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-La volonté du mari peut mettre un terme aux peines prononcées contre sa femme. Le 2 § de l'article 337 porte: « Le mari restera le maître d'arrêter l'effet de cette condamnation, en consentant à reprendre sa femme. » L'orateur du Corps législatif expliquait cette disposition en ces termes : « Par la nature presque privée de ce délit, ou plutôt par la puissance domestique dont est investi le mari, ce dernier restera toujours le maître d'arrêter l'effet de la condamnation prononcée contre son épouse. Il pourra, en la reprenant chez lui, se livrer au plaisir de lui pardonner, et jouira dans toute sa plénitude du droit de faire grâce, et de resserrer les liens de l'amour par ceux de la reconnaissance. >> Nous avons vu plus haut que cette disposition existait déjà dans la Novelle de Justinien.

-La seule question à laquelle elle peut donner lieu est de savoir si le complice doit profiter de la grâce accordée par le mari à sa femme. La négative est évidente. L'article 337 a restreint le droit qu'il défère au mari aux seules peines de la femme, et cette disposition exceptionnelle doit être renfermée dans ses termes. D'ailleurs, la raison de la loi n'existe plus si le désistement du mari, intervenu avant que la condamnation de la femme soit définitive, profite au complice, c'est qu'il n'existe point encore à cette époque une certitude judiciaire de l'adultère, et qu'il importe que cette certitude ne soit pas acquise. Mais quand la condamnation est définitive, il n'existe aucun moyen d'étendre les effets du pardon de l'un à l'autre, et la société réclame contre le

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complice l'exécution d'une peine qui ne saurait nuire à la réunion des époux. C'est aussi dans ce sens que cette question a été jugée par la Cour de cassation (1).

Dans plusieurs espèces où l'adultère était environné des circonstances les plus odieuses, les tribunaux n'ont pas trouvé, dans les peines portées par les articles 337 et 338, une répression suffisante du délit : ils ont condamné le complice à des dommages-intérêts envers le mari. Cette jurisprudence, sanctionnée la Cour de cassation (2), n'a pas paru à quelpar ques auteurs conforme au texte et à l'esprit de la loi : « La loi, dit M. Bedel, n'attribue pas expressément au mari le droit de demander des dommages-intérêts au complice, à titre de réparation de son déshonneur, que l'argent ne réparerait pas Mais il pourrait en réclamer, si, par exemple, l'éclat de son procès lui avait causé un dommage réel, en le forçant à changer de résidence (3). » M Carnot est plus absolu encore : « La loi, dit-il, n'accorde de dommages-intérêts au mari ni contre sa femme ni contre son complice: elle fait uniquement perdre à la femme les avantages que le mari lui aurait faits (4). » Lorsque, par suite d'un duel, une famille perd son soutien, son appui, la jurisprudence lui accorde des

(1) Arr.cass. 17 janv. 1829 (Bull. p. 29).

(2) Arr. cass. 5 juin 1829 ( Journ. du dr. crim. 1829, p. 285); et arr. cass. 17 janv. 1829 (Ibid., p. 274). En 1829, le baron D.... a été condamné à 140 mille francs de dommages-intérêts.

(3) Nouveau Traité de l'adultère, p. 106.

(4) Comm. du Cod. pen., t. 2, p. 182.

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dommages-intérêts. Cependant le duel est un combat où chacun risque sa vie; celui qui se bat en duel est protégé par ce qu'on appelle le point d'honneur. Mais l'adultère qui cherche l'ombre, l'adultère qui ne craint pas de blesser un époux dans son amourpropre, sa propriété, son amour, comme l'a dit M. Monseignat; l'adultère qui viole tous les droits, qui cause un préjudice tellement grave qu'on a été jusqu'à soutenir que ce préjudice ne pouvait être réparé, parce qu'il est irréparable; l'adultère qui à jété le trouble au sein de la famille, qui a souvent armé la main des époux ; l'adultère ne verrait pas sa fortune exposée à réparer le crime qu'il commet!

Qué les tribunaux sachent appliquer avec sévérité un châtiment qui paraîtra pénible, qu'ils condamnent l'adultère à des dommages-intérêts: ce sera pour la victime une triste compensation; mais il y aura privation pour le coupable. Les Anglais ont merveilleusement senti tout l'effet qu'on devait espérer de condamnations rigoureuses; il est une foule d'exemples où, pour une conversation criminette, des Anglais ont été condamnés à des sommes considérables de dommages-intérêts. On voit figurer dans les procès d'adultère les noms les plus célèbres; en 1826, l'héritier d'une des premières familles d'Angleterre fut condamné à 150,000 fr. de dommages-intérêts. L'opinion de MM. Carnot et Bedel est contraire au texte même de l'article 1382 du Code civil, aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme qui a causé du dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il est bien incontestable que l'époux victime de l'adultère éprouve un dommage réel; c'est donc aux tribunaux à apprécier ce dommage, soit en annulant les dons faits par l'un ou par l'autre époux, soit en prononçant contre le mari, contre la femme ou contre le complice, une réparation pécuniaire proportionnée à la fortune des deux époux. Ils doivent toutefois repousser les demandes présentées par esprit de lucre et de spéculation, ou résultant d'un concert frauduleux; ils doivent ne se servir qu'avec réserve et sagacité du puissant moyen de répression que la loi a laissé à leur disposition. Exercée dans de certaines limites, et appuyée sur la conscience publique, cette faculté illimitée attribuée aux juges de prononcer une réparation civile peut produire des effets utiles à la morale et à l'ordre social.

Une dernière question reste à notre examen. Suivant l'exemple de la loi, nous avons nommé complice le coauteur de l'adultère; les véritables complices du délit, dans le sens de l'art. 60 du Code pénal, sont ceux qui ont favorisé sa perpétration en fournissant les moyens de le commettre. Ces complices peuvent-ils être mis en cause ? peuvent-ils devenir passibles dés peines de la loi? Dans le droit romain, cette question n'était pas douteuse : le mari pouvait comprendre dans son accusation ceux qui avaient favorisé l'adultère, en prêtant leur maison pour le consommer: Sed et si in domum aliquam solitus fuerit convenire ad tractandum de adulterio, etsi eo loco nihil fuerit admissum, verumtamen videtur is domum suam ut stuprum adulteriumve

committeretur præbuisse, quia sine colloquio adulterium non committeretur (1). Les femmes étaient comprises dans ces termes aussi bien que les hommes: Mulieres quoque hoc capite legis, quod domum præbuerint, ut pro comperto stupro aliquid acceperint, tenentur (2). Ceux mêmes qui avaient reçu de l'argent pour ne pas découvrir au mari les désordres de sa femme pouvaient être poursuivis dans la même accusation Quilibet ob conscientiam stupri accepit aliquid, pænd erit plectendus (3). Ces décisions étaient suivies dans notre ancien droit. Julius Clarus range l'instigateur sur la même ligne que le délinquant : Mandans adulterari debet puniri de ordine et consilio eâdem pœnâ quâ punitur adulter (4). Farinacius exprime la même règle, mais à l'égard seulement de celui qui prête sa maison: Adulterii pona habet locum in eo qui ad adulteria committendum suam domum accommodat (5). Enfin, Jousse atteste que telle était l'ancienne jurisprudence. « Les complices du crime d'adultère, dit-il, doivent être punis comme ceux qui sont coupables d'adultère. Tels sont ceux qui favorisent ces sortes d'entrevues, qui les ménagent par leurs intrigues, ou qui prêtent leur maison à cet effet (6). » Notre droit nouveau a-t-il renversé cette règle consacrée par une si longue pra

(1) L. 9, 10 et 20, Dig. ad leg. Jul. de adulteriis. (2) Ibid,

(3) Ibid.

(4) S adulterium, suppl., no 73.

(5) Quæst. 141, no 49.

(6) Tom. 3, p. 228.

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