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Validité des actes d'un

vioié ses

instructions.

savants, par le nom de son contemporain et ami Barbeyrac, qui, dans ses notes à la traduction du traité de Puffendorf sur le droit naturel et des gens, avait admis que les ambassadeurs n'étaient pas, en général, punissables par les princes auprès desquels ils sont accrédités; néanmoins il ajoute, que «<lors même que la chose presse, il est permis de se saisir d'abord de la personne de l'ambassadeur comme un ennemi déclaré, de le tenir en prison et même de le faire mourir, si cela est nécessaire pour notre conservation '. » A cette dernière alternative Bynkershoek ne fait aucune objection, pourvu que ce soit vraiment nécessaire pour notre sûreté, circonstance qui ne peut arriver que très-rarement, à moins que l'ambassadeur n'ait pris les armes et n'ait été tué en combattant contre nous 2.

Dans un ouvrage écrit depuis son traité De foro legatorum, ministre qui a Bynkershoek a examiné plusieurs questions, plutôt curieuses qu'utiles, concernant les droits de légation. Cependant, entre autres moins applicables aux affaires actuelles, il traite d'une question d'une grande importance, qui n'était pas encore bien déterminée lorsqu'il écrivit, quoiqu eaujourd'hui elle ne puisse guère être mise en doute. Dans le second livre de ses Questiones juris publici (cap. VII) il pose cette question, savoir : si le souverain est lié par les actes que son ministre aurait faits contrairement à ses instructions secrètes? Suivant notre au

teur, si la question était déterminée par les principes ordinaires du droit privé, applicables aux contrats des particuliers, on dirait, que le commettant n'est pas lié par les actes où le mandataire excède les limites de sa procuration. Mais dans le cas d'un ambassadeur, il faut distinguer entre le plein pouvoir

2

1 Droit de la nature et des gens, lib. VIII, chap. 9. § 12, note.

<«<Non intercedo, si aliter res salva esse nequeat, salus populi, salus principis, suprema lex esto. Sed fere semper res aliter salva esse potest, si non manu agat legatus, et tumultuarie cæde succumbat. Expulsio vel custodia legati alioquin suffecerit ut salute nostræ consulamus.» (De foro legat., cap. XXIV.)

qu'il doit exhiber aux ministres avec lesquels il négocie, et les instructions qu'il faut garder comme un secret entre lui et son souverain. Il cite les opinions de Gentili et de Grotius, qui prétendent que si le ministre n'a pas excédé l'autorité accordée par sa lettre de créance, le souverain ne peut refuser sa ratification, quoique le ministre ait pu s'écarter de ses instructions secrètes. Bynkershoek admet, que si ses lettres de créance sont spéciales et indiquent les conditions particulières de l'autorité dont il est investi, le souverain doit ratifier tout ce qui est conclu dans les limites de cette autorité. Mais les créances données aux plénipotentiaires sont rarement spéciales, encore plus rarement l'autorité secrète est-elle en contradiction avec le plein pouvoir public, et c'est le plus rare de tous les cas que celui où un ministre désobéit à ses instructions secrètes'. Mais s'il désobéit en effet, le souverain est-il tenu à la ratification suivant la promesse contenue dans son plein pouvoir? Suivant notre auteur, l'usage des nations de son temps rendait nécessaire la ratification par le souverain, pour valider les conventions conclues par ses ministres dans tous les cas, excepté ceux où les instructions sont contenues en entier dans le plein pouvoir patent, ce qui arrive très-rarement. Il conteste la proposition de Wicquefort (L'ambassadeur et ses fonctions, liv. 2, sect. 45), qui blâme la conduite de ces princes qui avaient refusé de ratifier les actes de leurs ministres, sous le prétexte qu'ils avaient violé leurs instructions secrètes. Les analogies du droit romain, et les usages du peuple romain, ne devaient pas être considérés comme un guide infaillible dans cette matière, parce que le laps du temps avait apporté un grand changement dans l'usage des nations, qui forme la loi des nations, et Wicquefort lui-même,

1 Sed rarum est, quod publica mandata sint specialia, rarius, quod arcanum publico sit contrarium, rarissimum vero, quod legatus arcanum posterius spernat, et ex publico priori rem agat.»> (BYNKERSHOEK, Q. J. publ., lib. II, De rebus varii argumenti, cap. VII.)

dans un autre passage, avait admis la nécessité d'une ratification préalable 1. Cependant Bynkershoek ne conteste pas que si le ministre a agi précisément en conformité avec son plein pouvoir public, qui peut être spécial, ou avec ses instructions secrètes, qui sont toujours spéciales, le souverain est tenu de ratifier ses actes, et attire sur lui le reproche de mauvaise foi, s'il s'y refuse. Mais si le ministre excède son autorité, ou consent à négocier sur des points qui ne sont pas énoncés dans son plein pouvoir et ses instructions, le souverain est pleinement justifié en retardant ou même en refusant sa ratification. Les circonstances particulières de chaque cas, doivent décider si la règle ou l'exception doit être appliquée 2.

1 «Sed quod olim obtinuit, nunc non obtinet, ut mores gentium sæpe solent mutari, nam postquam ratihabitionem usus invaluit, inter gentes tantum non omnes receptum est, ne fœdera et pacta, a legatis inita, valerent, nisi ea probaverint principes, quorum res agitur. Ipse Wicquefort (eodem opere, lib. I, sect. 16) necessitatem ratihabitionum satis agnoscit hisce verbis: «Que les pouvoirs, » quelque amples et absolus qu'ils soient, ont toujours quelque >> relation aux ordres secrets qu'on leur donne, qui peuvent être >> changés et altérés, et qui le sont souvent suivant les conjonctu»res et les révolutions des affaires.» (BYNKERSHOEK,. Q. J. publ., lib. II, De rebus varii argumenti, cap. VII.)

2 Non tamen negaverim, si legatus publicum mandatum, quod forte speciale est, vel arcanum, quod semper est speciale, examussim sequutus, foedera et pacta ineat, justi principis esse, ea probare, et nisi probaverit, malæ fidei reum esse, simulque, legatum exponere ludibrio; sin autem mandatum excesserit, vel fœderibus et pactis nova quædam sint inserta, de quibus nihil mandatum erat, optimo jure poterit princeps vel differe ratihabitionem, vel plane negare. Secundum hæc damnaverim vel probaverim negatas ratihabitiones, de quibus prolixe agit Wicquefort d. 1. ii. sect. 15. In singulis causis, quas ipse ibi recenset, ego nolim judex sedere, nam plurimum facti habent, quod me latet, et forte ipsum latuit. Non immerito autem nunc gentibus placuit ratihabitio, cum mandata publica, ut modo dicebam, vix unquam sint specialia, et arcana legatus in scriniis suis servare soleat, neque adeo de his quisquam rescire possint, quibuscum actum est, (Q. J. publ., lib. II, De rebus varii argumenti, cap. VII.)

Nous nous sommes arrêtés si longtemps sur les ouvrages du publiciste hollandais concernant les droits de légation, parce qu'ils nous ont fourni l'occasion de retracer l'histoire des progrès que cette partie du droit des gens avait faits en Europe à l'époque où il écrivait. Nous allons maintenant donner une courte notice de quelques projets pour rendre perpétuelle la paix entre les nations, proposés par des théoriciens et des philanthropes pendant la période dont nous nous occupons dans cette partie de notre travail.

En 1745 a paru le Projet de paix perpétuelle par l'abbé de Saint-Pierre, que l'auteur attribue à Henri IV et à son ministre Sully, pour le recommander à l'adoption des souverains et des ministres, auxquels l'autorité de ces grands noms imposerait plus que les seuls mérites du projet même.

Pour mieux comprendre jusqu'à quel point l'auteur de ce projet était fondé en s'appuyant sur l'autorité du monarque français et de son ministre, il faut remonter plus haut, et reporter notre attention sur la politique de l'Europe avant la guerre de trente ans, qui fut terminée par la paix de Westphalie. On sait que depuis la réforme de la religion au seizième siècle, l'Europe était divisée, parmi ses peuples et ses princes, en deux partis ou systèmes; l'un, représenté par les protestants, progressif et libéral, mais faible par l'isolement et la grande diversité de ses adhérents; l'autre, conservateur et même réactionnaire, mais plus compacte, plus uni, sous l'égide du Pape, de l'Empereur et de la monarchie espagnole. La collision de ces partis sur les questions les plus importantes de la société européenne, entretenait une fermentation générale des esprits, pendant qu'une crise également dangereuse et universelle se préparait du côté de la politique. L'équilibre européen fut troublé du moment où les vastes possessions de la monarchie espagnole dans les deux mondes, et les royaumes héréditaires et électifs de l'Autriche, furent réunis à la couronne impériale dans la même maison, sur la

$ 17. Projet de paix perpétuelle

de l'abbé de Saint-Pierre.

tête de Charles V. Ce fut la reine d'Angleterre, Élisabeth, qui comprit la première que l'oppression du parti protestant devait troubler l'équilibre européen, en menaçant la liberté religieuse et politique de toutes les nations qui, depuis la réforme, se rangeaient du côté du protestantisme, soit sous les priviléges d'une monarchie élective comme la Hongrie et la Bohême, soit par suite d'une confédération républicaine comme les Provinces-Unis des Pays-Bas. Aussi, dans la guerre d'indépendance soutenue par les Provinces-Unies contre Philippell d'Espagne, s'empressa-t-elle de secourir cette république naissante, prévoyant que de son maintien devait principalement résulter le triomphe des grands intérêts du protestantisme et de l'équilibre européen. Ce grand héritage de, la politique de la république chrétienne (expression alors très-usitée) était dévolu à Henri IV, au moment où il fut appelé, après avoir terminé la guerre civile, à replacer la France au rang qui lui appartenait dans le système de l'Europe. Il cherchait à former une alliance de tous les états dont l'indépendance était menacée par l'ambition et les envahissements de son grand adversaire, la maison de Habsbourg, dans ses deux branches espagnole et autrichienne. Sully, de concert avec lui, s'occupa beaucoup de cette idée, et prépara les moyens de l'exécuter. Leur but était d'attaquer la maison d'Autriche en Allemagne et en Espagne, de lui enlever une grande partie de ses provinces, de faire un nouveau partage de l'Europe, et d'asseoir sur cette base une paix générale et durable, garantie par fédération de tous les états européens 1.

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La première partie de ce projet reposait sur des bases solides et conformes aux maximes d'une saine politique. Henri IV voulait assurer la tranquillité de la France et de l'Europe, en affaiblissant la maison d'Autriche. Ses deux branches s'étaient rapprochées, et formaient des projets contraires

1 ROMMEL, Correspondance de Henri IV avec Maurice-le-Savant, landgrave de Hesse, Introd., pp. XXI-XXV.

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