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seaux marchands de ce pays-ci, leurs hautes puissances se conformeront à ce qui a été réglé et pratiqué auparavant par cet état, quant aux vaisseaux marchands des autres nations, même aux vaisseaux anglais sous escorte; et quoiqu'elles soient persuadées que cette visite ait un grand inconvénient pour le commerce, on ne peut pas raisonnablement s'en plaindre, ni demander que les Anglais s'en désistent. » Il fut aussi résolu qu'on entamerait une négociation avec le gouvernement anglais, « afin de faire régler la visite, de manière qu'elle fût faite avec le moins d'inconvénients possibles pour le commerce des deux parties, comme il a déjà été convenu par des stipulations dans les traités avec le roi de France et celui d'Espagne '.»

En 1655, l'agent anglais en Hollande écrivit à son gouvernement: «Ils ont ici l'intention de frustrer le Protecteur de son droit de visite, et ceci par l'emploi des convois de force suffisante, et par ce moyen ils veulent attirer tout le commerce à eux seuls et à leurs vaisseaux 2.»

En 1656, les amirautés d'Amsterdam et de Rotterdam ont ordonné à tous leurs commandants « d'avoir pour les vaisseaux de guerre anglais tous les égards possibles; que s'ils manifestaient l'intention de faire la visite, il fallait les recevoir poliment, leur permettre de parler avec les vaisseaux de leur convoi et de voir leurs papiers; mais que s'ils insistaient sur la visite, il fallait résister et repousser la force par la force. » Dans le mois de mai de la même année (l'Espagne étant alors en guerre avec l'Angleterre), il arriva une rencontre de cette nature entre une flotte de vaisseaux marchands hollandais venant de Cadix, et destinée pour les ports de la Hollande, sous le convoi de l'amiral de Ruyter, ayant sous ses ordres sept vaisseaux de guerre, et une escadre de frégates anglaises, qui se trouvant trop faible pour combattre avec l'amiral hol

1 THURLOE'S State papers, vol. II, p. 503. 2 Ibid., vol, IV, p. 203.

landais, accepta sa déclaration qu'il n'y avait « rien à bord appartenant au roi d'Espagne '. >>

Au mois d'août de la même année, le protecteur Cromwell écrivit à son amiral Montagu : « Le secrétaire m'a communiqué votre lettre du 28 dernier, par laquelle vous lui annoncez les instructions que vous avez données pour visiter des vaisseaux hollandais, qui (comme vous en êtes informé) sont chargés d'argent et de marchandises appartenant aux Espagnols, ennemis déclarés de cet état. Il n'y a point de doute que les instructions que vous avez données ne soient parfaitement d'accord avec le droit des gens et les traités qui existent entre cette république et les Provinces-Unies, et par conséquent nous désirons que vous continuiez les mêmes directions, en requérant les capitaines d'y tenir la main afin qu'elles soient exécutées 2.» Et dans la négociation entamée pendant la même année entre les deux républiques, la proposition de dispenser de la visite les vaisseaux marchands, naviguant sous le convoi des vaisseaux de guerre, fut soutenue avec beaucoup de zèle et d'insistance par Nieuport, ambassadeur hollandais. Il écrivit le 24 septembre 1657 : « A l'égard des articles secrets regardant la visite des vaisseaux marchands qui naviguent sous le convoi du pavillon de l'état, j'ai observé à leurs seigneuries qu'autrefois tous les rois et les états avaient toujours fait une distinction entre les vaisseaux des particuliers qui naviguent à leurs propres risques et périls, et les vaisseaux de l'état, ainsi que ceux qui traversent la mer sous leur protection. Que leurs hautes puissances étaient d'avis que ce serait une grande sécurité pour leurs états, si les vaisseaux et les officiers de l'état étaient responsables des vaisseaux marchands qui naviguaient sous leur convoi; et que ce que j'avais proposé dans mon dernier mémoire n'était pas une nouveauté, ce même projet ayant déjà été proposé dans toutes 1 THURLOE'S State papers, vol. IV, pp. 730, 740.

2 Ibid.

les négociations depuis l'année 1654, de manière que si l'affaire n'était pas réglée d'après lesdits articles, les troubles en mer, dont j'avais eu si souvent occasion de me plaindre, ne pourraient jamais être apaisés. Les trois lords répondirent, l'un après l'autre, et insistèrent sur ce que le projet ne pouvait pas être compatible avec leur sécurité, qu'ils ne pouvaient et ne devaient pas se fier aux déclarations des officiers de la marine; qu'il donnerait lieu à des gens mal disposés de secourir l'ennemi; qu'aucun autre traité antérieur ne renfermait une pareille stipulation, et que leurs hautes puissances n'avaient aucune raison de désirer une telle innovation. J'ai allégué, au contraire, que l'usage de ce côté-ci, à l'égard de la visite des vaisseaux neutres sans distinction, fut elle-même une innovation, et que les habitants des Provinces-Unies, qui sentaient les inconvénients de cet usage, avaient raison d'insister pour qu'on y mit ordre par un bon règlement !. »

L'ambassadeur hollandais enfin quitta l'Angleterre re infacta, le protecteur insistant toujours avec beaucoup d'énergie sur la prétention contraire; et une autre lettre, dans la collection de Thurloe, nous informe que son gouvernement fut facilement consolé de la non-réussite de sa négociation, parce que la Hollande pourrait avoir bientôt occasion de recourir elle-même à l'exercice de ce droit belligérant, dans la guerre qui était sur le point d'éclater avec le Portugal 2.

Nous venons de voir que Bynkershoek, écrivant après la paix d'Utrecht, pose la règle que les marchandises ennemies chargées à bord d'un vaisseau neutre peuvent être saisies et confisquées, à moins qu'il n'y eût quelque traité applicable

1 THURLOE'S State papers, vol. VI, p. 544.

2 «Il est fort croyable que le sieur Nieuport ne sera guère content d'avoir failli à achever le traité de la marine; néanmoins je m'imagine que la Hollande à présent ne serait pas fort marry de ne l'avoir pas achevé, pour ne se pas oster de visiter les mêmes en cette guerre contre le Portugal. (Lettre de La Haye, 60. novembre, 1657.» THURLOE'S State papers, vol. VI, p. 624.

au cas, et créant des exceptions au droit préexistant, en établissant la règle de vaisseaux libres, marchandises libres. En raisonnant sur ce principe du droit des gens primitif, il répond à l'objection qu'on pourrait faire, qu'une nation belligérante ne peut pas prendre des effets de son ennemi dans un vaisseau neutre, sans s'emparer du vaisseau même, et qu'un tel procédé est tout aussi illicite, que s'il attaquait cet ennemi dans un port neutre, ou s'il commettait des déprédations sur le territoire d'un ami. «Mais, dit-il, il doit être observé qu'il est permis d'arrêter un vaisseau neutre pour déterminer, nonseulement par le pavillon, qu'on aurait pu frauduleusement usurper, mais aussi par les documents eux-mêmes trouvés à bord, s'il est véritablement neutre. Si le résultat de l'examen est favorable, alors il doit être relâché; autrement on peut s'emparer du vaisseau. Et si ceci est permis, comme il l'est d'après tous les principes, et comme il est généralement pratiqué, il sera permis aussi d'examiner les documents qui regardent la cargaison, et de s'informer de cette manière s'il y a des effets ennemis cachés à bord 1. »

Il est évident que cet examen des documents qui constatent la propriété, ne peut avoir lieu sans l'exercice du droit de visite. Ce passage démontre quel fut, d'après l'opinion du publiciste hollandais, l'usage approuvé des nations sur cette matière, à l'époque déjà indiquée.

Il paraît aussi évident, d'après le témoignage de l'histoire, que le droit de visite fut maintenu en pratique par son pays pendant qu'il était partie belligérante, quoique les Hollandais cherchassent souvent à faire excepter leur pavillon de l'application de ce droit de visite pendant qu'ils étaient neutres, afin de s'attirer le commerce de fret, sous la protection de leur maxime favorite libres vaisseaux, libres marchandises. Ce principe leur fut concédé par l'Angleterre dans le traité de

:

BYNKERSHOEK, Q. J. publ., lib. I, cap. XIV.

$ 18. Souveraineté

4666, confirmé par celui de 1673, qui tous les deux gardent également le silence sur la question du convoi. Ils exceptent les marchandises de contrebande de la liberté générale da pavillon neutre, et rendent indispensable la production de certaines preuves de la nationalité du vaisseau. Les passeports et autres documents peuvent être procurés par la fraude aussi bien que le pavillon, et il n'est pas à supposer qu'on ait eu l'intention d'étendre la protection des traités à une neutralité simulée par la fraude, pour cacher les intérêts de l'ennemi dans le vaisseau, aussi bien que dans la cargaison.

Les questions concernant la souveraineté des mers ont été des mers. bien des fois agitées pendant la période dont nous nous occupons. La question de savoir jusqu'à quel point une nation pouvait s'approprier, à l'exclusion des autres, la pleine mer, ou l'Océan, avait exercé les plumes des plus habiles publicistes de l'Europe, vers le commencement du dix-septième siècle. Les prétentions démesurées de l'Espagne et du Portugal à la souveraineté des terres et des mers du NouveauMonde, en vertu de la fameuse concession du pape Alexandre VI, fondée sur le droit de découverte et de conquête, furent contestées par les Hollandais, qui avaient secoué en même temps le joug politique de l'Espagne et le joug religieux de Rome. Leur grand publiciste et homme d'état, Grotius, fut le premier à combattre ces prétentions, et à défendre le droit commun de toutes les nations de jouir de la libre navigation, du commerce et de la pêche dans l'Atlantique et la mer Pacifique. Son traité De mare libero, fut publié en 1609 '.

Grotius.

Mare liberum.

Dans son ouvrage postérieur De jure belli ac pacis, publié en 1625, il reconnaît à peine à une nation le droit de s'appro

'HUGO GROTIUS, Mare liberum, sive De jure, quod Batavis competit ad Indicana commercia, dissertatio. Il fut d'abord publié sans nom d'auteur, à Leyde, en 1609, et depuis dans la même ville, avec son nom, en 1646.

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