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visibles, et ont la faculté de détruire subitement toute autre espèce de citadelles flottantes.

J'ai publié à leur sujet de nombreux renseignemens auxquels je renvoie le lecteur (1). J'ajoute ici que les plus grands navires sous-marins, construits jusqu'à présent, calaient avant de plonger huit à dix pieds. Tel est à peu près le tirant d'eau des plus grands navires à vapeur du commerce; quant à celui des frégates à vapeur, il est d'environ onze pieds.

Il semble donc suffisant d'obtenir une profondeur moyenne de douze pieds dans la Seine, et dans quelques canaux de redressement, pour faire arriver facilement à Paris les nouveaux bâtimens de la marine marchande et de la marine militaire. Les vieux navires à voiles de deux à trois cents tonneaux auraient aussi la faculté de venir décharger les marchandises qu'on jugerait devoir leur confier encore, jusque dans les murs de la capitale.

L'exécution de ce projet offre infiniment moins de difficultés à vaincre que l'exécution du canal de Languedoc, et celle de la digue et du bassin de Cherbourg; d'autant qu'on possède maintenant la draguc à vapeur, et d'autres moyens très puissans, inconnus dans les deux derniers siècles, pour nettoyer le lit des fleuves, et pour faire des canaux.

Dans tous les états qui ont tour à tour obtenu des succès éclatans en marine, la capitale était le principal port. Telles furent dans les temps anciens, Tyr, Carthage, Athènes, Syracuse, Alexandrie, Marseille, Vannes, et beaucoup d'autres cités puissantes; telles ont été, à des époques moins éloignées, Constantinople, Venise, Gênes, Pise, Almafi, Lisbonne, les principales villes de la Hanse Teutonique et celles des PaysBas; telles sont enfin de nos jours Londres et les diverses capitales des états maritimes de l'Union Américaine.

Dira-t-on que Charlemagne, Charles-Quint, Richelieu et Louis XIV ont exercé quelques instans la domination maritime,

(1) Nous donnerons un grand article dans l'un des prochains numéros de notre journal, sur les navires sous-marins.

quoique le centre de leurs opérations ne fût pas un port de mer? Le despotisme surmonte tous les obstacles lorsque beaucoup de génie et un peu de sagesse président à ses actions; mais de pareils succès s'éclipsent avec les talens extraordinaires qui les ont créés. Ce n'est point d'ailleurs la souveraineté, c'est la liberté des mers qu'il faut désirer; et celle-ci ne peut appartenir qu'à des peuples assez industrieux pour être sans cesse en état de lutter contre la marine britannique.

Une découverte, une invention, une amélioration heureuse est due par fois à des particuliers qui habitent loin du centre de la civilisation; mais les arts en général ne s'élèvent à leur plus haut degré de perfection que dans la cité principale des grands états. Cela est surtout vrai en France, même pour les métiers les plus vulgaires : ceux-ci sont exercés avec une infériorité marquée dans toutes nos villes de province, sans en excepter nos villes maritimes. Ne doit-on pas en conclure qu'un art qui rẻclame le concours de presque tous les arts, de presque toutes les sciences, que l'art naval enfin est encore loin d'être suffisamment perfectionné dans ces dernières villes, et qu'il changerait soudain de face si Paris devenait port de mer? Les politiques, les savans, les spéculateurs, les artistes et les ouvriers les plus habiles de la France, jusqu'ici étrangers aux armemens maritimes, en feraient immanquablement un des principaux objets de leurs réflexions et de leurs travaux. En conséquence, les inventions nautiques et militaires se perfectionneraient et s'accroîtraient sans cesse; nos bâtimens de guerre se montreraient avec éclat dans tous les parages où la navigation marchande réclamerait leur protection; la sécurité du moment et la confiance dans l'avenir multiplieraient les entreprises commerciales; nos colonies recevraient une extension rapide; l'industrie et l'agriculture acquerraient, avec de nombreux débouchés, un nouvel essor, et la propriété nationale s'établirait sur des bases de plus en plus larges et inébranlables.

Craindra-t-on que Paris en devenant port, n'attire à lui tout le commerce d'outre-mer, et ne cause la ruine de nos autres cités maritimes?... Londres est à la fois la plus grande ville et

le plus grand port du monde ; et néanmoins c'est en Angleterre qu'on voit le plus de ports florissans. Les destins nautiques de Paris sont d'ailleurs intimement liés avec l'adoption et le perfectionnement de la navigation par la vapeur; et l'un des avantages caractéristiques de cet art est d'accroître l'activité des communications et le goût des voyages. Les distances s'effacent en quelque sorte où il existe de bons paquebots à vapeur. On trans-porte les marchandises les plus précieuses, les plus casuelles, avec autant d'économie que de promptitude et de sûreté, et les personnes qui avaient le plus de répugnance à voyager, regardent comme une partie de plaisir de s'embarquer dans des espèces de palais flottans où l'on fait rapidement de longues traversées, et où l'on jouit à peu de frais de toutes les aisances de la vie.

Aujourd'hui en France les bords de la mer et ceux de plusieurs fleuves présentent l'aspect d'un pays inhabité. Bientôt ils seraient presque aussi fréquentés que les environs de la capitale, si celle-ci devenait port de mer. L'expérience a déjà prouvé que les améliorations adoptées à Paris finissent par l'être dans nos autres grandes villes. Après avoir perfectionné la navigation de la Seine, nous perfectionnerions celles de toutes nos grandes rivières; la surface de notre pays se couvrirait de canaux, de routes, de navires et de voitures nouvelles, de voitures nouvelles, et par leur moyen, l'industrie, le commerce, le luxe, les sciences et les beaux-arts tendraient à se mettre au même niveau jusque dans nos départemens les plus reculés.

Le projet de faire arriver de grands navires à Paris pouvait être considéré comme une chimère quand il n'existait que des canaux propres à recevoir des bateaux calant au plus cinq ou six pieds; mais le canal Calédonien, que les Anglais viennent de terminer, a environ dix-neuf pieds dans les endroits les moins profonds. Nous demandons seulement d'ici au Havre douze pieds de profondeur, et nous n'avons pas à vaincre les grandes difficultés que présente le sol de l'Ecosse. Nulle part nous n'aurions à renverser d'effroyables rochers, à établir douze écluses presque à la suite les unes des autres, et à faire passer

t

notre route maritime par-dessus des vallées et des ravines profondes.

L'exécution du canal Calédonien contribuera sans doute à nous faire perfectionner la navigation de la Seine et de nos principaux fleuves; et sans doute aussi, ces derniers travaux en feront entreprendre du même genre dans les pays étrangers. Des cités que la nature semblait avoir condamnées à ne jamais communiquer directement avec la mer, Vienne, Berlin, Varsovie, Dresde et d'autres grandes villes, enfoncées dans le continent, recevront un jour dans leurs murs des navires, arrivés avec une promptitude merveilleuse de l'Inde, de la Chine, du Pérou, de la côte nord-ouest d'Amérique, et des autres contrées les plus lointaines.

Plus il y aura de nations intéressées aux progrès de l'art naval et à l'activité du commerce maritime, moins il sera possible aux Anglais de prétendre à la souveraineté des mers et au monopole universel. Ils sentiront que de pareilles prétentions leur susciteraient des guerres funestes; car des frégates à vapeur et des navires sous-marins causeraient des maux incalculables à leurs flottes militaires et marchandes, et toutes les nations civilisées auront un jour les moyens d'armer, jusque dans leurs capitales, un grand nombre de semblables navires.

Le gouvernement anglais a dépensé dans une année, en temps de guerre, jusqu'à trois cent millions pour sa marine; son budget actuel est de cent soixante millions. Combien de monumens admirables seraient produits par de pareilles sommes, si elles étaient appliquées aux canaux, aux routes, aux hospices, aux colléges, aux musées de la Grande-Bretagne! Mais, indépendamment des travaux destinés à un seul peuple, ne serait-il pas digne des nations qui se disent chrétiennes, et qui se croient si avancées dans la civilisation, d'entreprendre des travaux dont l'espèce humaine entière puisse profiter? Ainsi, au lieu d'abandonner à quelques spéculateurs anglais, et au pacha d'Égypte, le soin de joindre la mer Méditerranée et la mer Rouge, tous les principaux gouvernemens, tous les

principaux capitalistes ne devraient-ils pas prendre part à un si beau projet? Il en est un autre non moins important qui réclame leurs soins, mais dont s'occupent seulement quelques particuliers; c'est l'établissement d'une route maritime entre le golfe du Mexique et l'Océan pacifique. Le célèbre de Humbolt a reconnu sur les lieux la possibilité d'obtenir ce résultat de plusieurs manières différentes.

Je ne terminerai pas cet article sans faire observer que le perfectionnement de l'art naval et l'établissement de routes maritimes apporteraient de grands obstacles aux guerres d'invasion. Une armée de cent cinquante mille hommes ne traîne ordinairement avec elle que cent cinquante à deux cents bouches à feu de petit calibre, artillerie trop faible pour se mesurer contre celle de cinq ou six frégates à vapeur. On ne saurait donc trop se persuader que la création d'un port de mer à Paris se rattache aux plus hautes questions politiques. Puissent les industriels s'emparer de ce projet, et prouver, en le faisant exécuter à leurs frais, qu'ils connaissent leurs vrais intérêts aussi bien que ceux de la France!

DE MONTGÉRY.

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