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Grotius, avec tous leurs défauts, comme des traités destinés à l'exposition de la science, était puissamment sentie dans le respect toujours croissant qu'on avait pour ces prôneurs de la justice, dont les écrits respirent l'humanité, la paix, et la tolérance mutuelle. Ce fut dans l'Allemagne protestante que la science mixte du droit public et de la jurisprudenee naturelle fut cultivée avec le plus grand succès. Les écrivains scientifiques de cette terre intellectuelle n'avaient pas encore appris à manier avec facilité leur langue riche, abondante, et expressive. A cette époque ils écrivaient toujours dans la langue morte de Rome pour instruire les hommes vivants de leur siècle et de leur pays. En Allemagne plus que dans tout autre pays, la vie active et la vie scientifique étaient, comme elles le sont encore, détachées l'une de l'autre comme deux mondes séparés. La communication entre eux était maintenue par la langue savante commune à toutes les deux. Thomasius fut le premier savant qui se servit de l'allemand dans ses leçons publiques, et Leibnitz le premier qui se servit du français pour des discussions philosophiques.

§ 6. Leibnitz,

mort en 1716.

Leibnitz, si justement comparé par Gibbon à ces conquérants dont l'empire a été perdu par l'ambition de la conquête né en 1646. universelle, embrassa, dans le cercle immense de ses vastes connaissances, la philosophie de la jurisprudence et les détails pratiques du droit. Néanmoins il n'a laissé aucun ouvrage complet sur ces matières, et il faut compulser dans sa correspondance et ses autres publications pour trouver quelques notions éparses sur la jurisprudence universelle. Ses idées concernant les vrais principes sur lesquels doivent être fondé le droit naturel et le droit des gens, sont exposées avec beaucoup de concision dans la préface de sa grande collection des traités et autres actes diplomatiques publiés en 1693. «Le droit, dit-il, c'est le pouvoir moral; l'obligation c'est la nécessité morale. Par pouvoir moral, j'entends celui qui prévaut avec

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un homme de bien autant que si c'était un pouvoir physique. Un homme de bien est celui qui aime tous les hommes autant que la raison le permet. Par conséquent, la justice qui régit cette affection que les Grecs appelaient la philanthropie, peut être proprement appelée la bienveillance d'un homme sage. La sagesse est la science du bonheur. De cette source découle la loi de la nature, dans laquelle il y a trois degrés : le droit strict, ou la justice commutative; l'équité, ou la justice distributive; et la piété, la probité, ou la justice universelle. Outre les règles de justice qui découlent de cette source divine qu'on appelle la loi naturelle, il y a une loi volontaire établie par l'usage ou par l'autorité d'un supérieur. De cette manière la loi civile, dans l'intérieur d'une république, est sanctionnée par la puissance suprême de l'état; tandis qu'à l'extérieur la loi volontaire des nations est établie par le consentement tacite des nations. Non pas qu'elle soit nécessairement la loi de toutes les nations et de tous les siècles, parce que les Européens et les Indiens diffèrent souvent entre eux concernant les notions qu'ils se sont faites du droit international, et même parmi nous il peut être changé par le laps de temps, et il y en a de nombreux exemples. La base du droit international c'est la loi naturelle, à laquelle on a apporté diverses modifications selon les temps et les lieux 1. »

Spinosa adopta des maximes fort différentes des principes doux et bienveillants de Leibnitz. Il convient avec Hobbes que l'état de la nature est un état de guerre; que tous les hommes ont un droit naturel à toutes les choses, et que chaque société politique a le droit d'agir d'après sa convenance envers les autres états indépendants, comme ils sont censés vivre dans un état de guerre perpétuelle entre eux. Il professe même cette maxime absurde et détestable, que les nations ne sont

1 LEIBNITZ, Préf. cod. jur. gent. diplomat.

obligées à observer les traités faits entre elles, qu'autant que l'intérêt ou le danger qui motiva leur formation n'a point cessé d'exister 1.

§ 8.

Zouch,

mort en 1660.

Le docteur Zouch, célèbre jurisconsulte anglais, professeur du droit romain à l'université d'Oxford, et juge de la haute né en 1590, cour de l'amirauté, publia, deux ans après la paix de Westphalie, un sommaire de la science que les écrits de Grotius avaient contribué à rendre si populaire parmi les hommes d'état et les savants de l'Europe. Ce petit ouvrage, intitulé

1 «Si altera civitas alteri bellum inferre et extrema adhibere media velit, quo eam sui juris faciat, id de jure tentare licet; quandoquidem ut bellum geratur, ei sufficit, ejus rei habere voluntatem. At de pace nihil statuere potest, nisi connivente alterius civitatis voluntate. Ex quo sequitur, jura belli uniuscujusque civitatis esse; pacis autem non unius, sed duarum minimum civitatum esse jura, quæ propterea confœderata dicuntur. Hoc fœdus tam diu fixum manet, quamdiu causa fœderis pangendi, nempe metus damni, seu lucri spes, in medio est; hoc autem aut illo civitatum alterutri ademto manet ipsa sui juris, et vinculum, quo civitates invicem adstrictæ erant, sponte solvitur, ac proinde unicuique civitati jus integrum est solvendi fœdus, quandocunque vult, nec dici potest, quod dolo vel perfidia agat, propterea quod fidem solvit, simulatque metus vel spei causa sublata est. Si quæ ergo civitas se deceptam esse queritur, ea sane non confœderatæ civitatis fidem, sed suam tantummodo stultitiam damnare potest, quod scilicet salutem suam alteri, qui sui juris, et cui sui imperii salus summa lex est, crediderit. Ceterum fides, quam sane ratio et religio servandam docet, hic minime tollitur. Nam cum scriptura non nisi in genere doceat fidem servare, et casus singulares, qui excipiendi sunt, uniuscujusque judicio relinquat, nihil ergo docet, quod iis, quæ modo ostendimus, repugnat. (SPINOSA, Tract. Theol. Polit., cap. III., cf. OMPTEDA, Literatur des Völkerrechts, Bd. I, p. 266.)

MACHIAVEL dit aussi : «Non può pertanto un Signore prudente, ne debbe osservare la fede, quando tale osservanzia gli torni contro, e che sono spente le cagioni che la fecero promettere. E se gli nomini fussero tutti buoni, questo precetto non saria buono: ma perche sono tristi. non l'osserverebbero a te, tu ancora non l'hai da osservare a loro: Ne mai ad un Principe mancheranno cagioni legitime di colorare l'inosservanza. » ( Il Principe, Cap. XVIII.)

Juris et judicii fecialis, sive juris inter gentes et quæstionum de eodem explicatis, qui n'est en grande partie qu'un abrégé de Grotius, avec des citations à l'appui, tirées pour la plupart du droit romain et de l'histoire romaine, ne mériterait pas une mention spéciale entre les ouvrages innombrables des publicistes, si ce n'était pour la dénomination plus caractéristique donnée par cet auteur pour la première fois à la règle qui régit, ou qui est censée régir les rapports entre les états indépendants. Cette règle, il l'appelle Jus inter gentes, pour la distinguer du Jus gentium des jurisconsultes romains, qui ont appliqué ce terme à ce qu'on appelle dans nos temps modernes le droit naturel, c'est-à-dire cette règle de conduite prescrite par Dieu, l'auteur de la nature, à toutes les créatures raisonnables. Ce nouveau terme du droit entre les gens a été depuis adopté par le chancelier d'Aguesseau (œuvres, vol. IV, p. 267), et depuis changé en celui de droit international, pour exprimer d'une manière plus significative cette branche de jurisprudence qui en général est désignée par le nom de droit des gens, dénomination si peu caractéristique, que si elle n'était pas comprise par la force de l'usage, elle pourrait être confondue avec la jurisprudence civile ou avec celle d'un seul état '.

Zouch fait la même distinction que Grotius, entre le droit naturel et la loi qui est censée prévaloir entre les nations, le premier étant une saine déduction des principes de la justice naturelle, tandis que la dernière est établie par un consentement constaté par l'usage général des nations. «La loi entre les gens, dit-il, est la même qui, parmi les Romains, obtenait la dénomination spéciale de Jus feciale, dont la connaissance est appelée par Cicéron PRÆSTABILEM SCIENTIAM, conditionibus regum, populorum exterarumque nationum, in omni denique jure pacis et belli versatur 2. Le collége des

quæ

1 BENTHAM, De la morale et de la législation, chap. 49, § 2, XXIV. Note p. 307, édit. de Bruxelles.

in

2 GROTIUS, et après lui Zouch, ont mal compris le véritable sens

hérauts (comme nous l'enseigne Denis d'Halicarnasse) a été institué par Numa Pompilius. Le devoir de ce collége était de reconnaître les pactes, les ligues, les lésions publiques souffertes par des alliés ou d'autres, l'envoi des ambassadeurs, les ruptures d'alliances, les déclarations de guerre, et de veiller à l'exécution de ce qui était décrété par le sénat ou le peuple romain. Les livres contenant cette loi ont péri. Cependant on peut en retrouver les traces dans les livres sacrés, dans les Pandectes et le code de la jurisprudence romaine, dans des auteurs grecs et latins, dont les opinions et les témoignages peuvent nous instruire dans ce qui a été généralement reçu suivant la raison naturelle et suivant l'usage des nations, parce que (en se servant des expressions de Grotius) quand plusieurs esprits, en divers temps et en divers lieux, sont d'accord dans leurs sentiments, cela doit tenir à une cause générale qui, dans les questions dont il s'agit, ne peut être qu'une juste conséquence tirée des principes de la justice naturelle, ou un consentement universel. La première nous découvre le droit naturel, la seconde le droit des gens. Mais en outre les coutumes et les usages généraux qui sont reçus comme lois entre les nations, il y a aussi cette loi qui prend son origine dans le consentement mutuel de certaines nations témoigné dans les pactes, conventions et ligues. Comme le consentement mutuel d'un seul peuple fait la loi pour ce peuple, les nations en général aussi bien qu'un seul peuple sont liées par leur consentement '. »

du passage cité du discours magnifique de Cicéron Pro lege Manilia, comme s'il s'agissait de l'importance de la science du droit international, tandis que Cicéron parle seulement de l'étendue des connaissances de Pompée dans tout ce qui regardait les relations extérieures de Rome, et les lois de la paix et de la guerre : «Ad præstabilem ejus scientiam (pas præstabilem esse scientiam), quæ in conditionibus regum, populorum exterarumque nationum, in omni denique jure pacis et belli versatur.» (OMPTEDA, Litteratur des Völkerrechts, Bd. I, p. 148.)

ZOUCH, De jure inter gentes, Pars I, § 4, No. 4.

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