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adopté en France jusqu'à la révolution, excepté dans les occasions où elle fut suspendue dans son application aux pavillons de certaines nations, en vertu de conventions spéciales ou dans des circonstances particulières.

Grotius, qui écrivait en 1625, énonce le principe que: << Pour pouvoir s'approprier une chose par le droit de guerre, il faut qu'elle appartienne à l'ennemi. Car celles qui appartiennent à des gens qui ne sont ni ses sujets, ni animés du même esprit d'hostilité que lui contre nous, ne sauraient être acquises par le droit de guerre, encore même qu'elles se trouvent sur son territoire, comme dans l'enceinte de ses villes ou forteresses. >>

mais

De ce principe il tire l'induction que «lorsqu'on dit que les choses trouvées dans les vaisseaux de l'ennemi sont censées appartenir à un ennemi, cela ne doit pas être regardé comme une loi constante et invariable du droit des gens, comme une maxime dont le sens se réduit à ceci, qu'on présume ordinairement, dans ce cas-là, que tout est à un même maître, présomption néanmoins qui peut être détruite par fortes preuves du contraire. C'est ainsi qu'il fut jugé dans ma patrie, en l'an 1438, pendant qu'elle était en guerre avec les villes anséatiques, par la cour de Hollande, en pleine assemblée, et la chose a passé en loi depuis, en conséquence de cet

arrêt >>>

de

Quant aux vaisseaux chargés de marchandises ennemies, ils ont été assujettis à la confiscation pour la première fois par l'ordonnance de François Ier en 1543, qui a été renouvelée par l'ordonnance de Henri III de l'anné 1584. La dernière ordonnance a été motivée sur l'intention de mettre fin à des fraudes pratiquées par les neutres, pour soustraire les propriétés ennemies à la saisie. Il paraît avoir été longtemps douteux que ce règlement ait jamais eu force de loi en France,

1 De jure belli ac pacis, lib. III, cap. VI. § 6.

et le chevalier Léoline Jenkins, juge de la cour d'amirauté de l'Angleterre, pendant le règne de Charles II, parlant en 1678 de cet article dans le cas d'un vaisseau confisqué par les tribunaux français, dit : « Il y a plusieurs observations à faire, suivant moi, pour montrer que cet article ne doit pas être appliqué dans ce cas. D'abord cet article est devenu l'objet des plaintes de la part des hommes d'état et des publicistes, lors de sa première promulgation, comme une innovation et une violation de la liberté du commerce. Le parlement de Paris a admis directement le contraire dans l'année 1592, par une décision solennelle prononcée dans le cas d'un vaisseau hambourgeois saisi avec une cargaison ennemie. Et il fut alors déclaré dans la sentence même que cet article était abrogé par la désuétude, ayant été promulgué pour la première fois en 1543 sous François Ier, n'ayant jamais été confirmé pendant ces quarante-neuf ans, et l'intention primitive de sa promulgation ayant été seulement in terrorem. Il a été modéré par plusieurs modifications du dernier roi très-chrétien et de celui qui règne actuellement, dans leurs édits du 19 décembre 1639, du 16 janvier 1645, du 21 janvier 1650, et par une autre ordonnance du 1er février de la même année il est expressément ordonné que dans les prises faites sous des commissions françaises, les marchandises ennemies seulement seront déclarées de bonne prise, tandis que les autres marchandises et les vaisseaux qui les transporteront seront tous les deux relâchés 1. >>>

Grotius, en commentant cet article comme la loi existant en France de son temps, soutient qu'elle ne doit s'étendre qu'au seul cas d'un vaisseau neutre se chargeant des marchandises ennemies avec le consentement du propriétaire 2.

1

2

Life of sir L. Jenkins, Vol. II, p. 720.

་་ Sed neque amicorum naves in prædam veniunt ob res hostiles, nisi ex consensu id factum sit dominorum navis, atque ita interpretandas puto leges Galliæ, quæ ex rebus naves, ex navibus

Bynkershoek, dont l'ouvrage sur le droit de la guerre a été publié en 1737, tout en se référant aux exemples des guerres avant la paix d'Utrecht, déclare que telle a été l'ancienne loi de France, et il n'est pas d'accord avec Grotius sur ce que ce règlement ne devait être étendu qu'au seul cas d'un vaisseau neutre dont le propriétaire reçoit à bord sciemment les marchandises ennemies 1. Quoi qu'il en soit, il est certain que cette loi a été renouvelée lors de la révision des ordonnances maritimes de la France, sous Louis XIV en 1681, et continua d'être observée, avec l'exception des pavillons de certaines nations qui en furent exemptes par des règlements spéciaux et temporaires, jusqu'à la promulgation du réglement de 1714, d'après lequel les marchandises ennemies étaient confisquées tandis que les vaisseaux neutres sur lesquels elles étaient chargées étaient relâchés. Valin nous assure que cette jurisprudence, qui subsistait dans les tribunaux de prises français depuis 1681 jusqu'en 1744, n'était adoptée par aucune autre puissance maritime que par la France et l'Espagne; l'usage des autres nations ne confisquant que les seules marchandises de l'ennemi 2. Valin rejette aussi l'opinion de Grotius limitant l'application de l'ordonnance au seul cas où les marchandises ont été chargées avec le consentement du propriétaire. <<Grotius prétend, dit-il, que nos ordonnances doivent être ainsi entendues. Mais le septième article de l'ordonnance de 1684, pas plus que le cinquième du réglement du 23 juillet 1704, ne fait pas cette distinction, et si elle était admise, fournirait aux neutres une excuse à l'aide de laquelle ils ne

cap.

elle

69.

res prædæ subjiciunt, quales sunt Francisci I datæ anno C cap. 42, Henrici III, anno CXXXIV, mense Martio, Alioqui res ipsæ solæ in prædam veniunt.» (GROTIUS, De jure belli uc pacis, lib. III, cap. VI, § 6 in notis.)

1 BYNKERSHOEK, Q. J. Publ., lib. I. cap. XIV.

2 VALIN, Commentaire sur l'ordonnance de la marine, lib. 3, tit. 9, des prises, art. 7.

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Traité des prises, chap. V, § 5, N° 7.

manqueraient pas d'éluder la confiscation du vaisseau et de la cargaison 1. >>

Tel fut l'état de l'opinion en Europe, et tels furent les usages consacrés par les lois de ses peuples maritimes, concernant ces deux questions, pendant la période qui s'est écoulée entre la paix des Pyrénées et celle d'Utrecht; la France et l'Espagne adoptant, à quelques exceptions près, la règle rigoureuse que les rédacteurs des ordonnances françaises avaient empruntée du droit fiscal romain, pendant que la plupart des états maritimes ont adopté les maximes du Consulat de la mer.

§ 14. Droit des gens

sur des traités.

La seconde question dont nous devons nous occuper sera de déterminer jusqu'à quel point le droit des gens, sous ce maritime fondé rapport, fut changé par des conventions ou autrement pendant la même période. Il faut observer ici que pour décider si les stipulations dans un traité doivent être considérées comme application de la loi préexistante des nations, ou seulement comme formant une exception spéciale en les relâchant de la rigueur primitive de la loi coutumière entre les parties contractantes, on ne doit pas s'en rapporter seulement à une interprétation littérale du texte du traité même, mais on doit envisager toutes les circonstances extrinsèques qu'on peut supposer avoir déterminé le consentement des parties. « Et en effet, dit Bynkershoek, en parlant d'une autre matière, il est souvent difficile de déterminer si les stipulations d'un traité doivent être considérées comme déclaratoires du droit des gens, ou bien comme une exception à ce droit, et il est toujours dangereux d'inférer les principes de ce droit des traités, sans consulter la raison... 2. » Dans un autre lieu, en parlant

VALIN, Traité des prises, chap. V, § 5, No 6.

2 «Sed recte observat Zoucheus non satis constare, an, quod illi pacti sunt, sit habendum pro jure publico, an pro exceptione, qua a jure publico diversi absunt. In variis pactis, et antiquioribus, et recentioribus, id adeo sæpe est incertum, ut ex solis pactis, non consulta ratione, de jure gentium pronunciare periculosum sit. » (BYNKERSHOEK, Quæst. Jur. Publ., lib. 1, cap. XV.)

des contrebandes de guerre, il dit : «Le droit des gens concernant cette matière ne doit être tiré d'aucune autre source que de la raison et de l'usage. La raison m'ordonne d'agir de la même manière envers deux de mes amis qui sont les ennemis l'un de l'autre, et il s'ensuit que je ne dois pas préférer l'un à l'autre, dans ce qui regarde la guerre. L'usage est indiqué par une coutume constante et en quelque sorte perpétuelle, que les souverains ont suivie en faisant des traités et des ordonnances sur la matière en question, parce qu'ils ont souvent fait certains règlements par des traités applicables en cas de guerre, ou par des ordonnances promulguées pendant la guerre. J'ai dit par une coutume constante et en quelque sorte perpétuelle, parce qu'un traité, ou peut-être deux, qui s'écartent de l'usage général, ne change pas le droit des gens '.»

2

En parlant de la question dont nous nous occupons, il remarque «< que les traités y relatifs ont adopté le principe de l'ancien droit français qui déclare confiscables les marchandises des neutres trouvées à bord des vaisseaux ennemis et par conséquent je ne peux pas souscrire à ce que Grotius prétend avoir été décidé par la cour de Hollande, et avoir obtenu force de loi. Il est vrai que les traités que j'ai cités sont d'une date postérieure, et qu'ils ne sont pas obligatoires, excepté pour les

1 << Jus gentium commune in hanc rem non aliunde licet discere, quam ex ratione et usu. Ratio jubet, ut duobus, invicem hostibus, sed mihi amicis, æque amicus sim, et inde efficitur, ne in causa belli alterum alteri præferam. Usus intelligitur ex perpetua quodammodo paciscendi edicendique consuetudine: pactis enim principes sæpe id egerunt in casum belli, sæpe etiam edictis contra quoscunque, flagrante jam bello. Dixi, ex perpetua quodammodo consuetudine,quia unum forte alterumve pactum, quod a consuetudine cecedit, jus gentium non mutat.» (Quæst. Jur. Publ., lib. I, cap. X.

2 Mais il faut remarquer que par les mêmes traités, comme Bynkershoek l'observe dans un antre lieu, cette maxime est associée avec l'autre maxime corrélative que les vaisseaux libres rendent les marchandises libres.

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