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ce droit absolu d'homicide sur le voleur de nuit ne se maintint pas longtemps. En effet, Gaïus, en citant cette loi, ajoute une condition importante: Lex XII Tabularum furem noctu deprehensum occidere permittit, ut tamen idipsum cum clamore testificetur (1). Ainsi, soit que ces dernières expressions fussent dans la loi même des XII Tables, soit, comme le prétend Godefroy, qu'elles aient été ajoutées au texte de Gaïus par Tribonien, voilà une première condition imposée au droit de la défense: il fallait que le flagrant délit fût constaté, en quelque sorte, par les cris de ceux qui étaient attaqués. On trouve dans le Digeste une deuxième condition qui pose la limite naturelle du droit : furem nocturnum, dit Ulpien, si quis occiderit, ità demùm impune foret si parcere ei sine periculo suo non potuit (2); de sorte que la loi n'accordait l'impunité à celui qui avait tué un voleur de nuit, que dans le cas où il n'aurait pu épargner sa vie sans courir risque de la sienne. C'est ainsi que la loi 52, §. 1, Dig. ad legem Aquiliam, décide que celui qui poursuit au milieu de la nuit un voleur encore chargé de l'objet volé, n'a le droit de le frapper et de le blesser qu'autant que celui-ci, au moment où il s'est senti saisi, a commencé à porter le premier coup. La sanction de ces dispositions se trouve dans un fragment d'Ulpien, duquel il résulte que celui qui avait tué un voleur de nuit pouvait être tenu à des dommages-intérêts, et que celui qui avait préféré lui donner la mort quand

(1) L. 4, Dig. ad leg. Aquil.

(2) L. 8, Dig. ad leg. Corn. de sicariis.

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il pouvait le saisir, devenait passible des peines du meurtre Si quis noctu furem occiderit, non dubitamus quin lege Aquilia teneatur: sin autem cùm posset apprehendere, maluit occidere, magis est ut injuria fecisse videbatur: ergò etiam lege Cornelia tenebitur (1). Enfin, l'empereur Valentinien parut vouloir restreindre encore le droit d'homicide contre les voleurs en ne l'accordant qu'aux seuls habitants des campagnes, sans doute parce que les villes offrent plus de moyens de secours (2).

Ces dispositions sont fondées sur ce principe social, que la vie des hommes ne peut dépendre que de la loi; comment le seul fait de surprendre un voleur, même de nuit et en état de flagrant délit, pourrait-il autoriser à commettre un homicide sur lui? Le vol est-il donc puni de mort par cela seul qu'il est commis de nuit? et peut-il appartenir aux particuliers de distribuer arbitrairement la justice et les peines? Répétons-le donc avec la loi romaine : ce n'est point à raison du vol que le droit de légitime défense peut s'exercer, mais à raison du péril personnel qui peut résulter de l'exécution de ce vol. Ce principe, qui se puise dans la conscience elle-même, est arrivé jusqu'à notre législation sans se modifier.

Ainsi, supposons que des voleurs cherchent à s'introduire pendant la nuit, à l'aide d'escalade ou d'effraction, dans un jardin dépendant d'une maison habitée; supposons que leur intention, déjà mani

(1) Collatio rerum mosaïcarum et romanarum, tit. 7. la loi 12 des XII Tabl.

(2) L. 1, Cod., quandò liceat unicuique.

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festée par de premiers vols, soit d'y dérober des fruits; admettons, enfin, qu'aucune communication ne soit possible entre le jardin et la maison. Les habitants de la maison pourront, sans nul doute prendre toutes les mesures et même exercer toutes les voies de fait de nature à les repousser ou à les saisir; mais pourront-ils, quand ils ne sont menacés d'aucun péril personnel, se servir d'armes meurtrières? Nous ne le croyons pas. La loi n'a point livré la vie des voleurs aux personnes qu'ils dépouillent, comme un gage de leur propriété; elle subordonne l'exorbitante faculté de commettre impunément un homicide à la condition d'une actuelle nécessité, et l'homicide ne peut être réputé nécessaire que si l'agent n'a pu conserver sa vie sans le commettre, si parcere ei sine periculo suo non potuit. Il faut toutefois ajouter que la question changerait de face si les habitants de la maison étaient sortis pour poursuivre les voleurs, et que ceux-ci, sur le point d'être saisis, les eussent attaqués pour assurer leur fuite telle est précisément l'espèce de la loi tabernarius, que nous avons citée (1). Il faudrait décider, comme l'a fait cette loi, que l'attaque des voleurs contre ceux qui les poursuivent, place ces derniers en état de légitime défense, et que l'article 329 devient, dès lors, applicable à cette nouvelle espèce.

Prenons encore une autre hypothèse, et supposons les habitants de la maison aient eu de justes motifs de craindre pour leur sûreté, mais qu'ils aient

que

(1) L. 52, § 1, Dig. ad leg. Aquil.

seulement excédé dans leur défense la mesure d'une actuelle nécessité; par exemple, qu'ils aient tiré sur les voleurs quand ceux-ci n'avaient encore commencé aucun des actes préparatoires du crime, ou quand, effrayés d'être découverts, ils se retiraient. Les auteurs de l'homicide pourront en être déclarés responsables: la loi exige, en effet, pour effacer le crime, que 1 homicide ait été commis en repoussant l'escalade ou l'effraction des clôtures; à la vérité, nous ne pensons pas que ces termes doivent être trop rigoureusement interprétés, et il serait, par exemple, difficile, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer au sujet de l'article 322, de dénier aux habitants de la maison contre laquelle une attaque se prépare, le droit de se livrer à des actes de défense avant que l'escalade ou l'effraction ait été tentée, et lorsque les assaillants ne s'occupent encore que des préparatifs de leur agression. Mais s'il est permis d'étendre les termes des articles 322 et 329 à des espèces analogues à celle qu'ils ont prévue, il n'est pas permis de dévier du principe que ces articles ont implicitement consacré. Ce principe est la nécessité du péril personnel pour l'excuse ou la justification de l'homicide.

Une troisième hypothèse se présente enfin. La défense cesse d'être légitime si l'agression l'est ellemême, si elle est faite au nom de la loi et par des agents de la force publique. Mais, sauf le cas de rébellion ouverte, l'inviolabilité de chaque maison pendant la nuit peut être considérée comme un principe absolu nul, en effet, n'a le droit, aux termes

de la loi, d'entrer pendant la nuit dans la maison d'un citoyen, si ce n'est dans le cas d'incendie, d'inondation, ou de réclamation venant de l'intérieur de la maison (1). Il suit de là que l'attaque de la maison d'un citoyen pendant la nuit n'est jamais légale, et que dès lors la défense, sous ce rapport, est toujours légitime, lors même qu'elle serait exercée contre des agents de l'autorité publique, puisque ces agents méconnaîtraient leur droit.

Nous terminerons cet examen du cas de légitime défense par une observation nécessaire : c'est que la loi n'a point déterminé le caractère du crime ou délit que se proposent les assaillants dans leur attaque nocturne; le droit de la défense est donc le même, soit qu'ils se proposent le vol, soit qu'ils se proposent tout autre crime, tel que le rapt, le viol, les violences de toute espèce.

Maintenant, une question importante s'élève comme un corollaire de tout ce qui précède. Nous avons tracé, en effet, les limites du droit de défense, et nous avons prévu les cas où ces limites seraient excédées; or, quelle sera la sanction de ces règles? De quelle peine seront passibles ceux qui les auront enfreintes? La solution se trouve dans une distinction: ou les prévenus ont agi hors des cas de légitime défense; ou, placés dans l'un de ces cas, ils n'ont fait qu'excéder dans leur défense les bornes de la nécessité.

Dans la première hypothèse, ils ne pourront in

(1) Voy. notre tom. 3, pag. 204.

TOME VI.

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