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qui pouvait causer la mort ou compromettre la santé d'un enfant nouveau-né, et ce délit est dès lors le même à l'égard de tous les enfants. Le décret du 19 janvier 1811 ne saurait d'ailleurs justifier l'arrêt ; il définit les enfants trouvés : « ceux qui, nés de pères et mères inconnus, ont été trouvés exposés dans un lieu quelconque, ou portés dans les hospices destinés à les recevoir, » Ainsi, tous les enfants portés dans les hospices, quels qu'ils soient, sont des enfants trouvés; le décret ne recherche point leur origine; il les qualifie d'après le fait de leur dépôt. Mais lors même que le décret, comme nous le croyons d'ailleurs, n'aurait eu en vue que les enfants naturels, s'ensuivrait-il que le dépôt dans un hospice d'un enfant légitime devrait prendre le caractère prévu par l'art. 352? Ce délit n'a-t-il pas ses caractères spéciaux, indépendants des dispositions de ce décret? On objecte que son art. 23 porte que « Les individus qui seraient convaincus d'avoir exposé des enfants, et ceux qui feraient habitude de les transporter dans les hospices, seront punis conformément aux lois. » Mais, dans le premier cas prévu par cet article, il s'agit évidemment d'une exposition hors de l'hospice, exposition que le décret est destiné à prévenir; et dans le second cas, il s'agit d'un fait, l'habitude du dépôt d'enfants dans les hospices, qui n'a aucun rapport avec l'art. 352, et n'est même prévu par aucune loi. Nous le répétons: il s'agit d'une action odieuse qui peut, dans certains cas, constituer soit le crime de suppression d'état, soit le délit de délaissement, mais qui ne saurait suppléer aux éléments légaux de ces deux délits,

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par le seul fait de la légitimité de l'enfant. Peut-être, au surplus, faut-il louer la sagesse qui a laissé cette lacune dans la loi; la misère et la débauche peuvent porter même des pères et mères mariés à attenter aux jours de leurs enfants; et le législateur qui, en écrivant les dispositions qui nous occupent, ne con→ sultait que l'intérêt de ces frêles créatures, a dû laisser des délits moins graves impunis, et leur ouvrir, comme un port contre les attentats qui les 'menaçaient, ces tours des hospices que quelques esprits systématiques ont voulu naguère fermer.

L'art. 352 nous suggère une dernière observation : les auteurs de l'exposition en un lieu non solitaire ne sont point responsables des accidents qui ont pu survenir à la suite de l'exposition; la peine n'en est point aggravée. Le motif de cette lacune est sans doute que l'agent, en choisissant un lieu fréquenté, n'avait pas eu l'intention que l'enfant pût souffrir de l'exposition, Mais il ne doit pas être moins responsable des suites éventuelles de son action; ces suites, il pouvait les prévoir; elles doivent entrer dans l'imputabilité du fait.

L'article 353 prévoit une circonstance aggravante du délit prévu par l'article 352, tirée de la qualité de l'agent; il est ainsi conçu : « Le délit prévu par le précédent article sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans, et d'une amende de vingtcinq francs à deux cents francs, s'il a été commis les tuteurs et tutrices, instituteurs ou institutrices de l'enfant. » M. Destriveaux a pensé avec raison qu'à côté des tuteurs et des instituteurs, la

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loi aurait dû placer les nourrices, et faire aussi de cette qualité une circonstance aggravante (1).

L'orateur du Corps législatif a motivé cette disposition en ces termes : « Le projet de loi soumet à un châtiment plus sévère les tuteurs et les tutrices, les instituteurs et les institutrices. Plus la loi les environne de pouvoirs et de droits sur l'être impuissant et faible qu'elle leur confie, plus elle doit punir en eux un délaissement qui réunit un abus de confiance à la culpabilité qu'ils partagent avec ceux qui ne sont pas des obligations particulières. »>

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Le délit devient plus grave quand l'exposition a eu lieu dans un lieu solitaire. L'art. 349 est ainsi conçu : « Ceux qui auront exposé et délaissé en un lieu solitaire un enfant au dessous de l'âge de sept ans accomplis, ceux qui auront donné l'ordre de l'exposer ainsi, si cet ordre a été exécuté, seront, pour ce seul fait, condamnés à un emprisonnement de six mois à deux ans, et à une amende de seize francs à deux cents francs. »

Les éléments de ce délit sont les mêmes que ceux du délit prévu par l'article 352: ainsi l'incrimination ne s'applique qu'à l'exposition des enfants au dessous de l'âge de sept ans accomplis; ainsi le délit n'existe qu'autant qu'au fait de l'exposition se joint celui de délaissement, et les caractères de ces faits sont ceux que nous avons indiqués plus haut. La seule différence naît du lieu de l'exposition ce lieu est solitaire. « Cette exposition, dit l'exposé des motifs, est

(1) Essais, p. 133,

plus criminelle si l'enfant est abandonné dans un lieu solitaire dans le premier cas, les auteurs de cet abandon ont voulu moins ôter la vie à l'enfant délaissé, que faire perdre les traces de sa naissance. Mais l'abandon dans un lieu isolé ou solitaire dénote l'intention de détruire jusqu'à l'existence de l'être infortuné destiné à perdre la vie par un crime, après l'avoir le plus souvent reçue par une faute. » Nous avons expliqué ce qu'il faut entendre par lieu solitaire.

Cette circonstance constitue, dans la plupart des législations, une cause d'aggravation de la peine. Dans l'ancien droit, les peines du fouet et de la flétrissure étaient remplacées par la peine de mort, suivant Jousse « si l'enfant était exposé nu à un grand froid ou sans qu'on lui eût fait la ligature du nombril, et qu'il vînt à mourir ou à être dévoré de quelque bête (1). » Il en était de même si l'enfant était abandonné en des lieux où il pouvait mourir (2). Le Code autrichien prononce la peine de cinq ans de prison dure, si l'enfant est exposé dans un lieu éloigné, ordinairement peu fréquenté, ou bien avec des circonstances telles qu'il ne peut être, avec facilité, promptement découvert et sauvé (art. 134). La loi prussienne porte la reclusion de six à dix années, si la mère a exposé ou fait exposer vivant l'enfant dans un lieu où il ne fût pas facile à découvrir (art. 969 et 970).

L'article 349 punit non-seulement l'auteur de (1) T. 4, p. 24. (2) Ibid., p. 23.

l'exposition de l'enfant, mais ceux qui auront donné l'ordre de l'exposer ainsi, si cet ordre a été exécuté. Il semble, à la première vue, que cette disposition était inutile, puisque l'art. 60 du Code pénal répute complices de toute action qualifiée délit, ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, ont provoqué à commettre cette action. Mais il est évident qu'il s'agit ici, outre ces faits généraux, d'un fait particulier de complicité : l'ordre seul, dans les termes de l'art. 60 du Code pénal, ne suffirait pas pour constituer la complicité légale ; il faudrait que celui qui l'a donné eût provoqué, en outre, à commettre le délit par abus d'autorité ou de pouvoir. L'art. 349 a voulu dégager de ces dernières conditions la provocation commise par ordre, en ce qui concerne le délit qu'il prévoit le seul ordre donné et suivi d'exécution la constitue. Au reste, ce mode spécial de complicité n'a lieu qu'à l'égard de l'exposition dans un lieu solitaire si le délit a été commis dans un lieu non solitaire, ceux qui l'ont ordonné peuvent être punis si leur participation réunit les caractères de la complicité légale ; mais l'ordre seul, isolé de toute circonstance d'abus de pouvoir ou d'autorité, ne suffirait pas pour les rendre passibles de la peine. Cette distinction ne peut s'expliquer que par la distance morale qui sépare les deux délits, et qui semble exiger une sévérité moins grande à l'égard de celui qui peut avoir les résultats les moins graves.

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Quel est le caractère de l'ordre, dans le sens de l'art. 349? L'ordre, dans le sens strict de ce mot, sup

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