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Germains d'origine. Tacite (1) dit qu'ils étaient Cattes, c'està-dire que c'était une des peuplades qui formaient la nation des Cattes, anciens habitans de la Hesse et de la Turinge. Il paraît que leur nom véritable était Baltes ou Batten, et que celui de Batavie, donné à leur pays, n'est qu'une corruption du mot germanique Batten-au ou Batt-an (contrée des Battes). Il paraîtrait alors que leur siége originaire était sur les bords de l'Eder et de la Verra, où l'on trouve encore Battenburg et Battenhausen. Avec les Bataves était venue la peuplade des Caninefates, également Catte. Les Bataves occupèrent la partie orientale ou la pointe de l'île, et les Caninefates les bords de la mer. Ces derniers étaient les plus nombreux, quoiqu'on les ait toujours confondus sous le nom de leurs voisins.

Jusqu'à l'époque de l'insurrection excitée par Civilis, les Bataves avaient toujours été traités non-seulement avec modération, mais même avec distinction. Exempts de tributs et de toutes espèces de charges pécuniaires, ils ne connaissaient pas les vexations des publicains. Rome ne demandait d'eux que des soldats, et leur esprit beliiqueux se prêtait volontiers à un impôt de cette naturc, qui leur fournissait l'occasion d'exercer leur bouillant courage, et offrait à leur jeune noblesse celle de se distinguer. Car leurs cohortes d'infanterie, ou leurs escadrons de cavalerie étaient toujours commandés par des nationaux. Les troupes bataves, qui avaient servi utilement dans la guerre germanique et à la conquête de la Bretagne, jouirent bientôt d'une grande réputation dans les armées romaines, où l'histoire nous dit qu'elles occupaient un rang presque égal à celui des cohortes prétoriennes. Mais lorsque les guerres civiles qui suivirent l'insurrection de Vindex et la mort de Néron, vinrent agiter l'empire, la nécessité de complèter les légions affaiblies et d'en former de nouvelles, occasionna dans la levée des troupes des 'vexations, qui furent la cause ou plutôt le prétexte de la guerre dont nous nous occuperons dans le présent mémoire.

Avant d'en commencer la description, il ne sera pas hors

(1) Tacit. Histor. IV, 5, Mor. Germ. 9. Plin. IV, 15, 17.

de propos de jetter un coup d'oeil géographique sur le pays qui lui servit de théâtre depuis Mayence jusqu'à la mer (Voy. pl. I). Il s'y était fait de grands changemens depuis César. Les Eburons et les Aduatiques, détruits ou dispersés par ce conquérant, leur pays était resté désert. Les Menapiens, fort maltraités, avaient abandonné la rive droite de la Meuse, pour se renfermer dans les marais de la Campine, des bouches de l'Escaut et de la Flandre. Ces contrées furent occupées par d'autres peuples. Déjà sous le règne d'Auguste, les Ubiens, pressés par leurs voisins, sur qui l'impulsion des sauvages de l'orient et du nord commençait déjà à se faire sentir, avaient demandé un asile aux Romains. Agrippa les transplanta des bords de la Ruhr et de la Lippe, à la rive droite du Rhin, dans là partic orientale du pays des Eburons. Successivement les Suniciens, les Tongres et les Betasiens furent mis en possession du restant de ce pays. Les Toxandres et les Gugernes occupèrent chez les Menapiens, les premiers les cantons d'Herentals et de Turnhout, les seconds les pays de Gueldre et de Cleves. Drusus, en joignant les eaux de l'Yssel et du Rhin, avait donné à ce fleuve une nouvelle embouchure, dans le lac Flevus, et avait aggrandi l'île Batave, dans laquelle se trouvèrent compris plusieurs petits peuples, tels que les Frisiabons et les Sturiens et une portion des Chauques (Chauci). Peu après, le même Drusus ayant soumis les Frisons au tribut, les limites de l'empire s'étendirent au nord jusqu'à l'Ems.

Tels étaient les changemens qui avaient eu lieu dans le nord de la Belgique, depuis César jusqu'à Néron, sous le rapport des peuplés qui l'habitaient. Depuis cette époque jusqu'à nos jours, il ne s'en est pas fait de moins importans dans la configuration topographique de ces contrées. Elles sont telles qu'il est nécessaire de s'arrêter un instant à les indiquer, afin de pouvoir comparer la carte jointe au présent mémoire avec les cartes modernes du même pays. La séparation du Rhin et du Wahal se faisait comme aujourdhui, près du fort de Schenk; de là le Rhin coulait vers Utrecht. En face de Castra Herculis (Huissen) s'ouvrait le canal de Drusus, qui joignait

les eaux du Rhin à celles de l'Yssel, à Doesbourg (Castra Drusi). Les eaux de l'Yssel ainsi rendu navigable se jettaient. dans le lac Flevus à Kampen (Navalia). A Utrecht, le Rhin se séparait de nouveau en deux branches. L'une, la Germanique, aujourd'hui appelée Vecht, se jettait dans le lac Flevus, près de Muyden. Le lac Flevus lui-même n'occupait que la partie méridionale du Zuiderzée et ne dépassait pas une ligne tirée du nord de l'île de Schokland à Enkhuisen. La rivière qui servait d'embouchure au lac s'appelait également Flevus, et se jettait dans la mer entre l'île actuelle de Flieland et celle de Terschelling. L'autre branche arrosait les murs de Lugdunum Batavorum (Leyde), et se jettait dans le Rhin au-delà de Kattwyk-op-Zee. De Leyde une troisième branche passait près de Harlem et d'Alkmaer et se jettait à la mer en deux embouchures à Egmont et à Putten. Le canal que fit creuser Corbulon pour recevoir les refoulemens de la haute marée, est celui qui existe encore entre Leyde et Delftshaven. Le Leck n'était alors ainsi que le Merve, qu'une petite rivière formée par l'écoulement des marais. Ce fut, comme nous le verrons plus bas, Civilis qui y détourna les eaux du Rhin par une coupure près de Batavodurum (Wyck), et forma ainsi le canal qui, élargi par les Hollandais en 860, acheva de dessécher le bras de Leyde. La Meuse recevait le Wahal au même lieu qu'aujourd'hui, mais de là elle suivait le lit appelé Oude Maas, qui passe à Crevecœur et Heusden, arrosait les murs de Gertruydenberg (autrefois mons Litoris) et traversait le canton où s'est formé depuis le Bies Bosch. Au lieu où est aujourd'hui Willemstadt, commençait sa large embouchure, l'immensum os mosae de Tacite (1). La rive orientale de cette embouchure passait Vlardingen, et la méridionale suivait l'île d'Over Flake. Les tles de Vorne, Putten et une partie de Beyerland se sont formées depuis. Après avoir arrosé les murs d'Andoverpium (Anvers), et près de l'emplacement du fort de Batz, l'Escaut se divisait en deux branches. L'occidentale -coulait au sud des îles de Walcheren et Zuyd Beveland, et se (1) Tacit. annal. 11. 1,

jettait à la mer au nord du Portus Aepatiacus (Blankenberg.) Ce bras en recevait un autre intérieur qui débouchait du Gandavus Portus, aujourd'hui Gand. La branche orientale coulait dans le lit appelé encore aujourd'hui Escaut oriental. Il existait déjà alors une communication entre l'Escaut et la Meuse, par la rivière appelée Eendragt, qui coule à Tholen, et par le Volk Rack. Il est aisé de voir par cette description, que les îles qui existent aux embouchures de la Meuse et de l'Escaut, formaient autrefois un continent qui n'était coupé que par les lits de ces rivières. Il est probable cependant que les canaux qui les séparent actuellement étaient alors des vallées marécageuses, et formaient ces îles où César dit que les Ménapiens se refugièrent à son approche. Le restant de leur pays, c'est-à-dire la Flandre et la Campine, était couvert de bois marécageux.

Nous avons déjà vu que les Bataves, vu que les Bataves, traités par les Romains plutôt en alliés qu'en sujets, n'éprouvaient aucunes des vexations fiscales que les Romains savaient si bien appesantir sur les peuples qui leur étaient soumis. Le besoin qu'ils avaient de ces troupes valeureuses et les services qu'elles avaient rendus, obligeaient le despotisme proconsulaire à respecter la nation. En un mot, pour nous servir d'une expression, de Tacite, les Romains tenaient les Bataves en réserve, comme des traits et des armes pour la guerre (1). Ne servant ainsi l'empire qu'en hommes et en armes, ils n'étaient ni corrompus par la richesse des Romains, ni effrayés de leur puissance. Leurs cohortes, qu'ils avaient encore conservé le droit de commander eux-mêmes, s'étaient méritées dans les guerres germaniques une illustration qu'augmenta encore la gloire acquise en Bretagne. Dans leur pays même ils avaient un corps de cavaliers d'élite, particulièrement exercés à la natation. A cheval et tout armés ils traversaient le Rhin à la nage par escadrons. Sous le règne de Néron, Jullius Paullus et Claudius Civilis frères et tous deux de race royale, étaient les plus distingués

(1) Tacit. Mor. Germ. 9.

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parmi les Bataves (1). Le légat de la Germanie inférieure, Fonteius Capito, fit mourir Paullus, sur une fausse accusation de rébellion. Civilis mis aux fers fut envoyé à Rome devant Néron, mais après la mort de cet empereur, Galba le fit mettre en liberté. De retour chez lui il courut un nouveau danger à l'avénement de Vitellius, et n'échappa qu'avec peine à la mort que lui vouait la haine de l'armée, qui demandait avec instance son supplice. Telles furent les causes de sa haine contre les Romains: les maux qui assiégeaient l'empire faisaient naître en lui l'espoir de se venger.

Civilis, doué d'un esprit plus profond que ne l'ont communément ces peuples peu policés, se comparait à Sertorius et à Annibal, avec lesquels il avait de commun d'être borgne, dit Tacite, mais à qui il ne ressemblait pas moins par son génic. Ne voulant pas risquer de se présenter tout-à-coup comme ennemi, en se séparant ouvertement des Romains, il prétexta de l'attachement pour Vespasien et parut zélé pour son parti. Peu après il reçut des lettres d'Antonius Primus, qui lui enjoignait de désorganiser les troupes auxiliaires appelées par Vitellius, et de retenir les légions par l'apparence d'une guerre germanique. Le légat actuel Hordeonius Flaccus lui avait fait les mêmes recommandations, autant par inclination pour Vespasien, que par la crainte que la continuation de la guerre et l'irruption de tant de troupes en Italie n'entraînassent la ruine de l'empire. Civilis, décidé à se revolter, mais cachant l'étendue de ses projets et laissant aux événemens le soin de les développer, commença la révolution de la manière sui

vante.

La jeunesse batave était appelée à la conscription par ordre de Vitellius. Cette levée déjà dure par elle-même, fut encore aggravée par l'avarice et la luxure des employés. Ils enlevaient des vieillards ou des infirmes pour les relâcher à prix d'argent. Ils se réservaient les jeunes hommes, d'une figure agréable, et, dans ce pays, la jeunesse est belle, pour en abuser. Ces

(1) Tacit. Histor. Iv. 3.

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