Page images
PDF
EPUB

seules parties contractantes. Mais la règle adoptée par ces traités ne peut pas être justifiée par les principes de raison. Pourquoi ne me sera-t-il pas permis de faire usage du vaisseau appartenant à mon ami pour transporter mes effets, quoiqu'il soit en guerre avec vous. Si les traités ne le prohibent pas, je suis libre, comme j'ai déjà dit, de faire le commerce avec votre ennemi; et si cela est permis, je peux aussi faire toute sorte de contrats avec lui, acheter, vendre, louer, etc. Par conséquent, si j'ai engagé son vaisseau et son travail pour transporter mes effets au-delà des mers, j'ai fait ce qui était parfaitement licite d'après tous les principes. Comme son ennemi, vous pouvez prendre et confisquer son vaisseau, mais de quel droit voulez-vous aussi prendre et confisquer les marchandises qui m'appartiennent, à moi qui suis votre ami? Je suis seulement tenu à établir par des preuves convaincantes qu'elles sont à moi; mais ici je suis d'accord avec Grotius, qu'il y a quelque raison de présumer que les marchandises trouvées à bord d'un vaisseau ennemi sont des propriétés ennemies. A moins de preuves contraires cependant 1.»

Dans le chapitre suivant (XIV), il dit que «si un vaisseau neutre chargé de marchandises ennemies est pris, il y a deux questions à considérer, l'une si c'est le vaisseau qui doit être confisqué, l'autre si c'est la cargaison. Quant à la première question, dit-il, si nous suivons l'ancien droit français, un vaisseau neutre doit être confisqué s'il transporte des marchandises ennemies. Il est suffisamment constaté que telle fut

1

1 Q. J. Publ., lib. I, cap. XIII. Les traités cités par Bynkershoek comme ayant adopté les deux maximes associées de vaisseaux libres, marchandises libres, et vaisseaux ennemis, marchandises ennemies, sont le traité de la marine entre l'Espagne et les ÉtatsGénéraux de 1650, art. 13; le traité de commerce entre la France et les États-Généraux de 1662, art. 35; le traité entre les mêmes puissances de 1678, art. 22; de 1697, art. 27; de 1743, art. 26; entre l'Angleterre et les États-Généraux de 1674, art. 8; entre la Suède et les États-Généraux de 4675, art. 3, et de 4679, art. 22.

la loi de France dans les temps anciens, par l'exemption qui en fut accordée aux villes anséatiques dans leur traité du 10 mai 1655, avec ce pays.» Après avoir réfuté l'opinion de Grotius fondée sur celle de Paul (De public. et vectig., lib. II, § 2), qui fait dépendre la confiscation de la connaissance ou de l'ignorance du propriétaire du vaisseau du fait que les marchandises appartiennent à un ennemi, il continue: << Mais arrê tons-nous et considérons si celui qui transporte sur son vaisseau les effets de son ami, quoique cet ami soit votre ennemi, doit être censé coupable d'un délit contre le droit des gens? De quel droit voulez-vous, vous qui êtes mon ami, prendre mon vaisseau parce qu'il est chargé des marchandises de votre ennemi? Si j'étais l'ami des deux partis, je pourrais les servir tous deux dans les choses qui ne nuisent ni à l'un ni à l'autre, et par la même raison que tous les deux me seraient également utiles dans les choses qui sont indifférentes. D'après ce principe, votre ennemi peut convenablement me louer son vaisseau, et je peux lui louer le mien. J'ai déjà parlé plus amplement dans le chapitre précédent de ceux qui agissent de cette manière innocemment et sans fraude, et si ce que j'y ai dit est exact, il sera superflu de pousser plus loin l'examen de cette question; mais on peut hardiment poser le principe qu'un vaisseau neutre ne peut pas être confisqué pour avoir transporté des marchandises ennemies, que le propriétaire le sache ou non; parce que dans l'un ou l'autre cas il savait qu'il était engagé dans un commerce licite; et ce cas doit être distingué de celui qui transporte des marchandises de contrebande à l'ennemi. Par conséquent, je n'approuve pas la distinction faite par Paul; mais j'approuve les conclusions des légistes hollandais qu'on trouve dans le Consilia Belgica (Tom. IV, consil. 206, n. 2), posant en termes généraux le principe qu'un vaisseau neutre, quoique chargé de marchandises ennemies, n'est pas sujet à la confiscation.

» Nous allons maintenant examiner la seconde question, si

les marchandises ennemies, prises à bord d'un vaisseau neutre sont sujettes à la confiscation? Quelques-uns trouvent peutêtre fort extraordinaire qu'on puisse en douter, parce qu'il est évidemment permis à un belligérant de se saisir des biens de son ennemi. Cependant dans tous les traités que j'ai cités dans le chapitre précédent, il y a une stipulation expresse, que les marchandises ennemies trouvées à bord des vaisseaux neutres doivent être libres, ou, comme nous l'exprimons dans notre langue hollandaise, vry schip, vry goed (vaisseaux libres, marchandises libres), la contrebande de guerre cependant exceptée, quand elle est destinée à l'usage de l'ennemi. Et ce qui peut paraître le plus extraordinaire, c'est qu'entre ces traités, il y en a quatre dans lesquels la France est partie contractante, et suivant ces traités, les marchandises même de l'ennemi chargées sur des vaisseaux neutres, ne sont pas sujettes à la confiscation; encore moins donc doit être confisqué le vaisseau neutre sur lequel elles sont chargées. Ainsi il faut conclure, ou que le principe de l'ancienne loi française que j'ai déjà cité a été entièrement abandonné, ou, ce qui est le plus probable, que ces traités doivent être considérés comme formant une exception à cette loi. Quoi qu'il en soit, dans la discussion des principes généraux, nous devons faire plus d'attention à la raison qu'aux traités. Et pour ce qui regarde la raison, je ne vois pas pourquoi il n'est pas permis de prendre les effets de l'ennemi, quoique trouvés à bord d'un vaisseau neutre, parce que dans ce cas-là ce que prend le belligérant est toujours la propriété de son ennemi, et appartient au capteur par le droit de la guerre.

>> On peut dire peut-être qu'un belligérant ne peut pas se saisir des effets de son ennemi, à bord d'un vaisseau neutre, avant de s'être rendu maître du vaisseau même; ce qu'il ne peut faire sans commettre un acte de violence contre son ami, pour s'emparer des biens de son ennemi, et qu'un tel procédé est aussi illicite que s'il attaquait son ennemi dans un

Relâchement

de la loi

la capitulation

de la sublime Porte avec

Henri IV. 1604.

port neutre, ou que s'il commettait des déprédations sur le territoire d'un ami. Cependant il faut observer qu'il est permis d'arrêter un vaisseau neutre, pour s'informer non-seulement par le pavillon qui peut avoir été frauduleusement usurpé, mais par les documents qu'on trouve à bord du vaisseau, s'il est effectivement neutre. Ce fait une fois démontré, le vaisseau doit être relâché, autrement on peut le saisir. Et si on peut agir de cette manière, comme il est généralement pratiqué, il sera aussi permis d'examiner les documents concernant la cargaison, pour découvrir s'il y a des effets ennemis cachés à bord, et s'il s'en trouve, pourquoi ne pourrait-on pas les saisir par le droit de la guerre? Le jurisconsulte hollandais que j'ai déjà cité, et le Consulat de la mer dans le chapitre dont il a été question, sont également clairs sur ce point. Suivant ces autorités, le vaisseau neutre doit être relâché, mais les marchandises ennemies doivent être transportées dans un port du capteur, pour être régulièrement condamnées 1.»

L'exemple le plus ancien d'un relâchement de cette règle primitive par du Consulat, se trouve dans la capitulation accordée par la sublime Porte à Henri IV en 1604, par laquelle la Porte a consenti à ce que le pavillon français protégerait les marchandises ennemies contre la saisie par les vaisseaux de guerre ottomans. Cette capitulation a depuis servi de base à divers traités entre la Turquie et les différents états maritimes de la chrétienté, et entre ces derniers et les barbaresques, par lesquels le principe de vaisseaux libres, marchandises libres, fut mutuellement adopté, et la nationalité du vaisseau fut déterminée par le pavillon et le passeport 2.

1 BYNKERSHOEK, Q. J. Publ., lib. I, cap. XIV.

2 FLASSAN, Histoire de la diplomatie française, vol. I, p. 225. M. Flassan dit que «c'est à tort que l'on a donné à ces capitulations de 1604 le nom de traité, lequel suppose deux parties contractantes stipulant sur les intérêts; ici on ne trouve que des concessions, des priviléges, et des exemptions de pure libéralité par la Porte à la France.» (Ibid. p. 27 note 4.)

Pyrénées. 1689.

Les traités de Westphalie de 1648, ayant pour objet prin- Traités des cipal ces arrangements de territoire, et d'autres questions, suite de la guerre de trente ans en Allemagne, le litige entre la France et la maison d'Autriche, et la longue et sanglante lutte entre l'Espagne et la Hollande, ne contiennent aucune stipulation sur ces points contestés du droit maritime des gens. Par le traité des Pyrénées de 1659, qui termina la guerre entre deux grandes puissances maritimes, la France et l'Espagne, il fut stipulé, que si l'une ou l'autre des parties contractantes venait à s'engager dans une guerre avec une troisième partie, pendant que l'autre resterait neutre, les marchandises ennemies chargées sur des vaisseaux neutres seraient libres, tandis que que les marchandises neutres, chargées sur des vaisseaux ennemis, seraient sujettes à la saisie et à la confiscation. Il paraît évident que cet article avait seulement pour objet d'introduire une nouvelle loi entre les deux parties contractantes, quant à des marchandises ennemies chargées sur un vaisseau neutre, loi qu'il a associée à l'ancienne loi de la France et de l'Espagne qui adoptait la maxime que la robe d'ennemi confisque celle d'ami. Cette assertion se trouve confirmée par le fait constaté par Valin, que cette dernière puissance a transplanté, depuis l'époque de la paix des Pyrénées, dans son code des prises, le règlement français, d'après lequel un vaisseau neutre

Le troisième article de cette capitulation déclare que les Vénitiens, les Anglais, les Espagnols, les Catalans, les Ragusais, les Génois, les Napolitains, les Florentins, et généralement toute autre nation, pourraient trafiquer dans les états du Grand-Seigneur, sous la banniere de France; que les ambassadeurs d'Angleterre et d'autres ne pourraient les en empêcher, et que cela durerait tant que l'empereur de France conserverait son alliance.

L'article douzième est dans ces termes : «Voulons et commandons, que les marchandises qui seront chargées à nolis sur vaisseaux français, appartenant aux ennemis de notre Porte, ne puissent être prises, sous couleur qu'elles sont de nosdits ennemis, puisqu'ainsi est notre vouloir. >>

« PreviousContinue »