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>> Ce royaume a pu changer de face, et de monarchie, devenir >> république, mais la situation des lieux ne change point. Les peuples demeurent toujours voisins et intéressés l'un avec » l'autre par le commerce. Par ces considérations importantes » au bonheur de deux états si puissants, il semble que ceux » qui en ont la conduite doivent employer tous leurs soins » pour prévenir les inconvénients capables d'altérer en quel» que sorte les anciennes alliances 1. »>

La révolution anglaise de 1688 venait de placer à la tête du gouvernement britannique Guillaume III, prince énergique et habile, qui par ses alliances continentales avait entravé l'accomplissement des projets ambitieux de Louis XIV.

Ce fut alors seulement que le monarque français embrassa la cause des Stuarts. Ses intérêts politiques s'accordaient alors avec le principe de la légitimité et du droit divin.

Pendant toute cette période, l'influence des écrits des publicistes, tels que Grotius et ses successeurs, apparaît visiblement dans les conseils et dans la conduite des nations. La diplomatie du dix-septième siècle était savante et laborieuse dans le maniement des affaires. Ses documents sont remplis d'appels faits non-seulement aux considérations de politique, mais aussi aux principes du droit, de la justice et de l'équité, et à l'autorité des oracles du droit public, à ces règles et à ces principes généraux, par lesquels les droits du faible sont protégés contre les envahissements de la force supérieure, par l'union de tous ceux qui sont intéressés dans le danger commun. Dans notre siècle, ces discussions laborieuses paraissent superflues et même pédantes. Ces principes généraux sont sous-entendus, et on ne se trouve pas dans la nécessité de les démontrer par des raisonnements ou par l'autorité des savants. Mais dans les temps dont nous parlons ils n'avaient pas encore acquis force d'axiomes, et deman

1 CAPEFIGUE, Richelieu, Mazarin, la Fronde et le règne de Louis XIV, vol. VIII, ch. XCV.

§ 2. Principe

pour

daient d'être confirmés par des raisonnements et par un appel aux témoignages qui démontraient l'accord général des hommes éclairés sur ces règles de justice qui régissent ou doivent régir les relations mutuelles des états.

Parmi les principes constamment invoqués dans les discusd'intervention sions diplomatiques de cette période, était celui du droit d'inmaintenir tervention, afin de prévenir l'agrandissement démesuré d'un puissances. seul état de l'Europe menaçant la sécurité générale et l'indé

l'équilibre des

pendance des nations, en mettant en perturbation l'équilibre de leurs forces respectives. Quelles qu'aient été les disputes relatives à son application, le principe même était généralement reconnu. L'idée primitive d'un arrangement systématique pour garantir aux états renfermés dans la même sphère d'action politique, la possession intègre de leur territoire et autres droits souverains, est aussi ancienne que la science de la politique même. Le système d'équilibre des puissances, s'il n'était pas compris en théorie, était au moins adopté en pratique par les anciens états de la Grèce et les nations limitrophes 1. Néanmoins, il faut avouer que le premier exemple de l'application effective du système d'équilibre à cette surveillance perpétuelle, qui a été depuis habituellement exercée sur les forces respectives des états européens, ne peut être distinctement assigné à une époque plus reculée que celle du développement que leur politique a reçu après l'envahissement de l'Italie par Charles VIII, à la fin du quinzième siècle. Les princes et les républiques de ce pays ont appliqué, dans cette occasion, aux affaires de l'Europe en général les mêmes maximes qu'ils avaient déjà appliquées à régler l'équilibre entre les états de l'Italie. Pendant le seizième siècle les longues et violentes luttes entre les différents partis religieux que la réformation avait fait naître en Allemagne, s'étendirent sur toute l'Europe, et la double complication de

1 Voir Introduction, p 43.

l'intérêt politique des peuples et de l'ambition des princes, leur communiqua un nouveau degré d'animosité. Les grandes puissances catholiques et protestantes protégèrent mutuellement les adhérents de leur propre croyance dans le sein des états rivaux. L'intervention de l'Autriche et de l'Espagne, plusieurs fois répétée en faveur du parti catholique en France, en Allemagne et en Angleterre, celle des puissances protestantes pour protéger leurs coréligionnaires persécutés en Allemagne, en France et dans les Pays-Bas, donnèrent une couleur particulière aux transactions politiques du dixseptième siècle. Une particularité plus étonnante encore se présente dans la conduite de la France catholique sous le ministère du cardinal de Richelieu, qui, par un singulier raffinement de politique, soutint les princes et les peuples protestants de l'Allemagne contre la maison d'Autriche, en même temps qu'il persécutait avec une inflexible sévérité les sujets français professant la religion réformée. Les libertés des Protestants allemands étaient reconnues par la paix de Westphalie et garanties par la France et la Suède. Mais le droit réservé par la paix aux états de l'Empire de former des alliances entre eux, ainsi qu'avec des puissances étrangères, a été exercé pour la première fois, en 1651, pour la formation de la ligue du Rhin, composée des électeurs ecclésiastiques et d'autres princes catholiques dont les états étaient situés sur les bords de ce fleuve. Les princes protestants de l'Alleavec la Suède à leur tête, suivirent cet exemple en stipulant une semblable alliance à Hildesheim en 1651. Ces deux ligues furent confondues dans l'alliance du Rhin, conclue à Francfort en 1658, à laquelle Louis XIV accéda et dont l'objet était de garantir la neutralité de l'Empire dans la guerre qui se continuait encore entre la France et la branche espagnole de la maison d'Autriche.

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de Fénélon

Le principe d'intervention pour la conservation de l'équi-Systeme libre des puissances est énoncé avec beaucoup d'exactitude,

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et en même temps avec beaucoup de modération, par Fénélon, dans son Examen de la conscience sur les devoirs de la royauté, écrit pour l'instruction de son élève, le duc de Bourgogne. Dans cet ouvrage il cite, comme exemple des cas auxquels le principe peut devenir applicable, l'agrandissement demesuré de la maison d'Autriche sous Charles V et son successeur Philippe II, qui, après avoir conquis le Portugal, voulait se rendre maître de l'Angleterre. En supposant que son droit à la couronne de ce dernier pays fût aussi incontestable qu'il était évidemment mal fondé, Fénélon soutient << que l'Europe entière aurait eu raison néanmoins de s'opposer à son établissement en Angleterre, car ce royaume si puissant, ajouté à ses états d'Espagne, d'Italie, de Flandre, des Indes orientales et occidentales, le mettait en état de faire la loi, surtout par ses forces maritimes, à toutes les autres puissances de la chrétienté. Alors Summum jus, summa injuria. Un droit particulier de succession ou de donation devait céder à la loi naturelle de la sûreté de tant de nations. En un mot tout ce qui renverse l'équilibre, et qui donne le coup décisif pour la monarchie universelle, ne peut être juste quand même il serait fondé sur des lois écrites dans un pays particulier. La raison en est que ces lois écrites chez un peuple ne peuvent prévaloir sur la loi naturelle de la liberté et de la sûreté commune, gravée dans les cœurs de tous les autres peuples du monde. Quand une puissance monte à un point que toutes les autres puissances voisines ensemble ne peuvent plus lui résister, toutes ces autres sont en droit de se liguer pour prévenir cet accroissement, après lequel il ne serait plus temps de défendre la liberté commune. Mais, pour faire légitimement ces sortes de ligues, qui tendent à prévenir un trop grand accroissement d'un état, il faut que le cas soit véritable et pressant il faut se contenter d'une ligue défensive, ou du moins ne la faire offensive qu'autant que la juste et nécessaire défense se trouvera renfermée dans les desseins d'une

agression; encore même faut-il toujours, dans les traités de ligues offensives, poser des bornes précises, pour ne détruire jamais une puissance sous prétexte de la modérer.

>> Cette attention à maintenir une espèce d'égalité et d'équilibre entre les nations voisines, est ce qui en assure le repos commun. A cet égard, toutes les nations voisines et liées par le commerce font un grand corps et une espèce de communauté. Par exemple, la chrétienté fait une espèce de république générale qui a ses intérêts, ses craintes, ses précautions à observer. Tous les membres qui composent ce grand corps se doivent les uns aux autres pour le bien commun, et se doivent encore à eux-mêmes, pour la sûreté de la patrie, de prévenir tous progrès de quelqu'un des membres qui renverserait l'équilibre, et qui se tournerait à la ruine inévitable de tous les autres membres du même corps. Tout ce qui change ou altère ce système général de l'Europe est trop dangereux, et traîne après soi des maux infinis.

>> Toutes les nations voisines sont tellement liées par leurs intérêts les unes aux autres, et au gros de l'Europe, que les moindres progrès particuliers peuvent altérer ce système général qui fait l'équilibre, et qui peut seul faire la sûreté publique. Otez une pierre d'une voûte, tout l'édifice tombe, parce que toutes les pierres se soutiennent en se contrepoussant.

» L'humanité met donc un devoir mutuel de défense du salut commun entre les nations voisines contre un état voisin qui devient trop puissant, comme il y a des devoirs mutuels entre les concitoyens pour la liberté de la patrie. Si le citoyen doit beaucoup à sa patrie, dont il est membre, chaque nation doit à plus forte raison bien davantage au repos et au salut de la république universelle dont il est membre, et dans laquelle sont renfermées toutes les patries des particuliers.

>> Les ligues défensives sont donc justes et nécessaires, quand il s'agit véritablement de prévenir une trop grande

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