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publique ni bien juste, ni assez solide pour en déduire les règles d'un droit des gens universel, et nécessairement admis entre les états souverains. Je ne reconnais point d'autre société naturelle entre les nations que celle-là même que la nature a établie entre tous les hommes. Il est de l'essence de toute société (civitatis) que chaque membre cède une partie de ses droits au corps de la société, et qu'il y ait une autorité capable de commander à tous les membres, de leur donner des lois, de contraindre ceux qui refuseraient d'obéir. On ne peut rien concevoir, ni rien supposer de semblable entre les nations. Chaque état souverain se prétend et est effectivement indépendant de tous les autres. Ils doivent tous, suivant M. Wolf lui-même, être considérés comme autant de particuliers libres, qui vivent ensemble dans l'état de nature, et ne reconnaissent d'autres lois que celles de la nature même ou de son auteur 1. >>

Suivant Vattel, le droit des gens n'est autre chose, dans son origine, que le droit naturel appliqué aux nations.

Ayant posé cet axiome, il le limite de la même manière, et presque dans les mêmes termes que Wolf, en disant que la loi qui règle la conduite des individus doit nécessairement être modifiée dans son application aux sociétés collectives des hommes appelées des nations ou des états. Un état est un sujet très-différent d'un individu, d'où résultent des obligations et des droits bien différents. La même règle appliquée à deux sujets différents ne pouvant pas opérer des décisions semblables, il y a donc des cas dans lesquels la loi naturelle ne décide point entre les états comme elle déciderait entre particuliers. C'est l'art d'en faire une application accommodée aux sujets avec une justesse fondée sur la droite raison qui fait du droit des gens une science particulière.

Cette application du droit naturel aux nations forme ce que

1 VATTEL, Droit des gens, Préf.

Wolf et Vattel appellent le droit des gens nécessaire. Il est nécessaire, parce que les nations sont absolument obligées de l'observer. Les préceptes de la loi naturelle ne sont pas moins obligatoires pour les états que pour les particuliers; puisque les états sont composés d'hommes, et que cette loi oblige tous les hommes sous quelque relation qu'ils agissent. C'est ce même droit que Grotius et ses disciples appellent le droit des gens interne, en tant qu'il oblige les nations dans le for de la conscience. D'autres le nomment aussi le droit des gens naturel.

Le droit des gens nécessaire est immuable, parce qu'il consiste dans l'application que l'on fait du droit naturel aux états, lequel est immuable comme étant fondé sur la nature des choses, et en particulier sur la nature de l'homme. D'autres l'appellent le droit des gens naturel.

Ce droit étant immuable, et l'obligation qu'il impose nécessaire et indispensable, les nations ne peuvent y apposer aucun changement par leurs conventions, ni s'en dispenser ellesmêmes, ou réciproquement '.

Cet enchainement de définitions, de propositions, et de

1 VATTEL, Le droit des gens, préliminaires, §§ 6, 7, 8, 9. Ces définitions nous rappellent le beau passage de Cicéron dans son traité De republica, si souvent cité :

«Est quidem vera lex, recta ratio naturæ congruens diffusa in omnes, constans, sempiterna, quæ vocet ad officium jubendo, vetando a fraude deterreat, quæ tamen neque probos frustra jubet aut vetat, neque improbos jubendo aut vetando movet. Huic legi neque abrogari fas est. Neque derogari ex hac aliquid licet, neque tota abrogari potest, nec vere, aut per senatum aut per populum solvi hac lege possumus, neque est quærendus explanator aut interpres ejus. Nec erit alia Romæ, alia Athenis, alia nunc, alia posthac, sed et omnes gentes et omni tempore una lex et sempiterna et immortalis continebit, unusque erit communis quasi magister et imperator omnium Deus, ille legis hujus inventor, disceptator, labor, cui qui non parebit ipse se fugiet et naturam hominis aspernabitur, atque hoc ipso luet maximas pœnas, etiam si cætera supplicia quæ putantur effugerit.» (CICERON, De republica, lib. III.)

corollaires, pourrait donner lieu à plusieurs objections, si notre objet était de faire une critique des principes fondamentaux sur lesquels repose l'obligation du droit international selon Vattel et son maître. Il a lui-même le premier anticipé, et répondu à une des objections qu'on pourrait faire à sa doctrine, que les états ne peuvent pas changer le droit des gens nécessaire par des conventions entre eux. Cette objection suppose que la liberté et l'indépendance d'une nation ne pourraient pas permettre aux autres de déterminer si sa conduite est ou n'est pas conforme au droit des gens nécessaire. Il répond à cette objection par une distinction qui invalide les traités faits en contravention avec le droit des gens nécessaire suivant la loi interne, ou dans le for de la conscience, en même temps qu'ils peuvent être valides d'après la loi externe les états étant libres et indépendants, quoique les actions d'un état soient illégitimes suivant les lois de la conscience, les autres sont obligés de les souffrir, quand ces actions ne blessent pas leurs droits parfaits 1.

De cette distinction de Vattel vient ce que Wolf appelle le droit des gens volontaire, jus gentium voluntarium, terme auquel le premier donne son assentiment, quoiqu'il soit d'un autre avis que Wolf quant à la manière d'en établir l'obligation. Cependant il est d'accord avec Wolf, en regardant le droit des

gens volontaire comme une loi positive, déduite du consentement présumé ou tacite des nations de se considérer les unes les autres comme étant parfaitement libres, indépendantes et égales, chacune étant l'arbitre de ses propres actions, et n'ayant de compte à rendre à aucun autre supérieur que le suprême gouverneur de l'univers.

Outre ce droit des gens volontaire, ces publicistes parlent de deux autres espèces de droit international. Tels sont : 1o Le droit des gens conventionnel, qui prend son origine

1 VATTEL, Droit des gens, préliminaires, § 9.

$.6. Montesquieu,

mort en 1755.

dans des conventions entre des états individuels. Comme les parties contractantes sont les seules qui soient liées par de telles conventions, il est évident que le droit des gens conventionnel n'est pas une loi universelle, mais une loi particulière.

2o Le droit des gens coutumier, qui prend son origine dans les usages établis entre des nations particulières. Ce droit n'est pas universel, mais il est obligatoire seulement pour les états qui ont adopté ces usages comme lois entre eux.

Vattel conclut que ces trois espèces de droit international, le volontaire, le conventionnel, et le coutumier, composent ensemble le droit des gens positif. Ils prennent leur origine dans la volonté des nations, ou, pour emprunter les paroles de Wolf, «le volontaire, de leur consentement présumé; le conventionnel, de leur consentement exprès; et le coutumier, de leur consentement tacite 1. »

Peu de temps avant la publication du traité de Vattel parut né en 1687 l'Esprit des lois, ouvrage d'une portée si différente de ceux des publicistes formés à l'école de Grotius et de Puffendorf, qu'il a donné, suivant l'avis de quelques-uns, le coup mortel à l'étude de la science de la jurisprudence naturelle, qui avait si longtemps occupé l'attention non-seulement des savants, mais des hommes d'état de l'Europe. Montesquieu jouit encore de la réputation d'avoir «trouvé la grande idée de lier la jurisprudence à l'histoire et à la philosophie, de manière à rendre ces sciences utiles à leur éclaircissement mutuel 2. » Son génie peut avoir été excité par la lecture de Vico, et il est difficile de supposer que Montesquieu ignorât entièrement la Scienza nuova, publiée à Naples treize ans avant l'Esprit des lois. Il a sans doute emprunté quelques-unes de ses idées générales, avec leurs développements, aux ouvrages de ses

1 VATTEL, Préliminaires, § 27. WOLF, Proleg., § 25.

2 D. STEWART, Preliminary dissertation on the progress of metaphysical and moral phisosophy, p. 94.

autres prédécesseurs, tels que Bodin, Gravina, et Machiavel. Mais, après ces concessions, il lui reste encore en entier la gloire qu'il a justement méritée, en détournant la philosophie des spéculations arides, et en la dirigeant vers l'étude de la nature de l'homme, non-seulement comme elle est décrite dans l'histoire d'une ou de deux des nations de l'antiquité classique, mais dans l'immense variété des races dispersées sur le globe, avec leur diversité correspondante de mœurs, de lois et de religions. Son ouvrage ne renferme pas dans son objet général le sujet de ces usages qui règlent les rapports entre les sociétés indépendantes des hommes; mais il a déduit, dans un seul passage plein de pensées, et dans le même esprit philosophique et profond avec lequel il trace l'origine et l'histoire des lois civiles des diverses nations, le droit international établi entre diverses races, et prenant son origine dans les traits particuliers, moraux et physiques, qui les distinguent.

que

« Le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe, les diverses nations doivent se faire dans la paix le plus de bien, et dans la guerre le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts.

» L'objet de la guerre, c'est la victoire; celui de la victoire, la conquête, la conservation. De ce principe et du précédent doivent dériver toutes les lois qui forment le droit des gens. » Après avoir posé de cette manière les principes sur lesquels le droit des gens doit être basé, il continue:

<< Toutes les nations ont un droit des gens, et les Iroquois mêmes, qui mangent leurs prisonniers, en ont un. Ils envoient et reçoivent des ambassadeurs, ils connaissent des droits de la guerre et de la paix : le mal est que ce droit des gens n'est pas fondé sur de vrais principes 1. >>

1 MONTESQUIEU, Esprit des lois, liv. I, chap. 3.

Il est évident, d'après ce passage, que Montesquieu n'a regardé le droit des gens, ni comme universel, ni comme immuable. Grotius

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