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§ 4.

Question de la succession bavaroise, 1778.

règne de Louis XV explique, mais ne justifie pas ce silence. On ne pouvait guère s'attendre à une opposition sérieuse de la part de l'Angleterre; et encore moins de la part d'autres puissances, pendant que la France était silencieuse; mais qu'aucune démonstration publique, qu'aucune remontrance énergique, qu'aucune protestation sérieuse, qu'aucune désapprobation n'ait suivi cet événement; ce sont là des symptomes évidents de décadence qui n'échapperont certainement pas aux historiens à venir 1.'»

1

Les états du centre de l'Europe continuèrent à jouir des bienfaits de la paix, par suite des traités conclus à Hubertsbourg en 1763, à l'exception de la courte guerre entre l'Autriche et la Prusse; amenée par la question de la succession de Bavière, en 1778. Cet événement fut terminé, l'année suivante, par la paix de Teschen, sous la médiation et les garanties de la France et de la Russie. Comme ce traité renouvelait et confirmait les traités de Westphalie, il devint le prétexte de l'intervention future de la Russie dans les affaires intérieures de l'Allemagne; quoique les publicistes allemands aient contesté ce droit, en disant que l'empire n'avait pas encore accédé au traité de Teschen au temps où la garantie de l'impératrice Catherine II fut donnée, et n'avait pas-demandé sa garantie et sa médiation.

L'empereur Joseph II ayant renouvelé ses desseins sur la Bavière en 1785, par l'échange proposé de la Belgique pour l'électorat, Frédéric II forma une ligue sous le nom de Fürstenbund, à laquelle les électeurs de Saxe, de Hesse et de Hanovre, ainsi que plusieurs autres états allemands, accédèrent, pour la garantie de la constitution de l'empire. Cette ligue aurait pu effectuer une révolution complète dans les affaires intérieures de l'Allemagne, si elle n'avait pas été balan

1 GENZ, Fragmente aus der neuesten Geschichte des politischen Gleichgewichts in Europa, Schriften, Band IV, §§.51–59.

cée par les événements plus importants et plus graves de la révolution française 1.

§ 5. Question de la libre navigation de

-L'empereur Joseph II, repoussé dans ses desseins sur la succession bavaroise, donna une autre direction à sa politique et à son activité inquiète. Le traité de Westphalie, en 1648, par l'Escaut, 1781. lequel l'indépendance des Provinces-Unies fut reconnue par l'Espagne, contenait une stipulation suivant laquelle l'embou→ chure de l'Escaut, principal passage pour le commerce des provinces catholiques encore sous le gouvernement espagnol, devait toujours rester fermée du côté des Provinces - Unies, propriétaires des deux rives jusqu'à la mer. Il fut encore stipulé que les Espagnols continueraient de jouir de leur navigation, dans les mers indiennes, telle qu'elle était, avec le pouvoir de l'étendre, et qué les habitants des Provinces-Unies s'abstiendraient de fréquenter les endroits occupés par l'Espagne dans les Indės orientales. Quand les provinces catholiques des Pays-Bas furent cédées à la branche allemande de la maison d'Autriche, par le traité d'Utrecht en 1713, elles furent soumises à une servitude militaire dans le but de protéger les Provinces-Unies du danger de l'invasion de la part de la France. Il fut stipulé, par le traité de barrière signé à Anvers le 15 novembre 1745, entre l'Autriche, la GrandeBretagne et la Hollande, que Namur, Tournay, Menin, Furnes, Ypres, et certaines autres villes de la barrière, seraient fortifiées et qu'on y mettrait des garnisons hollandaises.

Joseph II déclara, en 1781, que la barrière n'était plus nécessaire pour la sécurité de la Hollande, depuis l'alliance entre l'Autriche et la France; et pour se débarrasser de la servitude commerciale à laquelle était soumise la Belgique, en faveur de la Hollande, et qui fut presque fatale à la prospérité des provinces autrichiennes, il avança, en 1784, quelques récla

1 SCHOELL, Histoire abrégée des traités de paix, ch. 19 §§ 1, 2. CH. DE MARTENS, Nouvelles causes célèbres du droit des gens, tome I; pp. 210-469.

mations surannées contre la république. Ces réclamations ayant été repoussées par les États-Généraux, il déclara qu'il 'les abandonnerait toutes, s'ils voulaient consentir à ouvrir la navigation de l'Escaut. à ses sujets, et leur permettre de faire le commerce direct entre les Indes orientales et le port d'Ostende. Les Hollandais demandèrent l'intervention de la Grande-Bretagne et de la France. Le gouvernement anglais refusa sa médiation, mais la France offrit la sienne, qui fut acceptée par l'empereur. Dans la déclaration rédigée par le comte de Vergennes, à cette occasion, il fut dit que les Hollandais, en résistant à la demande de l'empereur pour l'ouverture de l'Escaut, ne firent que maintenir un droit dont ils avaient joui sans interruption pendant un siècle et demi, qui leur était assuré par un traité sacré, et qu'ils regardaient comme la base de leur prospérité et même comme essentielle à leur existence.

Une transaction fut enfin accomplie par le traité de Fontainebleau, le 8 novembre 1785, sous la médiation et la garantie de la France, par laquelle les stipulations du traité de Westphalie furent confirmées, les traités de barrière annulés, et il fut arrêté que l'Escaut, de Saftingen jusqu'à la mer (dont la souveraineté exclusive continuerait à appartenir aux ÉtatsGénéraux), serait fermée de leur côté, ainsi que les canaux de Sas, de Swin et les autres bouches de la mer qui s'y terminaient, conformément au traité de Munster. En retour de ces concessions, les Hollandais accédèrent. à plusieurs demandes de l'empereur, et convinrent de de dix millions de florins.

payer une indemnité

Cet arrangement fut immédiatement suivi d'un traité d'alliance entre la France et la Hollande, conclu à Fontainebleau le 10 novembre 1785 1.

1 SCHOELL, Histoire abrégée des traités de paix, vol. IV, pp. 59–89. FLASSAN. Histoire de la diplomatie française, vol. VII, pp. 399, 400. Dans la question de la libre navigation de l'Escaut, la cause de

Cette alliance était l'ouvrage du parti patriotique hollandais, ou anti-orangiste.

Le stathoudérat avait été établi en 1749,. en faveur de

l'empereur fut maintenue par Linguet (Annales politiques, No 88 et 89), tandis que celle de la Hollande füt défendue par Mirabeau, dans ses Doutes sur la liberté de l'Escaut. Dans cet ouvrage il appuie les réclamations de la Hollande sur les bases du droit conventionnel positif. «La souveraineté de ce fleuve lui a été garantie par toutes les conventions qui assurent l'existence politique de l'Europe. C'est à cette condition que les Hollandais renoncèrent aux Pays-Bas autrichiens, qu'ils possédaient depuis cent trentecinq ans. La France et l'Angleterre leur ont garanti les avantages de cette navigation, exclusivement et sans concurrence. Si, pour renverser des traités, positifs, on veut aujourd'hui se prévaloir du droit naturel, pourquoi toutes les puissances de l'Europe ne se reprendaient-elles pas mutuellement les provinces conquises, cédées, ou transmises par héritage? L'ordre sociale, dit Rousseau, est un droit sacré qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature; il est donc fondé sur des conventions. Les conventions sont donc la base de tous les droits. Faudra-t-il désormais les violer toutes, détruire tous les établissements politiques, saper toutes les autorités, et porter le trouble dans chaque état, sous le prétexte d'y ramener les principes du droit naturel, dont on s'est écarté, ou plutôt qu'on a violés partout? Comme la tranquillité des peuples est aussi un objet essentiel; comme le bonheur général dépend moins de quelques améliorations que de la jouissance paisible de ce qu'on possède; comme la république de Henri IV, ou la diète de l'abbé de SaintPierre ne sont pas encore établies, je soutiendrai, sans remords, contre un prétendu droit naturel, que la réclamation de l'empereur est injuste, et que les autres puissances doivent l'empêcher de porter plus loin ses entreprises. »

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Il ne faut pas conclure de ce passage que Mirabeau fût absolument opposé à la libre navigation de l'Escaut. Au contraire, il essaie de montrer dans sa quatrième lettre comment elle pourrait être ouverte sans danger à la Hollande et à l'Europe, savoir par l'indépendance de la Belgique, constituée sous forme d'une république fédérative, dans laquelle les Provinces-Unies trouveraient une alliée pacifique, et une barrière neutre plus efficace que la barrière militaire qu'elles avaient maintenue avec la perte de tant de sang et de tant d'or. (Oeuvres DE MIRABEAU, vol. V, pp. 346 427, édit. 1824.)

§ 6. Intervention

de la Prusse

dans les

affaires de la

Hollande, 1788.

Guillaume IV, de la branche cadette de la maison d'Orange. Le parti victorieux fut protégé par l'Angleterre, pendant que leurs antagonistes s'appuyaient sur la France. Les conseils de la république furent divisés par ces factions, jusqu'à ce que le parti patriotique obtint le dessus sous Guillaume IV, qui avait épousé une princesse de Prusse, la sœur de FrédéricGillauume II. La province de Hollande suspendit, en 1786, le stathouder de ses fonctions comme capitaine-général, en alléguant contre lui un abus d'autorité. Les cours de Versailles et de Berlin tentèrent en vain de négocier une transaction entre les deux parties. La princesse d'Orange, qui était en route pour la Haye, dans l'intention de soutenir par sa présence le parti du stathouder, fut arrêtée par les troupes de la Hollande, stationnées sur les frontières de cette - province. Frédéric-Gillaume II demanda satisfaction de l'insulte faite à sa sœur, ce qui lui fut refusé par les États- Généraux, qui comptaient sur le soutien de la France. Une armée prussienne, commandée par le duc de Brunswick, entra en Hollande, au mois de septembre 1787; la nation hollandaise, bouleversée par des factions, était incapable d'opposer aucune résistance effective, et le stathouder fut rétabli dans la plénitude de son autorité par la force étrangère. Le cabinet français avait déclaré à la cour de Londres, le 16 septembre, qu'il ne souffrirait pas l'intervention armée de la Prusse dans les affaires de la Hollande. Le gouvernement anglais répliqua, en annonçant son intention de soutenir le stathouder. Cette menace faite au cabinet français lui fit cesser ses armements, et des déclarations pacifiques furent échangées entre les deux gouvernements. La révolution en Hollande, en faveur de la maison d'Orange, fut donc consommée par une intervention militaire, justement regardée comme fatale à la considération politique de la France en Europe, et comme étant en opposition directe avec les vrais principes du droit international; puisqu'on ne pouvait prétendre que la sécurité des états

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