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aux desseins du cabinet anglais; mais le dernier fournit à son ambassadeur les moyens de se ménager une conférence secrète avec l'impératrice, qui consentit à offrir sa médiation armée dans la guerre entre l'Angleterre d'un côté, et la France, l'Espagne et les États-Unis de l'autre, comme équivalent à la permission laissée à la Russie de poursuivre ses desseins sur l'empire ottoman. Mais les intentions de l'impératrice se trouvaient traversées par Panin, qui essayait de la convaincre que les véritables intérêts de la Russie ne gagneraient rien par cette alliance; et une réponse officielle fut rendue par laquelle on rejetait les ouvertures du ministre anglais. Harris fut fort déconcerté de ce résultat inattendu; mais il reçut de la part de Potemkin, au nom de l'impératrice, des assurances de bonne volonté, et l'expression de son espoir que les circonstances lui permettraient bientôt d'adapter sa conduite à sa volonté.

Un incident, qui eut lieu à cette époque, sembla favoriser les désirs du ministre anglais. Deux vaisseaux russes, chargés de blé, naviguant sur la Méditerranée, furent saisis par des croiseurs espagnols, sous prétexte qu'ils étaient destinés à approvisionner la forteresse de Gibraltar. L'impératrice demanda immédiatement satisfaction à la cour d'Espagne, et se laissa persuader par Potemkin d'ordonner, sans consulter Panin, l'équipement d'une flotte à Cronstadt, destinée à coopérer avec l'Angleterre contre l'Espagne en cas qu'on refusât le dédommagement demandé. L'équipement de la flotte ne pouvait longtemps être caché à Panin, et il ne douta pas de sa destination. Mais il résolut d'exécuter ses propres desseins en paraissant avancer ceux de ses rivaux. Loin de paraître s'opposer aux volontés de l'impératrice, il déclara qu'il partageait son indignation contre la conduite de l'Espagne, et donna son approbation à sa détermination de demander satisfaction de l'injure faite à la navigation neutre de ses sujets engagés dans un commerce légal; qu'il irait même plus loin, qu'il con

seillerait à sa souveraine de saisir l'occasion d'annoncer solennellement à l'Europe entière qu'elle ne permettrait pas que les guerres entre d'autres puissances entravassent le commerce de la Russie. Il lui fit voir qu'une pareille mesure lui assurerait l'amitié et la coopération de toutes les puissances neutres, et forcerait l'Espagne à donner pleine satisfaction de l'injure qu'elle avait faite. Les vrais principes de neutralité sanctionnés par la loi naturelle des nations avaient été jusqu'alors trop peu respectés en pratique. Ils demandaient l'aide d'un souverain qui unissait un pouvoir suffisant à la sagesse et à la bienveillance nécessaires pour les faire respecter. Ces qualités se trouvaient réunies dans l'impératrice Catherine, et lui donnaient une nouvelle occasion d'acquérir de nouveaux titres à la gloire, de devenir le législateur des mers, d'empêcher les excès de la guerre maritime, et de donner au commerce paisible des nations neutres la sécurité dont elles n'avaient jamais joui.

L'impératrice fut complètement séduite par ces représentations si flatteuses à son orgueil et à son ambition. Elle ordonna à Panin de préparer un rapport des principes qu'il avait développés, pour être communiqué aux puissances belligérantes, comme règles à observer pour la sécurité de la navigation et du commerce russe, et aux états neutres, comme bases d'une ligue à former entre eux pour la protection des droits neutres 1.

1 VON DOнм, Denkwürdigkeiten meiner Zeit, Theil II, S. 100-150. Mémoire sur la neutralité armée par M. le comte de Goertz, Bâle 1804, Paris, 1804.

Ce rapport de l'histoire de la neutralité armée, donné par le comte de Goertz, se trouve confirmé par ce que l'impératrice Marie-Thérèse disait au baron de Breteuil, ministre de France : «ll n'y a pas (lui dit-elle à l'occasion de la neutralité armée), il n'y a pas jusqu'à ses vues les plus mal combinées qui ne tournent à son profit et à sa gloire; car vous savez sans doute que la déclaration qu'elle vient de faire pour sa neutralité maritime, avait

$ 15. Principes de

armée.

Dans la déclaration de l'impératrice de Russie, rédigée le 26 février 1780, et communiquée aux cours de Londres, de la neutralité Versailles et de Madrid, ces règles sont posées de la manière suivante :

1° Que tous les vaisseaux neutres pourront naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre;

2o Que les marchandises appartenant aux sujets des puissances belligérantes seront libres dans des vaisseaux neutres, excepté les articles de contrebande;

3o Que l'impératrice, quant à la spécification des marchandises ci-dessus mentionnées, s'en tient à ce qui est dit dans les 10 et 14e articles de son traité de commerce avec la Grande-Bretagne, étendant ces obligations à toutes les puissances en guerre1;

4° Que pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accordera cette dénomination qu'à celui où, par la disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, il y a un danger évident d'entrer 2.

Telle était l'origine de la première neutralité armée de 1780.

d'abord été arrêtée dans des termes et dans des vues absolument favorables à l'Angleterre. Cet ouvrage avait été fait par la seule influence de M. le prince de Potemkin, et à l'insu de M. le comte de Panin; et cette déclaration inspirée par l'Angleterre était au moment de paraître, lorsque M. de Panin, qui en avait été instruit, trouva moyen de la faire entièrement changer, et de la tourner absolument en votre faveur.» (FLASSAN, Histoire de la diplomatie française, vol. VII, p. 272, note.)

1 Le traité d'amitié et de commerce de 1766, entre la GrandeBretagne et la Russie, art. 10, restreint la contrebande aux munitions de guerre; et l'art. 14 définit celles-ci comme consistant en canons, mortiers, armes à feu, mêches, poudre, salpêtre, souffre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, poches à cartouches, selles et brides, au-delà de la quantité qui peut être nécessaire pour l'usage des vaisseaux, etc. (MARTENS, Recueil, vol. I, p. 395.)

2 Annual Register, année 1780, p. 347. SCHOELL, vol. IV, p. 37.

Réponse de la Grande-Bretagne.

Elle ne prit pas sa source dans des vues bienfaisantes et libérales de progrès dans le droit maritime des nations, sanctionnée jusqu'alors par la pratique générale. C'était le résultat fortuit d'une intrigue de cour, et de la rivalité entre deux candidats pour la faveur d'une femme ambitieuse, orgueilleuse et dissolue. Catherine elle-même se faisait une idée très-imparfaite de la grande importance des mesures qu'elle venait d'adopter et des effets qu'elles pouvaient produire. Elle connaissait si peu le commerce, qu'elle se flattait d'avoir vengé son honneur, et en même temps d'avoir montré son amitié pour l'Angleterre. Panin n'eut garde de la détromper, et craignant que son intrigue ne vînt à échouer, il la supplia de ne communiquer avec personne avant que la déclaration ne fût partie. Elle ne put cependant s'empêcher de dire à l'ambassadeur anglais, en confidence, que les belligérants recevraient bientôt, en son nom, un manifeste qui serait complètement satisfaisant pour le gouvernement anglais, et elle lui permit même de communiquer ceci à sa cour. La communication qu'il fit en conséquence augmenta ses espérances, et les nourrit au plus haut degré, et son attente fut trompée en proportion quand elle apprit la vraie nature des mesures prises par le cabinet russe.

Le gouvernement anglais cacha son ressentiment, et répliqua avec une froide dignité à la déclaration russe, que Sa Majesté avait jusqu'alors agi envers des pouvoirs neutres, conformément aux principes les plus clairs, généralement reconnus comme le droit des nations où il ne subsistait aucun traité, et conformément avec ses différents engagements avec d'audes tres puissances, où cette loi primitive avait été altérée par stipulations mutuelles proportionnées à la volonté et au bienêtre des parties contractantes; et que, étant fortement uni à Sa Majesté l'impératrice de toutes les Russies, par les liens d'amitié réciproque et d'intérêt commun, le roi avait donné, dès le commencement de ces troubles, les ordres les plus précis

à l'égard du pavillon de Sa Majesté Impériale et du commerce de ses sujets, conformément aux droits des gens et le contenu des engagements stipulés par son traité de commerce avec elle, et auquel il adhérerait avec la plus scrupuleuse exactitude 1.

l'Espagne.

La cour d'Espagne répondit à la déclaration russe, en ex- Réponse de primant son intention de respecter le pavillon de toutes les puissances qui avaient consenti ou qui consentiraient à la défendre, jusqu'à ce que Sa Majesté catholique sût quel parti prendrait l'Angleterre, et si sa marine et ses croiseurs se tiendraient dans les bornes de la modération; et pour montrer à toutes les puissances neutres combien Sa Majesté désirait observer en temps de guerre les mêmes règles dont elle avait réclamé l'observance quand elle était neutre, elle se conformerait à celles proposées par la Russie, «bien entendu cependant qu'à l'égard du blocus de Gibraltar, le danger de l'entrée subsiste comme il est déterminé par l'article 4 de ladite déclaration 2. »

La cour de France répondit que les règlements proposés par la Russie, n'étaient autre que ceux déjà prescrits à la marine française, et dont l'exécution était maintenue avec une exactitude reconnue à la satisfaction de toute l'Europe.

La réponse du cabinet français conclut ainsi :

«La liberté des bâtiments neutres, restreinte dans un petit nombre de cas seulement, est une conséquence directe du droit naturel, la sauvegarde des nations, le soulagement même de celles que le fléau de la guerre afflige. Aussi le roi a-t-il désiré procurer, non-seulement aux sujets de l'impératrice de Russie, mais à tous les états qui ont embrassé la neutralité, la liberté de naviguer aux mêmes conditions qui sont

1

Réponse de la Grande-Bretagne, le 23 avril 1780, à la déclaration de l'impératrice de Russie. (Annual Register, 1780, p. 349.) 2 Réponse du roi d'Espagne, signée par le comte Florida Blanca, le 18 avril 1780. (MARTENS, Recueil, vol. III, p. 461, édit. 1848.)

Réponse de la France.

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