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une puissance capable d'en défendre et d'en fermer les passages aux étrangers, était une idée lumineuse, et offrait le seul moyen de contenir dans de sages limites l'ambition de la maison d'Autriche et de la famille des Bourbons. On doit regretter, pour le bonheur de l'Europe, que cette partie du plan de Henri IV n'ait pas été réalisée.

>>>> Établir une nouvelle balance des forces, en partageant l'Europe comme on partage un terrain inhabité entre des colons qui y abordent, c'était y naturaliser la guerre pour la faire cesser, et entreprendre un ouvrage long et difficile qui devait rencontrer des résistances invincibles.

>> En supposant même que ce partage eût réussi, qu'en fûtil résulté? Organiser en Europe une grande république de puissances, faire cesser pour les nations l'état de nature où chacune d'elles est seule juge et seule garante de ses droits, substituer à cette anarchie, où la force seule décide de tout, un ordre légal, c'était tenter l'impossible; il aurait fallu pour cet effet rendre tous les gouvernements impossibles ou impuissants; on ne pouvait pas espérer l'un, on ne devait pas même espérer l'autre. La tranquillité de l'Europe et la sûreté des états ne peut résulter que d'un système de contre-forces, où chaque puissance serait assez forte pour résister à des attaques injustes, et où on ne le serait pas assez pour briser facilement la résistance des autres.

» On peut présumer que l'expérience ou de plus mûres réflexions auraient ramené Henri IV à ces principes, et qu'il aurait abandonné un projet plus extraordinaire que grand, qui était en contradiction avec la nature humaine. Il se serait contenté d'abaisser la maison d'Autriche, sans prétendre l'anéantir; il aurait enrichi d'autres états de ses dépouilles, et l'Europe n'aurait pas été dans le cas d'échanger un danger pour un autre 1. »

' ANCILLON, Tome II, pp. 500-504.

Le projet de paix perpétuelle de l'abbé de Saint-Pierre diffère de celui attribué à Henri IV en ceci, qu'au lieu de chercher à remanier la carte de l'Europe, il prend pour base l'état de possession de ces diverses puissances établi par les traités d'Utrecht. L'auteur de ce projet avait été présent aux conférences d'Utrecht, et ayant vu les difficultés qui entravaient l'arrangement de la paix générale de l'Europe, il rédigea le projet d'un traité entre toutes les puissances de la chrétienté pour la rendre perpétuelle 1. Il publia ensuite, en 1729, l'Abrégé du projet de paix perpétuelle, en trois volumes, ouvrage contenant un développement complet de son plan, basé sur l'état de possession arrêté par les traités d'Utrecht, et cherchant à le perpétuer en conservant l'équilibre des forces entre les diverses puissances européennes par des moyens pacifiques.

Dans ce but, le premier article du projet proposait d'établir une alliance perpétuelle entre les membres de la ligue européenne, ou république chrétienne, pour leur sécurité mutuelle contre la guerre étrangère et civile, et pour la garantie réciproque de leurs possessions respectives et des traités de paix conclus à Utrecht.

L'article second proposait que chaque allié participât aux dépenses générales de la grande alliance, par une contribution mensuelle réglée par l'assemblée générale de leurs plénipotentiaires.

L'article troisième proposait que les puissances alliées renonçassent au droit de faire la guerre les unes contre les autres, et acceptassent la médiation et l'arbitrage de l'assemblée

1

<< Projet de traité conclu pour rendre la paix perpétuelle entre les souverains chrétiens, pour maintenir toujours le commerce entre les nations, et pour affermir davantage les maisons souveraines sur le trône, proposé autrefois par Henri-le-Grand, roi de France, agréé par la reine Élisabeth, par Jacques I et par la plupart des autres potentats de l'Europe.» (Utrecht, 1743, 3 Vol. in-4°.)

générale de la ligue pour terminer leurs différends mutuels, les trois quarts des votes étant nécessaires à une sentence définitive.

Les principaux souverains et états dont la ligue devait être composée étaient inscrits dans l'ordre suivant :

1o Le roi de France.

2o L'empereur d'Allemagne.

3o Le roi d'Espagne.

4° L'empereur et l'impératrice de Russie.

5o Le roi de Grande-Bretagne, électeur de Hanovre.
6o La république de Hollande.

7o Le roi de Danemark.

8° Le roi de Suède.

9o Le roi de Pologne, électeur de Saxe.

10o Le roi du Portugal.

11o Le souverain de Rome.

12o Le roi de Prusse, électeur de Brandebourg.

43° L'électeur de Bavière, et ses coétats.

14° L'électeur Palatin, et ses coétats.

15° Les Suisses et leurs coétats.

16o Les électeurs écclésiastiques, et leurs coétats.

17o La république de Venise et ses coétats.

18o Le roi de Naples.

19o Le roi de Sardaigne.

Chacune de ces dix-neuf puissances devait avoir un seul vote dans la diète européenne, et les autres princes et républiques devaient être associés avec le droit de donner un vote collectif, comme à l'assemblée de la confédération germanique actuelle. << Comme le grand-duc de Toscane peut faire présentement une voix de plus, il sera facile de le nommer comme vingtième puissance, mais toutes ces petites difficultés peuvent facilement se régler par provision à la pluralité des voix '.»

1 Abrégé du projet de paix perpétuelle, vol. I, p. 349, édit. de Rotterdam, 1738.

Le quatrième article proposait que si un des états alliés venait à refuser de se conformer aux règlements et jugements de la grande alliance, ou faisait des traités en contravention de ses actes, ou des préparatifs de guerre, l'alliance devait s'armer et agir offensivement contre la puissance récalcitrante, jusqu'à ce qu'elle fût réduite à l'obéissance.

Le cinquième article déclarait que l'assemblée générale des plénipotentiaires de l'alliance aurait le pouvoir de faire, à la pluralité des voix, toutes les lois nécessaires pour remplir le but de l'alliance; mais qu'aucun changement ne pourrait être fait dans les articles fondamentaux sans le consentement unanime des alliés.

La coincidence, presque textuelle, entre ces articles et ceux de l'acte fondamental de la confédération germanique, établie par le congrès de Vienne en 1815, est très-remarquable. Le cardinal Fleury, auquel l'abbé de Saint-Pierre avait communiqué son projet, lui répondit : «Vous avez oublié un article essentiel, celui d'envoyer des missionnaires pour toucher les cœurs des princes et les persuader d'entrer dans vos vues. » Mais le cardinal Dubois a fait de Saint-Pierre le plus grand éloge exprimé dans les termes les plus heureux, lorsqu'il appela ses idées « les rêves d'un homme de bien. »

$ 18. Extrait du

perpétuelle

Rousseau a publié, en 1761, un petit ouvrage sous le titre modeste d'Extrait du projet de paix perpétuelle de M. l'abbé projet de paix de Saint-Pierre, mais qui est marqué du sceau du génie par- par Rousseau. ticulier de son auteur comme spéculateur sur les problèmes de la science sociale 1.

'L'éditeur de cette brochure, M. de Bastide, dit : «Par la simplicité du titre, il paraîtra d'abord à bien des gens que M. Rousseau n'a ici que le mérite d'avoir fait un bon extrait. Qu'on ne s'y trompe point, l'analyste est ici créateur à bien des égards. J'ai senti qu'une partie du public pourrait s'y tromper, j'ai désiré un autre intitulé. M. Rousseau, plein d'un respect scrupuleux pour la vérité, et pour la mémoire d'un des plus vertueux citoyens qui aient jamais existé, m'a répondu : **** à l'égard du titre, je ne

Il commence en énonçant qu'un examen, même très-superficiel, des sociétés politiques comme elles sont actuellement constituées, suffira pour nous convaincre que la plupart de leurs imperfections viennent de la nécessité d'employer à la sûreté extérieure de chaque état, les soins et les ressources qui devraient être consacrés à son amélioration intérieure. Si les institutions sociales eussent été l'ouvrage de la raison, au lieu d'être celui de la passion et des préjugés, les hommes n'auraient pas tardé si longtemps à apercevoir que leur organisation actuelle crée des relations sociales entre les citoyens du même état, tandis qu'elle les laisse dans l'état naturel, quant à tous les autres membres de la même race. On n'a fait que prévenir les guerres civiles, en rendant les guerres étrangères inévitables : de cette manière on a rendu chaque société particulière, l'ennemie perpétuelle de toutes les autres sociétés.

S'il y a quelques moyens praticables pour obvier à ces maux, on doit les rechercher dans l'établissement des confédérations, par lesquelles les sociétés distinctes pourront être unies ensemble, comme les individus d'un état particulier sont à présent unis dans une seule société. Les anciens connaissaient familièrement ces formes d'associations politiques, qui combinaient la liberté et l'ordre intérieur des petites sociétés avec la sécurité extérieure des états puissants. Mais aucune des confédérations anciennes ne pourrait être comparée pour la sagesse avec celles de l'empire d'Allemagne, de la ligue Helvétique, et des Provinces - Unies de la Hollande. Les défauts qui adhéraient encore à ces institutions, prouvaient seulement que la science sociale était encore dans un état très-imparfait.

peux pas consentir à ce qu'il soit changé en un autre qui approprierait davantage un projet qui ne m'appartient point. Il est vrai que j'ai vu l'objet sous un autre point de vue que l'abbé de Saint-Pierre, et que j'ai quelquefois d'autres raisons que les sien

nes.

Rien n'empêche que vous ne puissiez, si vous voulez, en dire un mot dans l'avertissement, pourvu que le principal honneur en demeure toujours à cet homme respectable. »>

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