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de proposer que la France entretienne habituellement une armée de 600,000 hommes. Il faut donc y suppléer par une force temporaire, qui puisse, au moment du besoin, doubler la force permanente qui existerait. Voilà le problême que le colonel Marbot se propose de résoudre, mais c'est au moyen d'une seconde classe d'armée permanente, dont l'organisation soulage les finances de l'État.

L'auteur établit en effet, dans son troisième chapitre, la né cessité d'organiser une force auxiliaire de l'armée permanente, et examine à ce sujet les essais faits en France et à l'étranger. Nous ne savons pas si l'on peut réellement compter au nombre de ces essais l'institution des milices, par Louis XIV, et les modifications qu'elle reçut en 1726 et en 1798.

Les principes militaires et politiques d'où l'on pouvait partir alors, étaient trop éloignés de ceux qui, aujourd'hui, doivent servir de base à l'organisation du système de défense des États, et la constitution encore féodale des armées, n'était pas un des moindres obstacles à l'établissement de l'harmonie nécessaire entre les différens élémens de la force de guerre (1). L'essai le plus heureux qui ait été fait jusqu'à présent est à notre avis l'organisation des landwehr, qui n'est cependant, disons-le, que l'application des principes qui ont présidé à l'établissement de notre garde nationale. Nous avons détérioré, puis abandonné, par le fait, cette institution, la plus conforme aux lois fondamentales de la société ; les Allemands l'ont perfectionnée, et en ont tiré des avantages que nous avons négligés. L'auteur, fait sur cette institution et sur le mode de recrutement des troupes allemandes par cercles, quelques réflexions que nous rapporterons brièvement. La principale est la différence que produit, dans les qualités physiques et morales de l'homme, celles qui existent entre les provinces d'où ils sont sortis, et qui feraient que des régimens entiers seraient plus ou moins courageux, plus ou moins vigoureux que d'autres. Nous pensons cependant que, si cette différence est plus choquante, quand elle se pré

(1) Journal des Sciences Militaires. Lieu précité.

Tom. I.

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sente d'une manière tranchante entre deux corps entiers, elle n'en est pas moins réelle pour ne se rencontrer qu'entre des individus rangés sous les mêmes drapeaux. Si mille hommes, par exemple, recrutés dans un pays froid, étaient destinés à périr dans un climat chaud, il serait à-peu-près indifférent pour la force de l'armée, qu'ils meurent dans un même régiment, ou dans plusieurs. Quant aux mauvais effets de la réunion d'un uombre d'hommes, d'un même lieu, dans un même corps, sous le rapport des émotions plus fortes que produisent les pertes devant l'ennemi, l'auteur, peut dire avec raison que la question est indécise. Sans parler des bataillons de volontaires de 1791, l'auteur de cet article pourrait, au fait cité par le colonel Marbot, opposer un exemple contraire, dans le petit corps qu'il commandait en 1793, et qui comptait 600 hommes du même département, et presque du même district.

Le chapitre Iv est consacré à l'examen des divers modes de recrutement établis en France depuis 1791. Ces différens modes de recrutement, ou pour parler avec une plus grande précision, de remplacement et de complètement de l'armée, ont été 1o. le recrutement volontaire ou mercenaire; 2°. la conscription; 3o. le recrutement par département de 1815; 4°. la formation des vétérans en 1818; 5o. le nouveau mode de conscription de 1819, et la réserve des 30,000 conscrits de 1824. Nous partageons en entier l'opinion de l'auteur sur les deux premiers; excepté que nous ne croyons pas que la conscription produise par elle-même la nécessité de tenir, en temps de paix, l'armée sur le pied de guerre. Elle n'excluait pas la formation d'une réserve, et elle n'empêchait pas de réduire l'armée, par un licenciement ou par la non-levée successive pendant un ou deux ans. La formation des légions départementales n'a été qu'une institution transitoire, dont les motifs ne sont pas du ressort de la science de la guerre. L'institution des vétérans était la seule chose qu'on pût imaginer d'utile, lorsque la garde-nationale dénaturée et désorganisée, ne pouvait plus offrir aucune ressource défensive. Mais elle avait un vice radical, que nous aurions désiré que l'auteur indiquât. C'est celui de doubler de fait le temps de ser

vice imposé aux conscrits, et de priver réellement la société de la corporation active d'un nombre d'hommes double de l'armée ou à peu près. Car l'individu retenu sous la loi par une disponibilité qui ne lui permettait pas de jouir d'un sort fixe, tant qu'elle durait, était encore sequestré de cette société. L'établissement d'une réserve de 30,000 conscrits est, comme le dit fort bien l'auteur, de nul effet pour renforcer l'armée, puisque ces conscrits, laissés sans instruction d'aucune espèce, ne for-ment sous aucun rapport une réserve disponible. Le seul avantage qu'y puisse trouver le gouvernement, est d'avoir successivement 240,000 recrues sous la main, sans avoir besoin de recourir à une loi.

A la suite des observations qui composent les chapitres précédens, le colonel Marbot présente dans le cinquième un nouveau projet d'organisation militaire, dont les bases principales sont les suivantes : Il devrait y avoir en France un nombre de bataillons de milice, égal à celui des départemens; ces bataillons, dont les cadres seraient permanens, ne serviraient qu'à recevoir les jeunes gens appelés au service militaire et à les instruire, pour les envoyer ensuite dans les corps de l'armée permanente. Les bataillons de milice n'auraient de présents sous les armes qu'un quart de miliciens, se relevant tous les trois mois et s'instruisant pendant ce trimestre. Les miliciens d'un même bataillon ne seraient pas envoyés dans un seul corps, mais répartis entre plusieurs. Les miliciens passeraient six ans dans leur bataillon, que l'auteur appèle préparatoire, et six autres années au service militaire. En temps de paix, le remplacement de l'armée se ferait par sixième dans la milice. En temps de guerre, tous les bataillons de milice, excepté leurs cadres seraient incorporés dans l'armée. La force des bataillons de milice présenterait un total supérieur d'un quart à celui de l'armée active.

On voit que l'intention de l'auteur est de donner chaque année neuf mois aux miliciens pour vaquer aux occupations de la vie civile. Son projet présente d'ailleurs les plus grands avantages pour l'armée permanente, qu'il permet de doubler par des sol

dats instruits. Mais est-il également avantageux à l'état, considéré comme la réunion totale des citoyens qui la composent? D'abord l'homme que la loi atteint et destine à servir la patrie, reste sequestré de la société pendant douze ans ; car il ne peut lui être que d'une utilité bien précaire pendant les six fannées de milice. L'homme ne devient réellement utile à la société que par son établissement et par l'exercice d'un état qui lui assigne des fonctions d'une nature quelconque parmi ses concitoyens. Quel établissement peut faire, quel état fixe peut exercer l'individu obligé d'abandonner son travail pendant trois mois chaque année, et qui sait qu'à une époque déterminée il doit passer dans un régiment. Cependant devenu milicien à 18 ans, c'est-à-dire avant que son éducation intellectuelle ou mécanique ne soit achevée, il n'est rendu à lui-même qu'à trente ans, c'est-à-dire lorsqu'il est trop tard pour la commencer.

L'auteur, dans son septième chapitre, fait le calcul approximatif des dépenses qu'occasionnerait son système. L'augmentation qu'il produit ne peut pas être regardée comme une charge aggravante. Ainsi que nous l'avons déjà dit, ce projet est très utile pour l'armée permanente, en faveur de qui seule il paraît avoir été fait.

Le chapitre VIII est destiné à démontrer que le système de milice, tel qu'il a été développé, tient sous le coup de la loi, moins d'hommes que celle du 5 avril 1824, et que les charges du service militaire seraient moins onéreuses en France que parmi les autres nations. Ces propositions sont d'une vérité rigoureuse, mais nous observerons qu'elles n'infirment en aucune manière les principes que nous avons cru devoir opposer au système. Dans le chapitre vi l'auteur examine et réfute une proposition faite par quelques militaires, pour accroître les forces de l'armée. Nous ne le suivrons pas dans cet examen dont les résultats sont à l'avantage de son projet. Les bases sont les mêmes dans tous, mais dans celui du colonel Marbot, les principes en sont singulièrement perfectionnés. Nous terminerons cependant cet examen succint par quelques observations qui nous paraissent indispensables, pour asseoir d'une manière claire les idées qu'on

peut se former de la force militaire, nécessaire pour la défense d'une nation. Nous avons déjà développé, dans le mémoire précité les motifs pour lesquels la défense d'un état ne saurait jamais reposer exclusivementsur l'armée permanente. Nous avons cité, des exemples mémorables de gouvernemens renversés, parce que l'armée permanente seule avait la force nationale dans les mains: la Prusse en 1806 et la France en 1814 et 1815. Nous avons vu l'Allemagne abattue se relever triomphante, dès que la force nationale s'est composée de la masse des citoyens en même temps que de l'armée. Jamais un état ne pourra entretenir constamment une armée permanente assez nombreuse, pour le garantir des attaques d'une coalition. Vouloir en étendre les racines même d'une manière indirecte, ne sera jamais qu'établir sur la nation un impôt onéreux en hommes, sans pouvoir même atteindre le but qu'on se propose; à moins d'arriver à une extension numérique telle, que toutes les autres occupations de la société seraient en souffrance. Le seul moyen, à notre avis, d'obtenir les résultats avantageux que l'auteur a en vue, est celui d'éten→ dre l'instruction militaire tactique, le plus qu'on peut sur la masse des citoyens en état de porter les armes. C'est ce qu'on pourrait par les compagnies d'élite de la garde nationale, si elle existait encore, en les composant d'hommes non mariés et les exerçant aussi souvent qu'il est possible. Il ne faut pas six ans pour faire un soldat d'infanterie. C'est aussi ce que fait l'organisation militaire actuelle de la Prusse. Les officiers qui s'en sont plaints au colonel Marbot, n'en avaient pas compris les vues profondes et peut-être plus menaçantes qu'on ne croit pour le repos de l'Europe. La politique intérieure du gouvernement prussien ne lui permettant pas de rétablir les landwehr ou gardes--nationales dans leur état primitif, et sa position l'obligeant à tenir prête une armée de beaucoup supérieure à celle qu'il peut solder, il a choisi le seul moyen de résoudre ce problême. Le renouvellement de l'armée, tous les trois ans, fait passer rapidement par l'instruction militaire toute la population habile aux armes, et la disposition qui assujettit encore pendant cinq ans à une levée subite le soldat congédié, place sous sa main une réserve exer

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