvemens ne peuvent être que la conséquence de ceux de l'ennemi, puisque ce n'est qué la connaissance et la prévoyance de ces derniersqui peut diriger les nôtres. Le résultat de cette connaissance ou prévoyance est celui qui nous enseigne comment nous pouvons nous opposer aux projets de l'ennemi sur notre pays, ou pousser les nôtres contre le sien. Ce travail intellectuel appartient en entier à la stratégie.

Si, dans le système de guerre, on fait abstraction de la considération du pays, et qu'on se restreigne à la simple relation des deux armées opposées entre elles, il ne peut plus exister de plan régulier d'opérations, et celles-ci ne peuvent pas être décisives. Pour le prouver, il suffit de se rappeler que la solidité du système de défense dépend de l'union étroite, de l'unité d'action, des deux élémens de la force de guerre. Il en résulte que le système d'attaque doit être dirigé à diviser chez l'ennemi ces deux élémens et ne peut obtenir de succès qu'autant qu'il parvient à atteindre ce but; c'est-à-dire que d'un côté, il faut couvrir son propre pays pour rester en possession des moyens matériels et de la source qui alimente les personnels; de l'autre, il faut chercher à ôter à l'ennemi la jouissance de ces ressources. C'est assez dire que si nous nous limitons à considérer uniquement l'armée qui est devant nous, nous abandonnons à l'ennemi toutes les combinaisons qui ont notre pays en vue; nous mettons donc nos ressources à sa disposition, et nous les faisons dépendre d'événemens dont nous n'avons dans les mains ni les causes, ni le remède. Il est donc vrai de dire qu'un système de guerre purement tactique ne peut pas toujours produire de résultats définitifs, et le peut même assez rarement; c'est ainsi · que la guerre se faisait chez les anciens. Sans chercher d'autres exemples que la guerre d'Italie par Annibal, qui était sans contredit un très-grand capitaine, l'histoire nous le montre se promenant dans toutes les provinces, les occupant tour-à-tour, et

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