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l'empire d'Occident, presque toutes les nations de l'Europe se trouvèrent de nouveau unies par des lois communes, par la religion et les institutions ecclésiastiques, par l'usage de la langue latine dans les actes publics, et enfin par la majesté du nom impérial. A partir de cette époque, le droit romain ne fut plus considéré comme le droit particulier des Romains qui étaient soumis aux rois barbares établis dans les anciennes provinces de l'empire. Il devint le droit commun de tous les états qui avaient été jadis provinces romaines, et s'étendit bientôt jusqu'au delà du Danube et du Rhin, dans ces pays de l'Allemagne que Rome n'avait jamais pu dompter 1. A la renaissance du droit civil, qui, comme nous l'avons déjà dit, s'était de plus en plus confondu avec le jus gentium, il finit pas s'identifier complètement avec ce jus gentium dans le sens que les modernes ont attribué à cette expression, c'est-à-dire dans le sens de droit international. Les professeurs de la fameuse école de Bologne n'étaient pas seulement des jurisconsultes; ils étaient aussi employés comme officiers publics, et surtout comme diplomates ou arbitres pour régler les différends que pouvaient avoir entre eux les divers états de l'Italie. Les républiques italiennes étaient nées de la constitution municipale des villes romaines, constitution qui avait été conservée sous la domination des Lombards, des Francs, des empereurs grecs et des papes. Dans la lutte entre les villes lombardes qui réclamaient leur indépendance et Frédéric Barberousse qui insistait sur ses droits régaliens, on en appela souvent aux jurisconsultes pour régler le différend. Frédéric, comme successeur d'Auguste et de Charlemagne, demandait le pouvoir entier et despotique que les empereurs romains avaient eu sur leurs sujets. - La ligue lombarde, au contraire, alléguait comme titre à l'indépendance une longue possession, et l'acquiescement des prédécesseurs de Frédéric. La diète de

1 SAVIGNY, Geschichte, etc., III. Bd., Kap. 16.

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Influence du

droit canon et

casuistes.

Roncaglia, en 1158, décida que les droits régaliens appartenaient exclusivement à l'empereur, excepté dans le cas où les villes pourraient produire des chartes impériales d'exemption. On croit que cette décision fut due à l'influence des quatre docteurs de Bologne, qu'on a par suite accusés d'avoir, par leur honteuse servilité, trahi les libertés de l'Italie. Nous n'avons pas à examiner cette question; le fait que nous avons cité prouve que dans les graves questions on consultait les légistes, qui acquéraient ainsi une nouvelle importance, comme interprètes de la science du droit international.

A partir de ce moment, cette science a été considérée comme des écrits des étant particulièrement du ressort des jurisconsultes dans l'Europe entière, et même dans les pays qui n'avaient adopté qu'en partie le droit romain pour base de leur propre droit municipal. Dans toutes les questions de droit international on en a sans cesse appelé à l'autorité des jurisconsultes romains, et souvent on en faisait une fausse application, en considérant leurs décisions comme des lois d'une obligation universelle'. L'esprit du droit romain avait pénétré jusque dans le code ecclésiastique, et l'on peut regarder comme une circonstance favorable pour la renaissance de la civilisation en Europe, que les intérêts du clergé l'engagèrent à maintenir un certain respect pour les principes immuables de la justice. La monarchie spirituelle des pontifes romains était fondée sur le besoin d'un pouvoir moral pour tempérer les désordres grossiers de la société pendant le moyen âge. On peut avec raison regarder l'influence immense de l'autorité papale à cette époque comme un bienfait pour l'humanité. Elle sauva l'Europe de la barbarie, et devint le seul refuge contre l'oppression féodale. La compilation du droit canon qui fut faite sous Grégoire IX a contribué à faire adopter les principes de la justice au clergé catholique, tandis que la science des casuistes,

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1 SAVIGNY, Geschichte, etc., III. Bd., Kap. 19.

conçue par eux pour leur servir à remplir les devoirs de la confession auriculaire, a ouvert un champ libre aux spéculations de la véritable science de la morale.

Pour résumer ce que nous venons de dire sur les progrès du droit des gens pendant le moyen âge, on peut remarquer qu'on a déjà vu quels étaient les maximes et les usages antisociaux observés par les anciens Grecs et Romains dans leurs relations mutuelles, ainsi qu'envers les autres races qu'ils appelaient des Barbares. La religion chrétienne devait abolir l'ancien précepte païen: Tu haïras ton ennemi, et y substituer l'injonction divine: Aimez vos ennemis; commandement qui ne pouvait se concilier avec la guerre perpétuelle. Cependant cette loi plus pure devait lutter péniblement contre l'inimitié séculaire des diverses races du monde ancien, et contre l'esprit d'intolérance des siècles de barbarie qui ont suivi la chute de l'empire romain. C'est pendant le moyen âge que les états chrétiens de l'Europe commencèrent à se rapprocher les uns des autres, et à reconnaître un droit commun entre eux. Ce droit était fondé principalement sur les circonstances suivantes :

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1° La renaissance de l'étude du droit romain, et l'adoption de ce droit par presque tous les peuples de l'Europe chrétienne, soit comme base de la loi positive de chaque pays, soit comme raison écrite et droit subsidiaire.

2o L'union de l'église d'Occident sous un chef spirituel, dont l'autorité était souvent invoquée comme arbitre suprême entre les souverains et entre les nations 1.

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De cette manière le droit des gens moderne de l'Europe a pris sa double origine dans le droit romain et dans le droit canonique. Les traces de cette double origine se trouvent distinctement dans les écrits des casuistes espagnols et des légistes italiens. Les conciles généraux de l'église catholique étaient

1 HEFFTER, Das Europäische Völkerrecht, Einleitung, § 5.

Francisco
Victoria.

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souvent des congrès européens, qui s'occupaient, non-seulement des affaires ecclésiastiques, mais qui réglaient en même temps les affaires contentieuses entre les divers états de la chrétienté. Comme nous l'avons déjà dit, les jurisconsultes étaient à cette époque des publicistes et des diplomates. Tous les publicistes qui ont écrit avant Grotius ont invoqué principalement l'autorité des anciens jurisconsultes romains et des canonistes. La révolution religieuse du seizième siècle ébranla une des bases de cette jurisprudence universelle. Cependant, comme nous verrons plus tard, les publicistes de l'école protestante, en renonçant à l'autorité de l'église de Rome, ne cessèrent pas d'invoquer celle du droit romain, comme raison écrite et comme code universel.

Les universités de l'Italie et de l'Espagne ont produit dans le seizième siècle une foule d'hommes remarquables qui se sont occupés à cultiver cette partie de la science de la morale qui enseigne les règles de la justice. Parmi eux on peut citer Francisco Victoria, dominicain qui s'est rendu célèbre comme Dominique Soto. professeur à l'université de Salamanque; et Dominique Soto, élève et successeur de Victoria à la même école, qui publia en 1560 un traité de justice et de droit tiré de ses leçons publiques et dédié à l'infortuné et célèbre Don Carlos. Victoria ainsi que Soto condamnaient avec une indépendance qui leur fait honneur, les guerres cruelles que la rapacité de leurs compatriotes leur faisait entreprendre dans le Nouveau-Monde, sous prétexte de propager le christianisme. Soto fut nommé arbitre pas Charles-Quint, dans la contestation qui s'était élevée entre Sepulveda, le défenseur des colons de l'Amérique espagnole, et Las Casas, le protecteur des naturels du pays, au sujet de l'esclavage de ces derniers. L'édit de réforme de 1543 avait été rendu d'après le jugement de Soto en faveur des Indiens. Il ne s'est pas arrêté là : il a condamné dans les termes les plus précis la traite des nègres en Afrique, qui commençait alors à être pratiquée par les Portugais, en attirant

Saurez.

les naturels vers les côtes, sous de faux prétextes, et les transportant ensuite par force à bord de leurs vaisseaux négriers 1. On peut encore ajouter à ces deux casuistes, Francisco Francisco Saurez, qui se faisait remarquer dans le même siècle, et duquel Grotius a dit qu'il n'avait pas son égal en subtilité parmi les philosophes et les théologiens. Quelques passages de sa théorie touchant la morale privée, sont justement condamnés par l'auteur des Lettres provinciales; mais ce jésuite espagnol a le mérite d'avoir conçu et exprimé clairement, dans son traité De legibus ac Deo legislatore, la distinction entre ce qu'on appelle le droit naturel et les principes conventionnels observés par les nations entre elles. «Il fut le premier à » s'apercevoir, dit Mackintosh, que le droit international était >> composé, non-seulement de simples principes de justice >> appliqués aux rapports des états entre eux, mais encore » d'usages longtemps observés par la race européenne dans >>> ses relations internationales, qui ont été depuis reconnus » comme la loi coutumière des nations chrétiennes de l'Europe » et de l'Amérique 2. »

theologica

de Victoria.

L'ouvrage de Francisco de Victoria intitulé Relectiones Relectioncs theologica, quoiqu'il en ait paru six éditions, dont la première de Francisco à Lyon en 1557, et la dernière à Venise en 1626, est devenu extrêmement rare. Cet ouvrage est composé de treize dissertations ou relectiones, selon le titre que l'auteur lui-même leur a donné, sur divers sujets. Deux de ces dissertations, la

1 «Si l'opinion qui a prévalu, dit Soto, est vraie, que les ma>>rins portugais attirent les malheureux indigènes d'Afrique près >> des côtes, par des présents et toute espèce de séductions et de »fraudes, pour les engager à s'embarquer dans leurs vaisseaux; >> ceux qui les prennent aussi bien que ceux qui les achètent »ne peuvent avoir la conscience nette, jusqu'à ce qu'ils aient >> affranchi ces mêmes esclaves, n'importe qu'ils aient ou qu'ils »> n'aient pas les moyens de payer leur rançon.» (Soтo, De justitia et jure, lib. IV, Quæst. II, art. 2.)

2 MACKINTOSH, Progress of Ethical Philosophy, sect. 3, p. 51.

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