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réticence, fût-elle même liée à la dépositon, ne produit pas nécessairement un tel résultat.

La réticence ne peut donc être incriminée qu'autant qu'elle dénature la déposition et lui donne un sens contraire à la vérité ; car dans ce cas elle produit cette altération qui est de l'essence du crime. Ainsi on ne doit pas hésiter à penser que le témoin qui déposerait d'un fait imputé par erreur à un autre que le véritable coupable, et qui, par haine contre cet individu, ne déclarerait pas, quoiqu'il le sût, qu'il n'est pas le coupable, pourrait être poursuivi en faux témoignage; car sa réticence a précisément pour objet de donner à sa déposition un sens contraire à la vérité, en la faisant peser sur la personne assise au banc des accusés. C'est conformément à cette distinction que la Cour de cassation a décidé « que les dénégations et les réticences d'un témoin assermenté entendu aux débats n'ont le caractère de faux témoignage que lorsqu'elles équivalent à l'expression d'un fait positif contraire à la vérité, soit en faveur, soit au préjudice de l'accusé (1). »

La même distinction s'applique aux dépositions négatives. La déposition négative est celle par laquelle le témoin nie avoir vu, avoir entendu les faits sur lesquels il est appelé à donner son témoignage. Il est difficile, dans ce cas, d'apprécier sa bonne foi; car il est possible que ce témoin, eût-il été en position de voir et d'entendre, n'ait eu aucune percep tion sensible de l'action, ou qu'il ne l'ait saisie que

(1) Arr. cass. 1 sept. 1814 (Journal du palais, nouvelle édition, tom. 12, pag. 410).

d'une manière vague et confuse; mais, s'il est constaté qu'il en a eu connaissance et que sa dénégation n'a pour but que de détruire une preuve, évidemment par cette dénégation il commet un faux témoignage, car il altère la vérité dans le procès. Telle était la décision des anciens jurisconsultes. Ainsi, suivant Farinacius, la peine du faux témoignage s'applique au témoin qui prétend ne pas savoir ce qu'il sait réellement : In teste qui dicit se nescire id quod reverà scit, tunc enim negando veritatem, nedùm illam tacendo, eò magis de falso punitur (1). Il en était même ainsi à l'égard de celui qui prétendait ne pas se ressouvenir: Etiam in illo teste qui dicit se non recordari de eo quod vel certum est ipsum recordari; nam et hunc testem de falso puniendum (2). La Cour de cassation a sanctionné cette doctrine en déclarant « que, s'il est vrai qu'une déposition simplement négative ne constitue pas essentiellement et par elle-même le faux témoignage, parce qu'il est possible qu'un témoin n'ait point vu ou n'ait point entendu ce qu'il avait été en situation de voir ou d'entendre, il est cependant évident qu'une déposition de ce genre constitue ce crime, lorsqu'elle est faite de mauvaise foi et dans une intention criminelle, c'est-à-dire dans le but d'infirmer la preuve

(1 el 2) Quæst. 67, num. 223 el 227. Damhouderius, cap. 124, n。 5, p. 395, était même plus explicite: T'estis item in judicium aut apud commissarium accilus, ibique veritatem quæsitam non clarè el plenè juxtà interrogationem factam deponens et contestans aut eam tacens, is quoque crimen falsi committit,

ou l'évidence du fait incriminé, et de se mettre en contradiction avec la vérité (1). »

Cependant la déposition négative, de même que la reticence, ne pourrait être incriminée, s'il n'en résultait pas un fait contraire à la vérité et de nature à détruire les preuves existant aux débats : car la négation d'un, fait vrai peut n'avoir aucune influence sur le procès; il faut qu'elle ait pour but de détruire les faits qui font l'objet de ce procès. C'est ainsi qu'un arrêt de la Cour de cassation a déclaré «< que le réclamant a été condamné, par application de l'art. 362 du Code pénal, comme convaincu de faux témoignage; que néanmoins sa déposition ne présentait qu'une déclaration négative qui n'excluait pas le fait affirmatif déclaré constant par le tribunal correctionnel; que cette déclaration n'était donc pas en contradiction absolue et nécessaire avec la vérité de ce fait; qu'elle ne pouvait donc constituer un faux témoignage (2). »

Les variations d'un témoin dans sa déposition ne sont pas nécessairement des indices d'un faux témoignage. Ses souvenirs peuvent l'avoir trompé dans ses premières déclarations; il peut, après les avoir médités de nouveau, sentir le besoin de rectifier des faits qu'il n'avait pas présentés sous leur véritable jour; cette rectification est un devoir pour lui. D'ailleurs, la loi n'a point pensé que les dépositions recueillies dans l'instruction écrite dussent demeurer invariables; ces dépositions n'ont qu'un but, c'est

(1) Arr. cass. 17 mars 1827 (Bull. no 61 ).

(2) Arr. cass. 10 janv. 1812 (Journ. du pal., t. 10, p. 25).

de servir d'élément à l'accusation; mais elles ne peuvent devenir la base du jugement; il faut qu'elles se renouvellent au débat; la loi a donc supposé qu'elles pouvaient varier. Ainsi ce n'est point pour inculper le témoin, c'est dans l'intérêt de la défense que l'art. 318 du Code d'instruction criminelle dispose qu'il sera tenu note des additions, changements et variations qui peuvent exister entre les différentes déclarations de ce témoin. La Cour des pairs a donc pu décider, dans le procès d'avril 1832, que, malgré la contradiction existant entre la déposition du nommé Rey devant le juge d'instruction à Lyon, et celle faite à l'audience de la Cour, il ne résultait cependant de ce fait aucun indice satisfaisant que cet individu se fût rendu coupable de faux témoignage (1).

Mais si ces variations n'étaient pas expliquées, si le témoin ne donnait pas un motif légitime ou du moins plausible de son changement; s'il avait pour but de détruire ou d'affaiblir ses premières déclarations; enfin, si la fausseté de sa nouvelle déposition était reconnue, l'action publique pourrait évidemment y puiser les éléments d'une poursuite criminelle, en admettant toutefois cette double condition, qui sera développée plus loin : la première, que le faux témoignage résulte de la dernière déclaration; la seconde, que le témoin persiste dans cette fausse déposition. Ainsi établie, la variation, loin d'exclure la poursuite, en provoque l'exercice; car

(1) Précédents de la Cour des pairs, par M. Cauchy, p. 500....

elle porte en elle-mème la preuve irrécusable du faux témoignage.

La même distinction s'applique encore aux contradictions qui se révèlent dans un seul et même témoignage. Le témoin peut les expliquer par son trouble, par l'émotion produite par l'audience, par la confusion de sa mémoire, par la connaissance imparfaite qu'il a des faits. Mais si ces contradictions révèlent l'intention d'altérer les faits, si le témoin est surpris en flagrant délit de mensonge, si ses dernières assertions sont reconnues fausses, enfin s'il y persiste, elles peuvent devenir la matière d'une action criminelle.

Résumons-nous sur ce point. La première condition du faux témoignage est que la déposition soit contraire à la vérité; or cette règle suppose, d'abord, qu'il y a une déposition judiciaire, c'est-à-dire une déposition faite sous serment et dans la cause d'autrui ; elle suppose, ensuite, que cette déposition porte sur les circonstances essentielles du procès, et que l'altération de la vérité a pour objet d'affirmer ou de nier quelqu'une de ces circonstances. C'est à l'aide de cette double condition qu'il est possible d'apprécier le véritable caractère des dénégations, des réticences, des changements et des contradictions des témoins. Mais, pour constituer le crime, il ne suffit pas d'une altération commise dans une déposition, même sur un point essentiel du procès, il faut encore un second élément.

La deuxième condition de son existence consiste

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