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applicables en temps de paix, étaient expressément sanctionnés par la loi féciale des Romains. Pour qu'une guerre fût juste, il fallait qu'elle fût faite pour un juste motif et qu'elle fût préalablement déclarée avec toutes les formes usitées. Il cite alors comme preuve de la sévérité que l'on mettait à observer les dispositions de la loi féciale, l'exemple de M. Caton, qui conseilla à son fils, qui venait de servir dans une autre légion, de ne pas livrer bataille à l'ennemi, sans avoir prêté un nouveau serment militaire '.

Cicéron remarque aussi que le mot hostis avait été mis à la place de perduellis, pour désigner un ennemi, afin d'adoucir le sens cruel de ce mot par une expression plus humaine. «Nos ancêtres, dit-il, appelaient hostis ce que nous appelons » peregrinus. Ceci est prouvé par le texte des XII Tables: » Aut status dies cum hoste, et: Adversus hostem æterna >> auctoritas. Quelle expression plus douce que celle-ci? >> appeler celui auquel on fait la guerre, d'un nom si paci» fique!» Il est vrai que le temps avait donné quelque chose de dur à cette expression: on avait fini par ne plus se servir de ce mot dans le sens d'étranger, et on ne l'appliquait plus qu'aux ennemis dans le vrai sens du mot.

Selon ce grand philosophe, «deux nations, quand même >> elles luttent entre elles pour le souverain pouvoir et pour >> la gloire, devraient toujours être gouvernées par les prin>>> cipes qui constituent les justes causes de la guerre. L'ani» mosité des deux partis devrait dans ce cas même être tem» pérée par la dignité de leur cause. Les Romains firent la >> guerre aux Cimbres pour défendre leur propre existence, >> tandis qu'avec les Carthaginois, les Samnites, et Pyrrhus, >> ils luttaient pour l'empire. Carthage était perfide, et Annibal » était cruel; mais avec leurs autres ennemis les Romains » eurent des relations plus douces. » Il cite alors des vers du vieux poëte Ennius, pour montrer avec quelle générosité 1 CIC., De officiis, I, 14.

Pyrrhus rendait ses prisonniers sans rançon'. Il faut garder la foi même avec un ennemi. Pour montrer combien ce principe est sacré, il cite les exemples de Régulus retournant à Carthage, et du sénat romain livrant à Pyrrhus le traître qui avait offert de l'empoisonner 2. L'observation de cette règle distinguait précisément une juste guerre d'avec les déprédations des voleurs et des pirates. Dans le cas de ces derniers, des promesses consacrées même par un serment n'engagent à rien car un serment n'engage que lorsqu'il a été prêté avec la conviction sincère que l'on a le droit de l'exiger. Ainsi si l'on refuse de payer à des pirates une rançon stipulée même sous serment, il n'y a ni fraude ni parjure; car un pirate ne doit pas être considéré comme un ennemi particulier, mais comme un ennemi de l'humanité tout entière. Entre lui et une autre personne, il ne peut rien y avoir de commun, ni par contrat, ni par serment. Ce n'est point un parjure que de refuser de remplir un tel engagement; tandis que Régulus aurait été coupable de ce crime, s'il avait refusé de remplir un engagement fait avec un ennemi qui, comme les Romains, était soumis à la loi féciale 3.

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L'oubli dans lequel étaient tombés ces principes de justice

1 CIC., De officiis, I, 13.

Nec mi aurum posco, nec mi pretium dederitis,
Nec cauponantes bellum, sed belligerantes,
Ferro, non auro, vitam cernamus utrique.

Vosne velit, an me regnare hera, quidve ferat fors,
Virtute experiamur; et hoc simul accipite dictum;
Quorum virtuti belli fortuna pepercit,
Eorumdem me libertati parcere certum est;

Domo ducite, doque volentibu' cum magnis Diis.

2 IBID., ibid., lib. I, 13. III, 22, 27, 32.

3 Regulus vero non debuit conditiones pactionesque bellicas et hostiles perturbare perjurio. Cum justo enim et legitimo enim hoste res gerebatur, adversus quem et totum jus feciale, et multa sunt jura communia. Quod ni ita esset, nunquam claros viros senatus vinctos hostibus dedisset. (Lib. III, 29.)

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et de clémence fut, si nous en croyons Cicéron, la principale cause de la décadence et de la chute de la république. «Tant >> que le peuple romain, dit-il, conserva son empire par des .» bienfaits et non par des injustices; tant qu'il fit la guerre soit >> pour étendre son empire, soit pour défendre ses alliés, ses » guerres furent toujours terminées par des actes de clémence >> ou d'une sévérité nécessaire. Le sénat devenait l'asile des >> rois, des peuples et des nations. Nos magistrats et nos géné>> raux, dit-il, mettaient leur principale gloire à protéger avec >> justice et bonne foi les provinces et les alliés. Ainsi Rome » mérita le nom de patronne plutôt que celui de maîtresse » du monde. Mais depuis longtemps ces usages et cette discipline sont insensiblement tombés ou désuétude, et ont » complétement disparu lors du triomphe de Sylla. En effet >> rien ne pouvait paraître injuste envers des alliés lorsque les >> citoyens mêmes étaient traités avec tant de cruauté 1! »

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C'est avec une patriotique indignation que Cicéron trace d'une manière si énergique le contrasté qu'il y avait entre la conduite des Romains envers les autres nations, dans les premiers temps de la république et à l'époque dégénérée où il vivait. Mais l'histoire montre que les usages de ses compatriotes s'étaient constamment éloignés de sa belle théorie, autant que leurs pratiques religieuses avaient différé de ses conceptions sublimes sur la nature de la divinité. Montesquieu a suffisamment fait voir par quelle politique astucieuse, et par quelles flagrantes injustices Rome avait acquis la souverainté sur une si grande partie du monde 2. Les rapports des Romains avec les peuples étrangers n'étaient que trop conformes à leurs institutions intérieures. Leur constitution politique conservait toujours le caractère qui lui avait été imposé par le fondateur d'un état dont le principe fondamental était la guerre perpétuelle, et dont l'asser1 CIC., De officiis, lib. II, 8.

2 MONTESQUIEU, Grandeur et décadence des Romains, ch. 6.

Loi féciale des
Romains et

vissement et la colonisation des pays conquis était le but
principal. Pendant plus de sept siècles les Romains poursui-
virent un système d'envahissement, conçu par une politique
profonde et mis à exécution avec un orgueil inflexible et une
infatigable persévérance qui ne tenait aucun compte des occu-
pations utiles et du bien-être de la vie privée. Toute sollici-
tude pour la destinée de leurs concitoyens faits prisonniers,
était étouffée par leur politique sévère et inexorable.
Hoc caverat mens provida Reguli
Dissentientibus conditionibus

Fœdis, et exemplo trahenti
Perniciem veniens in ævum,

Si non periret immiserabilis

Captiva pubes.

L'institution de la loi féciale, avec son collége de hérauts Jus gentium. pour l'expliquer et pour la maintenir, institution que les Romains empruntèrent aux Étrusques, n'avait pour but que de donner une sanction aux usages de la guerre, et ne contribuait que peu à en adoucir les maux. Cette institution contrastait fortement avec la conduite oppressive dont ils usaient envers leurs alliés, et avec le traitement injuste et cruel qu'ils faisaient subir aux vaincus. Dans leur langage métaphorique et expressif, «la victoire rendait profane, même les choses >> les plus sacrées de l'ennemi. » Elle prononçait la confiscation de tous les biens meubles et immeubles, soit publics, soit privés, et condamnait les prisonniers à l'esclavage perpétuel; traînant à la fois les rois et les généraux après le char triomphal du vainqueur, et dégradant ainsi l'ennemi dans sa liberté d'esprit et dans son orgueil national, seules choses qui lui restent quand sa force et sa puissance sont détruites 1. S'il y a eu quelques exceptions à une pratique aussi rigoureuse, elles ne prouvent rien contre le caractère général des conquêtes des Romains, qui se terminaient souvent en livrant

1 Voyez le tableau touchant que Plutarque a tracé de la manière dont Persée et sa famille furent traités au triomphe de Paul Emile.

au bourreau les souverains captifs, comme s'ils avaient commis quelque crime en défendant l'indépendance de leur pays.

Aucun traité du droit des gens de l'antiquité ne nous a été conservé, quoique Grotius prétende qu'Aristote ait fait un ouvrage sur les droits de la guerre et les institutions de la loi féciale '. Parce que les Romains appelèrent leur loi féciale du nom de droit des gens, jus gentium, il ne faut pas croire que ce fût un droit positif, établi par le consentement mutuel ou même par l'usage général des nations; ce n'était pour eux, à proprement parler, qu'une loi civile. On l'appela droit des gens, parce que son but était de diriger la conduite des Romains envers d'autres nations dans les relations de la guerre, et non pas parce que toutes les nations étaient obligées de l'observer 2. Aussi les inductions qu'on peut tirer des définitions données par les jurisconsultes romains, de ce qu'ils appelaient jus gen– tium, s'accordent à démontrer que l'on n'entendait pas par cette expression une règle positive applicable aux rapports des états entre eux, mais uniquement ce que l'on a entendu depuis par le droit naturel, c'est-à-dire la règle de conduite existante ou qui devrait exister entre les hommes, indépendamment d'une institution ou d'un pacte positif. C'est ainsi que le droit des gens, jus gentium, a toujours été mis en oppo-·. sition avec le droit municipal, jus civile, et même avec le droit constitutionnel, jus publicum, réglant le gouvernement de Rome 3.

Pour mieux faire comprendre cette distinction entre le droit

1 V. GROTIUS de J. B. ac P. Proleg., § 36. Barbeyrac, dans une note sur ce passage, conteste le fait. Il paraît que Grotius, et sir James Mackintosh après lui (Discourse on the study of the law of nature and of nations), ont été induits en erreur par un passage du grammairien Ammonius, et que dans le titre d'un ouvrage d'Aristote : Δικαιωματα των πολεων, le mot πολεμων aurait été mis à la place de ce dernier.

2 Rutherforth's Inst. Nat. Law, B. II, ch. 9, § 10.

3 OMPTEDA, Litteratur des Volkerrechts, I. Band, §§ 32—44.

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