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la personne attaquée dans sa maison, suivant que l'attaque a eu lieu pendant le jour ou pendant la nuit. Cette distinction est fondée sur la nature des choses pendant la nuit, ainsi que nous le verrons dans le chapitre suivant, en expliquant l'art. 329, la personne menacée dans son domicile est considérée comme en état de légitime défense; elle ne peut reconnaître les assaillants, elle ignore leurs projets, elle peut les supposer homicides; les secours sont éloignés ou incertains; le péril est imminent; la défense n'est pas forcée de l'attendre, elle peut le prévenir. La situation n'est plus la même pendant le jour les assaillants peuvent être reconnus et livrés plus tard à la justice; il est facile d'apprécier leurs desseins et de les déjouer; les secours sont plus prompts, les nécessités de la défense moins urgentes, le péril moins menaçant.

Cette distinction, fondée sur l'imminence présumée du danger, se trouve dans les législations les plus anciennes. On lit dans l'Exode : Si effringens fur domum sive suffodiens fuerit inventus, et accepto vulnere mortuus fuerit, percussor non erit reus sanguinis. Quod si orto sole hoc fecerit, homicidium perpetravit (1). Solon ne permettait également de tuer ou de blesser en le poursuivant que le voleur de nuit (2), et la Loi des XII Tables avait recueilli sa décision: Si noctu furtum fiat, furem autem aliquis occiderit, impunè esto. Cette loi fut continuée par les édits des

(1) Cap. 22, num. 2 el 3.

12) Demosth., oral. adv. Timocrat.

TOME VI.

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préteurs et recueillie par le Digeste qui la reproduit et l'explique en ces termes : Lex XII Tabularum furem noctu deprehensum occidere permittit, ut tamen idipsum eum clamore testificetur : interdiù autem deprehensum, ità permittit occidere, si is se telo defendat (1). On la retrouve dans les capitulaires de Charlemagne : Fur nocturno tempore captus in furto, dùm res furtivas secum portat, si fuerit occisus, nulla ex hoc homicidio querela nascatur (2). Les auteurs attestent que la jurisprudence a constamment appliqué cette règle (3).

Cependant elle ne doit point être prise dans un sens trop absolu : fondée sur une présomption, elle doit fléchir devant les faits.

Ainsi l'on verra dans le chapitre suivant que, même pendant la nuit, il n'est pas toujours permis à la dont la maison est assaillie de repouspersonne ser par l'homicide les auteurs de l'escalade ou de l'effraction. Il est également certain que si ces actes, entrepris pendant le jour, sont accompagnés de circonstances inquiétantes pour la sûreté des habitants de la maison; si les assaillants, par leur nombre, par les armes qu'ils portent, par leurs menaces, annoncent des projets de meurtre ou de pillage; si, enfin, l'isolement de la maison enlève tout espoir d'un prompt secours, l'homicide ou les blessures commis pour repousser cette attaque seront non

(1) L. 4, Dig. ad leg. Aquiliam.

(2) Cap. reg. Franc., Baluze, lib. 5, num. 343.

(3) Farin., quæst. 25, num. 199; Jousse, tom. 3, pag. 501.

seulement atténués par l'excuse de la provocation, mais à l'abri de toute incrimination.

En effet, l'escalade et l'effraction des clôtures d'une maison ne peuvent point, par cela seul qu'elles ont été commises durant le jour, être nécessairement classées parmi les causes de provocation qui modifient mais n'effacent pas la criminalité des représailles. Il faut, pour produire les effets d'une provocation, qu'elles en conservent les caractères. « Il est difficile, disait le rapporteur du Corps législatif, de déterminer avec précision ce moyen d'excuse; il doit varier suivant l'isolement, la position, les qualités physiques ou morales du coupable des violences et de la personne qui les éprouve. Le projet donne pour exemple de l'excuse de l'homicide les voies de fait employées pour repousser, pendant le jour, l'escalade, l'effraction, la violation du domicile. » Ainsi la loi a voulu poser, dans l'espèce de l'art. 322, l'exemple d'une provocation; d'où il suit que si l'agression change de nature et menace la vie même des habitants de la maison, si ceux-ci n'agissent plus sous l'empire d'une simple provocation, mais pour se défendre, l'art. 322 cesse d'être applicable. Cet article n'a point dérogé au principe général posé dans l'art. 328; l'exception de légitime défense couvre l'homicide ou les blessures qu'ils ont commis, toutes les fois que leur vie a été menacée et mise en péril.

L'article 322 n'a prévu les actes qu'il énumère que pour les assimiler à la provocation; ces actes doivent donc présenter des caractères analogues aux violences

qui constituent la provocation, c'est-à-dire présenter assez de gravité pour faire la plus vive impression sur l'esprit d'un homme raisonnable, sans toutefois lui faire craindre pour sa vie, car son action, on le répète, serait alors un acte de défense. On peut en donner pour exemple le cas où l'escalade, où l'effraction a pour objet, soit de commettre un vol, soit même une simple violation du domicile : le maître de la maison n'a pas assurément le droit, si sa vie n'est pas en danger, de tuer ou de blesser le voleur ou l'assaillant; mais s'il a commis cet homicide ou ces blessures, il est excusable, car il pouvait ignorer les projets de cet assaillant, et les actes préparatoires du vol ou de la violation du domicile constituent à son égard une provocation qui modifie son action.

Les termes de l'article 322 ne doivent pas être entendus dans un sens trop restrictif. Lorsque la loi pose un cas d'excuse, il est évident qu'elle ne peut pas être rigidement enchaînée dans les liens de l'espèce qu'elle a prévue ses motifs se réfléchissent même hors de cette espèce, sur des faits analogues, lorsque les mêmes circonstances les accompagnent. Ainsi, en suivant littéralement le texte de l'article 322, l'excuse ne pouvait être invoquée que dans le seul cas où l'homicide aurait été commis ou les blessures faites en repoussant l'escalade ou l'effraction. Mais à plus forte raison, on doit décider que l'excuse s'étend aux voies de fait commises après l'escalade ou l'effraction effectuée, et pour repousser le voleur ou l'agresseur qui s'est introduit dans la maison. La même raison domine ces deux hypothèses; il est im

possible d'en déduire deux règles différentes de responsabilité pénale.

Mais en sera-t-il de même si le maître de la maison, ayant aperçu les préparatifs de la violation de son domicile, n'a pas attendu l'escalade ou l'effraction pour commettre les voies de fait? Il est évident que cette question dépend entièrement des circonstances: si cette personne n'a fait que prévenir, par ce moyen, l'escalade ou l'effraction dont elle était menacée, si son isolement ne lui permettait d'invoquer aucun secours, si elle pouvait craindre le succès de l'escalade ou de l'effraction, il ne paraît pas douteux qu'elle puisse être protégée par l'article 322; car les simples préparatifs du crime, quand ils sont visibles et bien constatés, et que la personne qu'ils menacent n'a pour les repousser que des moyens incertains, peuvent constituer, aussi bien que le premier acte d'exécution, une véritable provocation; il suffit que ces préparatifs soient de nature à produire une vive émotion, une frayeur fondée. Les anciens auteurs admettaient également cette excuse; ils reconnaissaient au maître de la maison le droit de repousser le voleur, dès qu'il avait reconnu ses funestes desseins, et lorsqu'il se préparait à les exécuter, dùm se ad furandum preparat (1). Ils citaient pour exemple les agents qui sont surpris dressant une échelle contre un mur, in fure apponente scalas ad fenestras causâ furandi (2). Mais l'excuse ne pourrait plus être in

(1) Farin., quæst. 125, num. 195.

(2) Ibid., eodem loco.

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