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Dans son second chapitre, l'auteur examine la question, si, d'après le droit des gens universel, le pavillon neutre couvre la cargaison, ou, en d'autres termes, s'il suffit de prouver par les papiers de bord que le vaisseau est effectivement neutre, pour protéger la cargaison contre la saisie, même si c'est la propriété de l'ennemi, pourvu que cela ne soit pas de contrebande 1.

Dans cette partie de la discussion, il revient encore à son principe fondamental, relatif aux devoirs de la neutralité regardant la non-intervention dans la guerre, et l'impartialité parfaite qui doit être observée entre les parties belligérantes. Aussi longtemps que ces devoirs sont remplis, le neutre a le droit de continuer le même commerce qu'il a été accoutumé de faire en temps de paix. Il est généralement reconnu que les biens de l'ennemi ne peuvent pas être saisis dans un lieu neutre. Les vaisseaux neutres sont sans contestation des lieux neutres. Par conséquent une cargaison appartenant à l'ennemi ne peut pas être saisie à bord d'un vaisseau neutre, pas plus que sur un territoire neutre.

Hubner paraît ici avoir oublié que, dans la partie précédente de son ouvrage, il avait concédé le droit de la puissance belligérante, de capturer les biens de son ennemi dans un lieu qui n'appartient à personne, tel que la mer, pourvu qu'il ne fasse pas de mal à son ami le neutre. Maintenant il pose le principe, qu'un vaisseau neutre en mer forme une portion du territoire neutre; quoiqu'il ne se donne pas la peine d'établir par des preuves cette proposition, qui forme la base de tout son raisonnement, et quoiqu'il paraisse difficile de la concilier avec ce qu'il avait déjà admis quant à l'exercice du droit de visite dans un lieu qui n'appartient à personne, tel que la mer.

sance belligérante n'a pas besoin de ces mêmes objets, pendant qu'ils sont indispensablement nécessaires à son adversaire ? Sur ce point Hubner se tait.

1 Vol. I, partie première, chap. II, § 8.

Bynkershoek, comme nous l'avons déjà vu, déduit le droit belligérant de saisir les biens de l'ennemi à bord d'un vaisseau neutre, du droit de visite pour déterminer le caractère du vaisseau. Cet argument paraîtrait irrésistible, s'il était une fois admis, comme il l'est par Hubner, que la puissance belligérante peut exercer ce droit sur un vaisseau neutre en mer. Suivant lui, la seule raison pourquoi la puissance belligérante ne peut pas exercer son droit de saisir les biens de son ennemi à bord d'un vaisseau neutre en mer, est que le vaisseau forme une partie du territoire neutre. Mais la même raison doit s'appliquer également pour l'empêcher d'exercer le droit de visite, ou tout autre droit belligérant à bord d'un

vaisseau neutre sur mer.

Ayant disposé de cette partie de son sujet, Hubner passe (vol. II, partie 4, chap. 1) à l'examen de la question du juge compétent de la validité des prises faites sur des vaisseaux neutres. Il soutient que les cours d'amirauté de l'état belligérant, sous l'autorité duquel la capture a été faite, ne sont pas compétentes d'après le droit primitif des gens, parce que ni les personnes, ni les propriétés du neutre, amenées par la force dans les ports de l'état belligérant, ne sont soumises à la juridiction des tribunaux du pays. Le lieu où le litige a pris son origine n'est pas dans les limites de cette juridiction, et une des parties, avec les choses en contestation, amenée dans ces limites par l'exercice de la force, ne suffit pas pour fonder la juridiction de ces tribunaux. La loi qui doit être appliquée à la décision du litige n'est pas la loi civile de l'état belligérant, mais la loi universelle des nations, qui ne peut pas être appliquée avec impartialité par un tribunal où l'une des parties se constitue le juge dans sa propre cause. Il admet que l'usage des nations à cet égard, fondé sur le consentement des nations, devient en quelque sorte la loi de ces peuples qui ont consenti à son établissement. Mais ce consentement est un consentement tacite, et ne peut lier, même

ces peuples, que jusqu'à ce qu'ils aient expressément déclaré leur dissentiment. Tous les préceptes du droit des gens coutumier sont de cette nature, et un état particulier cesse d'être lié par ces préceptes, du moment où il déclare vouloir se libérer de cette obligation. Hubner cite l'exemple encore récent de la Prusse, qui ayant refusé de reconnaître la validité des jugements rendus par les cours d'amirauté de l'Angleterre, dans le cas des réclamations des sujets prussiens eontre les captures de leurs propriétés, avait érigé une commission spéciale pour examiner de nouveau ces jugements, et qui avait reçu du gouvernement anglais une indemnité pécuniaire pour être distribuée entre les réclamants, comme fournissant des preuves du dissentiment à cet usage d'une nation neutre. Il propose, comme un remède. général, l'établissement d'une commission mixte, composée de juges nommés par les deux parties intéressées, la puissance belligérante qui a fait la capture, et la puissance neutre dont les sujets réclament leurs propriétés.

Dans la seconde partie de ce volume l'auteur examine les conséquences qu'on doit tirer des traités formant le droit des gens conventionnel, et particulièrement les traités encore en 'vigueur, lorsqu'il écrivait entre son pays (le Danemark) et les autres puissances maritimes. Il tire de cette source des arguments supplémentaires en faveur des conclusions qu'il avait cherché à établir par les raisonnements que nous venons d'analyser. Le défaut radical de tous ses arguments consiste dans la concession de la légalité de l'exercice du droit de visite sur les vaisseaux neutres en mer, pour déterminer la nationalité du vaisseau. Il est évident que l'exercice de ce droit serait tout à fait oiseux, s'il n'entraînait pas le droit incidentel de saisir le vaisseau et de l'amener dans un port de l'état belligérant, pour un examen ultérieur en cas que les recherches préliminaires ne fussent pas satisfaisantes. Une fois que le vaisseau et la cargaison sont amenés dans le territoire

de l'état belligérant, ils sont soumis à la juridiction des tribunaux établis par cet état pour juger les prises faites sous son autorité. Il est vrai qu'ils sont contraints d'entrer de force dans le port belligérant; mais c'est une force légale, conséquence nécessaire de l'exercice du droit de visite.

Comme il a été observé par un publiciste contemporain de Hubner, la juridiction exercée par les tribunaux de prises de l'état belligérant n'est pas la juridiction civile ordinaire du pays. C'est une juridiction qui est subordonnée à la responsabilité de l'état envers les puissances neutres dont les sujets réclament contre les sentences de ces tribunaux. Ces sentences de confiscation ou de restitution mettent fin à tout litige entre les capteurs et les capturés. En cas de confiscation, la sentence détermine la question de propriété, et en transfère le titre à l'acheteur, de manière à exclure toute réclamation ultérieure de la part des propriétaires originaires. Mais elle ne les empêche pas de réclamer, par l'intermédiaire de leur gouvernement, auprès du gouvernement de l'état belligérant, contre la sentence, comme étant injuste et contraire au droit des gens.

En cas de déni de justice par les tribunaux en dernier ressort, et ensuite par le souverain, ce déni forme le motif des représailles de la part de l'état neutre dont les sujets sont lésés par suite de la procédure '.

Les doctrines de Hubner concernant les droits de neutralité n'ont pas trouvé beaucoup de faveur auprès des publicistes ses contemporains. Valin, dans son commentaire sur l'art. 7, liv. 3, tit. 9, de l'ordonnance de la marine de Louis XIV de 1684, qui confisquait les vaisseaux neutres chargés de marchandises ennemies, et les marchandises neutres chargées sur vaisseaux ennemis, disposition qui faisait partie du code des prises français lorsqu'il écrivait, avec l'exception de la modi1 Rutherforth, Institutes of natural law, vol. II, liv, II, chap. 9,

fication introduite dans le règlement de 1744, par suite des traités particuliers, dit : « M. Hubner, dans son Traité de la suisie des bâtiments neutres (vol. I, part. 2, chap. 2, sect. 5, et suivant depuis la page 207 jusqu'à la 226), fait plus; car il entreprend de prouver fort sérieusement que le pavillon neutre couvre toute la cargaison, quoiqu'elle appartienne à l'ennemi, ou qu'elle soit chargée pour son compte, de manière qu'il n'en excepte que les effets de contrebande. Mais cet au-· teur est absolument décidé pour les neutres, et semble n'avoir écrit que pour plaider leur cause. Il pose d'abord ses principes, qu'il donne pour constants, puis il en tire les conséquences qui lui conviennent. On commencera par lui demander sur quoi il établit que les marchandises de l'ennemi sont exemptes de confiscation dans un bâtiment neutre? Au surplus, par nos lois, cette confiscation est autorisée, nous devons nous y tenir 1.

1

Nous avons déjà vu que l'opinion de Heineccius s'accordait avec celle de Bynkershoek quant à la règle primitive du droit des gens sur cette matière, avant qu'elle fût modifiée par des traités. Vattel, écrivant en même temps que Hubner, la reconnaît explicitement, comme une suite nécessaire du droit de visite 2.

Les relations diplomatiques entre les divers états de l'Europe, pendant cette période, furent marquées par des discussions d'étiquette qui nous paraissent vaines et frivoles, mais qui furent alors regardées comme des preuves essentielles de l'égalité et de l'indépendance des nations. Entre ces questions fut celle de la préséance réclamée par les têtes couronnées

2

1 VALIN, Traité des prises, chap. 5, § 5.

<< Si l'on trouve sur un vaisseau neutre des effets appartenants aux ennemis, on s'en saisit par le droit de la guerre, mais naturellement on doit payer le fret au maître du vaisseau, qui ne peut souffrir de cette saisie. » (VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. 6, § 145.)

$ 13. Question de préséance.

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