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par le mari. Le principe général est que le délit étant régulièrement dénoncé, la poursuite doit suivre son cours. A la vérité, le mari, s'il eût vécu, eût pu se désister de cette poursuite, et son décès enlève à la femme la chance de ce désistement; mais est-ce là un motif suffisant d'interrompre la poursuite d'un délit dont la justice est saisie, et qui, ainsi que nous l'avons établi, intéresse la société non moins que le mari? La même objection se présenterait, si le mari décédait après la condamnation encourue; la femme serait également privée des chances de la remise de sa peine, et toutefois on ne pourrait soutenir que ce décès dût avoir pour effet d'ouvrir à la femme les portes de la prison. Enfin la mémoire du mari est non pas flétrie, mais vengée par la condamnation, et le droit de grâce, introduit dans l'intérêt du mariage, n'a plus de motif quand le mariage est dissous. Le décès du mari, quand il a persisté jusqu'à la mort dans sa plainte, ne doit donc mettre obstacle ni à la continuation de la poursuite, ni à l'exécution de la peine (1).

Nous avons parlé jusqu'ici de l'adultère de la femme. La poursuite de l'adultère du mari a aussi · ses règles particulières.

La loi romaine ne permettait pas aux femmes d'accuser leur mari d'adultère (2). C'était également, dans notre ancien droit, un principe généralement reçu, que l'accusation d'adultère est interdite à la

(1) Telle était aussi la décision de la loi 11, § 8, Dig. ad leg. Jul., de adulter. << Defuncto marito, adulterii rea mulier postulatur. » (2) L. 1, C. ad leg. Jul. de adulter.

femme (1). « La femme, dit Jousse, ne peut intenter dans aucun cas l'action d'adultère contre son mari, quand même il aurait chez lui une concubine, et les lois civiles en laissent la vengeance à Dieu (2). » La principale raison qu'en donnent les jurisconsultes, c'est que l'incontinence du mari se consomme le plus souvent hors de la maison ; qu'elle n'a pas, comme celle de la femme, l'inconvénient d'introduire des étrangers au milieu des enfants légitimes, et que d'ailleurs ce serait fournir aux femmes le prétexte d'une multitude de réclamations scandaleuses (3). Nous avons déjà contesté la force de ces motifs (4). Damhouderius cite plusieurs législations d'après lesquelles l'adultère était considéré comme gravius in maribus quàm in fœminis (5). La législation pourrait donc, sous ce rapport, être mise en harmonie avec la saine morale qui doit flétrir l'adultère, dans quelque rang ou dans quelque sexe qu'on ait à le frapper.

L'article 339 du Code pénal a restreint cette répression au seul cas où le mari a entretenu une concubine dans la maison conjugale et a été convaincu sur la plainte de la femme. « Après avoir fourni une garantie à l'époux, a dit le rapporteur du Corps législatif, il était juste d'offrir à l'épouse délaissée, sinon une réciprocité entière, désavouée par la na

ture des choses et la différence des résultats de l'adul

(1) Fournel, p. 13.
(2) Ibid., t. 3, p. 240.
(3) Ibid., p. 14.

(4) Voy. suprà, p. 59.

(5) Chap. 89, n 109.

tere dans les deux sexes, du moins un moyen à la femme pour soustraire à ses regards la présence et les triomphes de sa rivale. Le mari qui, après avoir oublié les sentiments dus à son épouse, méconnaîtrait assez les égards dont elle doit être l'objet pour entretenir une concubine dans sa maison, sera puni d'une amende de 100 francs à 200 francs; toute action d'adultère contre son épouse lui sera interdite de quel droit le parjure pourrait-il invoquer la sainteté des serments? »

Ainsi ce n'est que dans le cas unique de l'établissement d'une concubine dans la maison conjugale, que l'adultère du mari devient un délit; mais dans ce cas, et par une parfaite analogie, c'est seulement sur la plainte de la femme que le mari peut être poursuivi; ce n'est que dans ce seul cas qu'il a été dérogé aux dispositions trop indulgentes de notre ancien droit.

La femme peut-elle, après avoir formé sa plainte, en arrêter les effets en se désistant? Le législateur n'a point investi la femme du droit de grâce qu'il a attribué au mari. Ce droit exceptionnel ne peut être étendu; la femme ne peut donc pardonner. Nous verrons dans le prochain paragraphe quelles fins de non-recevoir peuvent être opposées par le mari à la plainte de la femme.

S III.

Des fins de non-recevoir sur la plainte en adultère.

La femme poursuivie pour adultère peut opposer

à la plainte du mari diverses fins de non recevoir. Nous rangeons dans ce titre, pour ne pas multiplier les divisions, les faits justificatifs qui détruisent le délit lui-même, les exceptions qui, sans dénier le délit, repoussent l'exercice de l'action; enfin, les faits d'excuse qui peuvent en atténuer la gravité. La violence et l'erreur sont deux faits justificatifs de l'adultère.

Lorsque la femme a été victime d'un viol, il est évident que le délit d'adultère n'existe pas; car il manque au délit l'élément de la volonté; le coeur, suivant l'expression de Fournel, n'est pas complice de la souillure du corps (1). Telle était aussi la décision de la loi romaine: Quæ vim patitur non est in eâ causâ ut adulterii vel stupri damnetur (2). Tous les auteurs ont répété cette décision comme une maxime (8).

Mais il faut que le crime soit constaté, que la violence soit véritable , que les preuves en soient fournies. C'est aux faits qui ont précédé ou accompagné le délit à déposer de son caractère. « La femme, dit Fournel, a-t-elle, par ses cris et ses plaintes, annoncé l'outrage qu'elle essuyait? paraît-il qu'elle ait épuisé toutes les ressources que les circonstances ont dû lui fournir? toutes les issues étaient-elles fer

(1) Traité de l'adultère, p. 82.

(2) L. 13, § 7, Dig. ad leg. Jul., de adulter.

(3) Farin., quæst. 141, num. 15; Julius Clarus, § adul. in suppl., num. 15 et 96; Menochius, de arbit. quæst. casu 354, num. 2; Damhouderius, p. 270, num. 41.

mées à la fuite? porte-t-elle sur sa personne des marques de la brutalité de son agresseur? a-t-elle imprimé sur celui-ci quelques traces de sa résistance (1)? » Tels sont quelques-uns des indices qui peuvent éclairer la justice. La violence morale ne serait pas une excuse suffisante, à moins que la femme n'ait été dans l'alternative de céder aux désirs de son ravisseur ou de subir une mort certaine. Mais si elle n'a pas cédé à la plus impérieuse nécessité, son consentement n'est qu'un acte de complicité constitutif du délit.

L'erreur est une autre cause de justification. Tel est le cas dont nous avons parlé plus haut, où un individu s'est glissé, pendant le sommeil de la femme, à la place que son mari vient de quitter (2). Si la femme a été trompée par les ténèbres, si sa méprise est évidente, elle ne saurait être inculpée (3), à moins toutefois que cette erreur ne fùt grossière et équivalente au dol (4).

Les fins de non-recevoir peuvent se fonder sur la prescription de l'action, sur la nullité du mariage ou sur des faits personnels au mari.

En droit romain, l'accusation du délit d'adultère se prescrivait par cinq ans : Adulter post quinquennium quàm commissum adulterium dicitur, quod continuum numeratur, accusari non potest, easque

(1) Traité de l'adultère, p. 84.

(2) Arr. Besançon, 13 oct. 1828 (Journ. du dr. crim. 1829, p. 44). (3) Farin., quæst. 141, num. 96.

(4) Julius Clarus, in suppl., § adulter., num. 100.

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