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draient fort peu de place lorsqu'elles seraient démontées (1). Cette chaloupe devrait être pontée, et avoir assez de capacité pour contenir tout l'équipage et environ deux mois de vivres. Elle serait d'une utilité incontestable dans un naufrage, et dispenserait les navigateurs marchands, dans mainte circonstance, de louer très cher des embarcations pour opérer leur chargement et leur déchargement.

Je n'insisterai pas davantage sur l'installation des bâtimens et des embarcations en fer, à l'usage du commerce. Ces navires sont à peu près aux flottes militaires, objet principal de mes occupations, ce que les voitures de roulage sont au matériel des armées de terre, et aux études des officiers du génie et de l'artillerie. Passons à la construction des citadelles flottantes, dont les qualités ont une influence si directe sur l'élévation ou la chute des empires.

Les murailles des vaisseaux actuels du premier rang, sans être à l'épreuve des boulets, ont jusqu'à deux pieds d'épaisseur. Elles gênent beaucoup plus le pointage des bouches à feu que ne le feraient des murailles en fer, qui seraient rendues impé

(1) Le père Fournier recommanda, en 1643 (Hydrographie, page 118), d'embarquer une grande chaloupe, composée de plusieurs pièces, faciles à démonter et à remonter. Ce procédé n'a guère été suivi que dans l'équipement des navires destinés à faire des découvertes. Il y avait aussi une petite corvette fabriquée de la sorte dans l'expédition de Bonaparte en Egypte. Mais ce système remonte à la plus haute antiquité, car, suivant Diodore de Sicile, (liv. 2, p. 103) Sémiramis fit construire à Bactres deux mille navires dont les diverses pièces d'assemblage furent portées, à dos de chameaux, jusque sur l'Indus. Parmi les modernes, on voit que Cortès fit construire de semblables navires à Tlascala, et les transporta ensuite par terre sur le lac de Mexico (Herrera, decada 2, lib. 10 ). Enfin les Vénitiens tenaient en magasin tous les objets nécessaires à la construction de grands navires, et donnaient par fois, aux princes étrangers qui les visitaient, le spectacle d'équiper complétement, en vingt-quatre heures, une galère dont il n'y avait pas, auparavant, une seule pièce sur les chantiers. ( Rẻflexions militaires et politiques de Santa-Cruz, trad. par Vergy; t. 8, pag. 159. Voyages de Monconys, t. 2, p. 419; Paris, 1777.)

nétrables à toute espèce de projectiles, en leur donnant une épaisseur de six à sept pouces.

Il est vrai que le fer forgé, étant à peu près huit fois plus pesant que le bois de construction, une muraille en fer, épaisse de 6 pouces seulement, serait deux fois plus lourde qu'une muraille en bois épaisse de 2 pieds. Mais en partant du principe très-sage que les vaisseaux de guerre doivent être à l'épreuve du boulet, principe suivi dans la construction des anciennes batteries flottantes et des nouvelles frégates à vapeur, il faut donner 5 pieds d'épaisseur aux murailles en bois, qui sont alors plus lourdes que des murailles en fer épaisses de 6 pouces ; et il faut ajouter à cet inconvénient ceux relatifs à l'artillerie et à la diminution de l'espace intérieur.

Ce n'est pas qu'on entende soutenir, par des marins et des constructeurs, que certains vaisseaux, ayant tout au plus 22 à 23 pouces d'échantillon, ont résisté dans leur batterie basse, aux boulets des plus gros calibres. Les mêmes personnes prétendent que si les Américains sont obligés de donner jusqu'à 5 pieds d'épaisseur aux murailles des frégates à vapeur, c'est que le chêne d'Amérique est moins dur que celui d'Europe.

On doit remarquer, en même temps, que plusieurs constructeurs ont cru nécessaire de donner, aux bâtimens de guerre, jusqu'à 10 et 13 pieds d'échantillon; afin de les rendre impénétrables aux boulets de tout calibre (1).

Sans entrer dans une foule de considérations qui peuvent justifier jusqu'à un certain point des principes aussi opposés (2), jetons les yeux sur le tableau placé à la fin de cet article.

(1) An history of marine architecture, by J. Charnock, tom. 1, pag. 359; London, 1800. A practical treatise on propelling vessels by steam, by Robertson Buchanan, pag. 68. — Annales des arts et manufactures, t. 37, 31 juillet, 1810.- Essai sur la navigation par la vapeur, par G. Gilbert, pag. 12, Paris, 1820, etc.

(2) Règles de pointage, etc., pag. 62 et suiv. Chez Bachelier ; Paris, 1816.

On voit, d'après les résultats offerts par ce tableau, qu'en Europe, comme en Amérique, il faut, pour résister à des boulets de gros calibres, tirés de près, des murailles en bois de chêne, épaisses au moins de cinq pieds. Mais, si les sabords sont larges, ils sont enfilés par une quantité de projectiles, fort destructeurs dans cette place qui est presque entièrement occupée par les bouches à feu et les artilleurs. Si au contraire les sabords sont étroits, on pointe difficilement sur l'ennemi, on tire au hasard, et c'est le plus grand de tous les inconvéniens. Des murailles aussi épaisses exigent d'ailleurs qu'on accroisse considérablement les dimensions extérieures. Des vaisseaux de ligne et des frégates à vapeur peuvent supporter cet accroisse→ ment de dimensions, mais il est à peu près impraticable à bord des autres bâtimens de guerre, et surtout à bord des navires sous-marins, les plus redoutables de tous (1).

Enfin on ne doit pas perdre de vue que des murailles en bois, épaisses de 5 pieds, quoiqu'elles ne pussent pas être traversées entièrement par des obus ordinaires, seraient bientôt bouleversées et incendiées par leurs explosions; et, comme on se dispose à employer bientôt les obus dans les combats de mer, il est déraisonnable de construire en bois aucune espèce de citadelles flottantes. Les murailles en fer, épaisses de 6 à 7 pouces, seront non seulement à l'épreuve des boulets de gros calibres, mais en outre les obus, dont les parois ont au plus un pouce d'épaisseur, se briseront toujours en frappant de pareilles "surfaces (2). Ajoutons que l'acier qui est plus dur et moins pesant que le fer, serait infiniment préférable pour les constructions

(1) Mémoire sur la navigation et la guerre sous-marine. Annales maritimes, numéros d'août et de septembre, 1823.

(2) Des boulets pleins, de gros calibres, en rencontrant d'autres boulets, dans un but en bois, se broient et se pulvérisent. (Voyages dans la Grande-Bretagne : Force militaire, par Ch. Dupin, tom. 2, p. 185.) On a vu un boulet tiré contre une masse de plomb se briser en mille morceaux. (Nouvelles expériences d'artillerie, trad. par Wil

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militaires. On pourrait, par économie, employer l'acier le plus commun, et agir comme il suit ;

L'enveloppe extérieure continuera à être en feuilles de tôle, qui auront 6 lignes d'épaisseur, et qui s'ajusteront les unes contre les autres, au moyen de rebords intérieurs ayant chacun 5 pouces de haut. L'espace subsistant entre les rebords sera rempli par des plaques d'acier. On maintiendra celles-ci en place, par une enveloppe intérieure, fabriquée comme celle du dehors; mais, au lieu de faire correspondre les joints et les rebords de ces deux enveloppes, on les placera à moitié distance les unes des autres. Les plaques de remplissage en seront mieux soutenues, et le navire mieux lié. On ne fera d'ailleurs usage des plaques qu'aux endroits susceptibles d'être atteints par les boulets.

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Un vaisseau en fer, dont la coque serait ainsi à l'épreuve de toute espèce de projectiles, aurait une supériorité incontestable sur les vaisseaux privés de cette importante qualité, et même sur les batteries de côté, qui sont à barbette ou qui ont de larges embrâsures en forme de trémie, dans lesquels il est facile, en se battant de près, d'ajuster un grand nombre de coups. On peut, il est vrai, rendre à l'épreuve de tous projectiles les vaisseaux actuels, en les rasant et en les couvrant de fer; mais une pareille installation deviendrait à la longue fort dispendieuse, vu la durée très inégale du fer et du bois, et le travail immense qu'exigerait chaque réparation. Les navires totalement en fer conserveraient d'ailleurs sur les vaisseaux, vêtus d'une cuirasse, l'avantage d'avoir des sabords moins ouverts, des bouches à feu servies plus commodément, et d'offrir, à égalité de dimensions extérieures, de plus vastes batteries.

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lantroys, pag. 44. ) On ne saurait douter, d'après ces exemples, que des obus se rompraient en frappant une muraille en fer, et me pourraient se loger dedans, d'autant que ce sont les deux résultats obtenus lorsqu'on les tire contre des murailles de pierre. ( Handbuch für offi cierc, etc., von Scharnhorst, tom. 2, p. 250. )

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Enfin on incendierait facilement les anciens vaisseaux, malgré leur cuirasse, en jetant par-dessus leurs bastingages, ou au travers de leurs sabords, à l'aide de pompes refoulantes, des compositions liquides et enflammées (1).

Jusqu'ici nous n'avons examiné que les avantages purement. maritimes et militaires des navires en fer. Mais ils en possèdent plusieurs autres relativement à la prospérité industrielle des États et au bien-être des particuliers. Les forêts, dans tous les pays civilisés, deviennent chaque jour moins nombreuses, et ne suffisent plus qu'imparfaitement aux constructions navales, dont le prix augmente sans cesse. Les constructions en fer délivreraient des mesures odieuses qui restreignent le droit des propriétaires, et qui menacent de devenir plus oppressives encore; la consommation du bois diminuerait considérablement, et une immense quantité de terrain serait rendue à des cultures plus lucratives. C'est d'ailleurs servir tous les peuples, que de les obliger à s'occuper plus que jamais de l'exploitation des mines, qui est essentiellement liée aux autres progrès des principales branches de l'industrie.

On peut prédire hardiment que l'emploi du fer ne fera que s'étendre de toutes parts. Déjà, dans toutes les marines, on commence à fabriquer en fer les câbles, les bouées et les vases qui contiennent des liquides. Déjà, dans la Grande-Bretagne et aux États-Unis, les ponts et les voûtes des grandes dimensions se construisent avec ce métal, employé aussi pour une foule d'ustensiles et d'instrumens qui de tous temps avaient été faits en bois. A mesure que le fer, mieux fondu, deviendra plus malléable, et aura moins besoin d'être forgé, on trouvera naturellement plus économique de multiplier son usage. Le bois disparaîtra surtout des constructions où il se trouve alternativement exposé à la destruction journalière des vers et de l'humidité, et à la destruction instantanée des grands incendies.

(1) Institut. milit. de l'empereur Léon, trad. par Joly de Maizeroy, tom. 2, pag. 272.

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