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minalité. Nous nous occuperons en premier lieu, dans ce chapitre, de l'excuse de la provocation.

L'homicide et les coups et blessures, lorsqu'ils ont été précédés d'une provocation, sont excusables dans les quatre cas suivants :

1° Lorsqu'ils ont été provoqués par des coups ou violences graves envers les personnes;

2. Lorsqu'ils ont été provoqués par un violent outrage à la pudeur;

3° Lorsqu'ils ont été commis en repoussant, pendant le jour, l'escalade ou l'effraction des murs, clôtures ou de l'entrée d'une maison;

des

4° Enfin, lorsqu'ils ont été commis par l'époux sur son épouse surprise en flagrant délit d'adultère. Ces différentes hypothèses vont faire l'objet de quatre sections distinctes.

S Ier.

De la Provocation par coups ou violences.

La principale difficulté de cette matière est de déterminer les faits auxquels la loi a voulu attribuer le caractère d'une provocation; elle les énonce sans les caractériser, elle admet l'excuse sans la définir. La provocation, même lorsqu'elle se manifeste par des voies de fait et des violences, n'est, en géné ral, qu'une injure, une insulte, un outrage; les violences qui l'accompagnent n'en changent point le caractère, elles ne font que l'aggraver. Si elle cessait d'avoir ce caractère, elle dégénérerait nécessaire

ment en une véritable attaque; elle menacerait ou 'la vie, ou du moins la sûreté personnelle de celui qui en est l'objet, et ne serait plus alors une simple provocation; il y aurait nécessité pour la personne attaquée de se défendre; l'homicide ne serait pas seulement excusable, il serait justifié.

C'est, en effet, de la nature de l'attaque que doit dériver la nature du droit de la défense: si la personne qui en est l'objet a de justes motifs de craindre pour sa sûreté personnelle, la loi n'a pu la priver du droit naturel de repousser la force par la force. Mais si l'attaque ne se propose qu'un outrage, si elle ne menace ni sa sûreté, ni sa vie, son droit se modifie, et les voies de fait auxquelles elle se livre elle-même trouvent encore dans cet outrage une excuse, mais non plus une cause de justification; en effet, si la personne outragée n'écoutait que la voix de la raielle ne se ferait point justice à elle-même, elle aurait recours à la protectien des lois. Dans une société régulière il n'est permis à personne de repousser un outrage par un outrage, une voie de fait par une voie de fait l'individu ne doit pas se venger, il ne lui est permis que de se défendre. C'est à la justice à réparer les injures qui ont pu l'atteindre; c'est au pouvoir social à substituer la puissance du juge aux querelles privées, le glaive de la loi aux vengeances des citoyens.

son,

:

Celui qui venge lui-même l'injure qu'il a reçue est donc coupable aux yeux de la loi comme aux yeux de la morale; car il usurpe la puissance sociale, il demande à la force une réparation qu'il devait at

tendre de la justice; il règle lui-même, dans l'élan de la passion, le taux de cette réparation; enfin, il devient agresseur au moment où il excède la mesure des violences qui ont été exercées sur sa personne. Néanmoins sa culpabilité n'est pas la même que si son action n'avait pas été précédée d'une insulte; car il n'a point agi avec préméditation et même avec sang-froid; il a frappé dans l'émotion de la colère, et cette colère n'était pas dénuée de motifs: il est donc coupable, mais à un moindre degré; l'injure ne le justifie pas, mais elle l'excuse. Or, cette modification de la culpabilité, qui s'affaiblit sans cesser d'exister, atteste la règle que nous avons posée tout à l'heure, à savoir que le caractère principal de la provocation est celui d'un outrage; car la criminalité cesserait entièrement au moment où l'agent lèverait le bras, non pour se venger, mais pour se défendre.

Toutefois, même pour admettre cette atténuation de la peine, on conçoit que la provocation doit avoir un caractère grave : toute injure ne serait pas suffisante pour servir d'excuse à l'agent. Cette excuse prend sa source dans l'émotion qui maîtrise ses sens et le précipite vers une action irréfléchie. Il faut donc que la provocation soit de nature à produire une vive impression sur son esprit, à jeter la perturbation. dans sa pensée, à lui ôter sa liberté de réflexion.

La loi civile ne reconnaît également à la violence le caractère légal qu'autant qu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa per

sonne ou sa fortune à un mal considérable et présent. On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes (art. 1112 du Code civ.).

Tel est aussi le principe adopté par le Code pénal. L'orateur du gouvernement s'exprimait, dans l'exposé des motifs, en ces termes : « Le Code n'admet pas l'excuse sans une provocation violente, et d'une violence telle que le coupable n'ait pas eu, au moment même de l'action qui lui est reprochée, la liberté nécessaire pour agir avec une mûre réflexion. Sans doute il a commis une action blåmable, une action que la loi ne peut se dispenser de punir; mais il ne peut être, aux yeux de la loi, tout-à-fait aussi coupable que si la provocation qui l'a entraîné n'eût pas existé. Telle est la doctrine que l'art. 321 a formulée, mais sans essayer néanmoins de définir avec précision le caractère et le degré de gravité des faits auxquels est attachée l'excuse de la provocation. Cet article est ainsi conçu : « Le meurtre, ainsi que les blessures et les coups, sont excusables s'ils ont été provoqués par des coups ou des violences graves envers les personnes. » Essayons de déterminer le sens et les limites de cette disposition.

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Le premier élément de la provocation légale est que l'attaque, dont elle se forme, ait consisté en coups ou violences physiques. Sur ce point, la loi n'a voulu laisser aucun doute non-seulement elle place sur un même plan, et comme des faits semblables, les violences et les coups; mais elle exige que

celles-là comme ceux-ci soient exercés envers les

personnes.

:

Ainsi l'injure et l'outrage par paroles ne peuvent constituer des faits d'excuse. En général, l'injure verbale ne saurait justifier les voies de fait (1), car il n'est pas permis de repousser une injure par une voie de fait l'injure n'excuse que l'injure; inju riam mihi illatam, aliá injuria propulsare passum (2); les voies de fait sont un excès de la défense, elles deviennent une agression; car l'injure, quels que soient ses emportements, ne peut être considérée comme une violence personnelle. La Cour de cassation a donc eu raison de décider: «< « Qu'une imputation injurieuse n'est pas une violence, et encore moins une violence grave; qu'une telle imputation n'a reçu de la loi d'autre qualification que celle de calomnie, si elle est fausse; que les juges ne peuvent admettre pour excuse que les faits qui sont admis comme tels par la loi, et qu'ils violent les articles 304 et 321 du Code pénal en admettant pour excuse sur une accusation de meurtre l'imputation d'un délit faite verbalement à l'accusé (3).

. »

Cependant, si la loi a dû repousser l'injure verbale comme excuse d'un crime grave, il est impossible que le juge ne tienne pas compte, à quelque degré, de l'impression que cette injure a produite sur l'agent. Il n'est point excusable, parce qu'une simple

(1) L. 3, Dig. de justitiâ et jure ; 1. 52, pag. 1, Dig. ad legem Aquiliam.

(2) Farinacius, quæst. 125, no 96.

(3) Arr. cass. 27 fév. 1813 (Bull. no 40).

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