Page images
PDF
EPUB

n'étant jamais affermi dans une. Il ne faut pas cependant conclure de là que la tactique ne soit pas un art utile et indispensable, mais seulement qu'elle doit être subordonnée ou au moins coordonnée à la stratégie.

D'après ce que nous venons de voir, il est évident que la situation la plus avantageuse où nous puissions nous placer est celle où nous pourrons obliger l'ennemi à se limiter à des opérations tactiques, tandis qus nous conservons la faculté d'employer les ressources stratégiques. Nous le réduisons par là à un seul élément; lorsque nous en avons deux à notre disposition, et que nous les employons contre lui. Au premier coupd'œil il paraîtrait que le projet d'amener un résultat pareil appartient exclusivement à l'attaque, parce qu'il présuppose une supériorité quelconque dans les moyens personnels, qui sont seuls employés dans un choc. Mais nous verrons ailleurs qu'il appartient également à la défense. C'est qu'il n'y a pas de défense absolue sans des attaques accidentelles, et vice versa. Cette relation d'action entre deux armées opposées, quoique difficile à amener, n'est pas impossible; c'est la stratégie qui la produit, et son existence est le type du génie du général en chef. C'est cette inėme relation que le Maréchal de Saxe appelle guerre de postes et de positions, et que nous pouvons appeler guerre stratégique absolue. Il la recommande afin d'obliger l'ennemi à recourir à la ressource des batailles, qui appartiennent à la tactique et même, à les recevoir sur un terrain obligé, ce qu'on peut appeler tactique passive.

L'armée est une agrégation composée d'individus de différentes classes répartis en un plus ou moins grand nombre de parties faisant la guerre de différentes manières, et qui existe en tout ou en partie d'une manière permanente ou accidentelle. On la distingue en infanterie, artillerie, cavalerie, etc.; on la divise en bataillons, escadrons, régimens, etc. Le mode' d'existence de l'armée forme sa principale division; elle est ou temporaire ou permanente. Nous considérerons séparément ces deux modes d'existence. Quant à sa classification par arme et à sa division en élémens plus ou moins grands d'action, l'une

et l'autre appartiennent également aux deux modes. Nous venons de voir que l'armée est composée de la réunion de différens élémens d'espèce, de forme et de nombre divers. Mais sa force et l'utilité de son emploi ne peuvent exister et n'existent que dans la masse totale réunie ou physiquement ou intellectuellement. Ceci n'a pas besoin de preuves. On peut donc appliquer à l'armée ce que nous avons dit de la force de guerre en général. C'est-à-dire qu'elle n'existe réellement sous le rapport de ses relations avec le système de guerre, que dans l'union intime de ses élémens; et que de même que cette union est pour elle le principe de vie, la désunion est un principe de mort. J'ai dit que le problème du général en chef était de maintenir l'union entre les élémens de la force générale de guerre et de la détruire chez l'ennemi, il est ici considéré comme stratégicien. Comme tacticien, il doit conserver l'union entre les élémens particuliers de sa force mobile, c'est-à-dire de son armée et la détruire chez l'ennemi. Le premier de ces deux objets s'obtient par les combinaisons qu'enseigne la stratégie; le second se prépare par les manœuvres tactiques et s'atteint dans les batailles.

DE LA COMPOSITION DE LA FORCE-ARMÉE, DE SA DIVISION EN TEMPORAIRE ET PERMANENTE, ET DE SA RELATION AVEC LE SYSTÈME MILITAIRE DU PAYS,

J'ai dit que l'élément personnel de la force de guerre s'appelle en général force armée. Il est aisé de déduire de ce que nous avons vu plus haut, la nature du service qu'elle doit faire pour correspondre au but de son institution. Ce service se réduit à trois choses principales: 1°. défendre et conserver les points principaux du pays; 2o. détruire le personnel de l'ennemi, soit par le résultat des combinaisons stratégiques, soit par le moyen tactique des batailles; 3°. lui faire du dommage et gêner ses

opérations par la destruction de son matériel de guerre. La première conséquence qu'on peut tirer de cette classification est qu'il faut dans un système de guerre bien organisé, quatre espèces différentes de troupes destinées chacune exclusivement à une des classes du service de l'armée entière. Ce seraient donc : 1o. une armée de garnisons chargée du soin de défendre les points fortifiés de la totalité du système de guerre de l'état; 2o. une armée d'opérations destinée à remplir toutes les combinaisons stratégiques et tactiques du général en chef. Cette armée doit figurément être considérée comme immortelle, c'est-à-dire qu'on doit toujours être en mesure de remplacer toutes ses pertes sans retard, et de la tenir continuellement au complet qu'exige le système de guerre, d'après la double considération de l'armée et du pays ennemi; 3°. une armée de réserve destinée à ce complètement qui, d'un côté fournisse à celle d'opérations ce qui lui manque, et de l'autre tire son entretien personnel du pays; 4°. une armée plus mobile encore que cell e d'opérations, et dont l'objet soit d'agir continuellement hors de la circonférence stratégique de notre armée et sur les derrières de celle de l'ennemi; afin de détruire son matériel et tâcher de le séparer de sa force immobile de guerre qui est son propre pays.

Cette division même de la force armée, selon la nature du service qu'elle doit faire, nous conduit à des réflexions qui amènent une autre classification générale de la force personnelle de guerre. Il est aisé de voir que les quatres armées dont je viens d'indiquer le service, sont indispensables en temps de guerre, et que le manque d'une d'entre elles, ferait une brêche dangereuse au système de guerre. Car les quatre objets dont elles sont chargées, doivent être remplis par le général en chef, soit dans l'attaque, soit dans la défense. D'un autre côté, pour peu qu'on réfléchisse à la force numérique de ces quatre armées et à leur service, on verra que leur force totale doit être hors de la proportion que prescrivent les règles générales, relativement à la population et que les dépenses numéraires et maté· rielles qu'elle entraîne excèdent les ressources habituelles d'un état; quant à leur service on verra aussi qu'il présente sur la si

tuation en temps de paix, un excédent qui appartient à l'état de guerre. En effet, en temps de paix, la deuxième armée remplit le service de la première; la troisième, dont l'existence n'est nécessaire que dans l'hypothèse de pertes multipliées et considérables, peut cesser en temps de paix; la quatrième peut supporter hors du temps de guerre une réduction considérable et peut être resserrée à un cadre d'organisation. Il en résulte que la force armée a réellement deux états distincts qui déterminent son extension numérique et son organisation; c'est l'état de paix et l'état de guerre; la force armée totale se compose donc de deux parties distinctes, l'une absolue et permanente et l'autre accidentelle ou temporaire.

La relation de ces deux parties entre elles et avec la population, la configuration et les ressources du pays; leur classification, leur organisation et le moyen de les entretenir et de les alimenter, forment la partie personnelle du système de guerre d'un pays. La partie matérielle se compose du choix et de la fortification des points principaux, considérés comme centre de gravité particulière du système général; de la préparation, conservation et alimentation du matériel nécessaire à l'entretien et aux mouvemens de la force armée, en armes, munitions, vivres et tous autres attirails de guerre.

Le système de guerre peut être de deux espèces selon les dif-férentes bases du système politique de l'état auquel il est appliqué. Nous avons examiné plus haut l'influence que l'existence politique et la situation géographique d'un pays pouvaient avoir sur le système militaire. Les mêmes observations peuvent s'appliquer au système de guerre et surtout à la partie personnelle ou à la classification de l'armée. En repassant avec un peu d'attention ce que j'ai indiqué au lieu cité, on verra facilement que les bases du système politique des états, se réduisent à deux relativement au système militaire. Ou on y a fait abstraction du pays pour ne considérer que la force mobile de guerre, qui alors est obligé d'être permanente, c'est-à-dire de trouver par elle-même les élémens de son existence et de son complément. Ou on a considéré à-la-fois les deux élémens de la force de guerre et alors

le mobile peut être moitié permanent et moitié temporaire. Le premier cas appartient aux états maritimes et commerçants qui, ne pouvant disposer que d'une petite partie de leur population, ou bien ne pouvant pas lui imposer le service militaire sans attaquer les sources de leurs richesses, sont obligés d'employer en temps de paix des soldats mercenaires et de les renforcer en temps de guerres par d'autres mercenaires. Il appartient également aux états régis par une forme de gouvernement qui oblige le souverain à écarter les sujets de l'usage des armes. Alors il est également obligé à transporter toute la force de résistance de l'état et plus encore la force d'attaque dans l'armée que cette circonstance même rend permanente.

On conçoit facilement qu'une organisation militaire pareille, change en partie celle que j'ai indiquée, pour que la force armée remplisse en entier le but auquel elle est destinée. L'armée de garnison et celle de réserve ne peuvent pas exister comme élémens séparés de celles d'opérations. Car hors de cette dernière il n'y a rien dans la nation qui soit apte au service militaire et moins encore à former une armée par le seul effet de sa réunion. Les troupes légères même doivent faire partie de l'armée permanente et s'il y en a d'accidentelles, elles doivent avoir une organisation semblable. Alors la force armée ne peut se composer que de l'armée permanente divisée en trois classes: celle des gens les plus robustes et les plus instruits destinés à la guerre active et qui comprend les troupes légères; celle des vétérans et demi invalides qui se charge du service des places, mais qui est toujours trop peu nombreuse pour suffire dans un siége et qu'il faut renforcer par une partie de l'armée active; et celle des recrues non-instruits qui fait la figure d'une armée de réserve; mais qui ne peut être utile que lorsque son éducation militaire est achevée.

Le second cas appartient aux états ou la nation en entier ou en grande partie, étant formée à l'esprit militaire, ou exercée aux armes, l'armée n'est que la mobilisation d'une plus ou moins grande portion de la population. Dans ces pays, l'élément mobile de la force de guerre peut prendre la forme et la classification la plus avantageuse pour le but qu'elle doit remplir. L'é

« PreviousContinue »