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d'autoriser une guerre contre une autre nation, au moyen d'une déclaration solennelle 1.

Gentilis.

Brunus dit que de son temps le respect dû au caractère Albericus sacré des ambassadeurs avait souvent été violé. Selon lui, il ne peut y avoir de doute sur leur exemption de toute poursuite devant les tribunaux, comme de tout droit et impôt levé

dans le pays 2.

Alberico Gentili, appelé Albericus Gentilis, selon l'usage de latiniser les noms propres, naquit dans la marche d'Ancône dans le milieu du 16° siècle, d'une famille ancienne et illustre. Son père avait embrassé le protestantisme, et fut par suite obligé de quitter l'Italie et de se réfugier en Allemagne avec sa famille. Il envoya son fils Alberico en Angleterre, où il trouva non-seulement une entière liberté de conscience, mais où il fut reçu avec faveur et nommé professeur de jurisprudence à l'université d'Oxford. Il ne s'occupa pas seulement du droit romain, regardé alors comme le seul système de jurisprudence digne d'être enseigné d'une manière scientifique, mais il s'adonna à l'étude du droit naturel et du droit international. Son attention fut surtout attirée vers le dernier sujet, parce qu'il fut nommé avocat pour les Espagnols devant les cours de prises de l'Angleterre. Le résultat de ses travaux dans cette partie du droit public fut publié par lui, et cette collection peut être considérée comme le premier recueil des arrêts sur le droit des gens maritime qui ait paru en Europe3. Mais ses travaux plus scientifiques donnèrent naissance à un des premiers traités complets sur les droits de la guerre, De jure belli, publié en 1589, et dédié au comte d'Essex, qui l'avait aidé à obtenir la place de professeur à Oxford. Grotius reconnaît lui-même qu'il doit beaucoup à Gentili, et il est

1 CIC., De off., Lib. III, cap. 8.

2 IBID., Ibid., Lib. IV, cap. 5.

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3 De Advocatione Hispanicæ. Hanov. 1613.

évident par les titres mêmes de ses chapitres, qui sont presque identiques avec le premier et le troisième livre de Grotius, qu'il a été d'une grande utilité à ce publiciste '. Lampredi, juge compétent en pareille matière, revendique pour son compatriote l'honneur d'être regardé comme le père de la science moderne du droit public. «Il fut le premier, dit-il, à expliquer les >> lois de la paix et de la guerre, et par là suggéra probable>> ment à Grotius l'idée de son ouvrage sur ce sujet : il mérite >> la reconnaissance publique pour avoir contribué à aug>> menter la gloire de l'Italie, sa patrie, qui lui fournit la >> connaissance du droit romain, et pour avoir montré qu'elle » fut la première à enseigner le droit naturel comme elle >> avait été la première à restaurer et à protéger les arts et >> les lettres. >>

Gentili publia aussi en 1583 un traité sur les ambassades, De legationibus, qu'il dédia à son ami et protecteur l'illustre sir Philippe Sydney. Le premier livre de cet ouvrage contient une déduction historique au sujet de l'origine des différentes sortes d'ambassades et les cérémonies que l'ancien droit fécial des Romains y rattachait. Le second livre traite plus spécialement des droits et des immunités des ministres publics. Il examine la question de savoir s'ils ont un caractère privilégié hors des états auprès desquels ils ne sont pas accrédités. Il décide que strictement ils n'en ont point; mais on doit considérer que des ambassadeurs sont des ministres de paix représentant les personnes de leurs souverains, chargés des affaires de l'état et considérés partout comme revêtus d'un caractère sacré et inviolable. On ne doit donc pas leur refuser un libre passage, et encore moins leur opposer de la résistance lorsqu'ils passent sur le territoire d'un état autre que celui auprès duquel ils sont accrédités. Les droits de léga

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1 HALLAM'S Introduction to the Literature of Europe, vol. II, p. 154. 2 GENTILIS, De legationibus, Lib. II, cap. 3.

tion ne s'étendent pas aux pirates et aux rebelles. De telles associations ne sauraient constituer un état. Ce ne sont pas des ennemis publics'. Le cas d'une guerre civile est plus difficile, car alors chaque parti veut être considéré comme l'état, et chaque parti traite son adversaire comme s'il était coupable d'une résistance illicite. Aussi n'est-ce que dans le cas où les deux partis sont assez égaux en force pour qu'ils aient intérêt à se regarder mutuellement comme des ennemis publics, que la question peut se décider 2. Mais quel que puisse être l'effet des dissensions politiques, les différences de religion ne peuvent priver des droits de légation. On peut se traiter de part et d'autre d'hérétiques et de schismatiques; on n'on est pas moins soumis aux lois publiques 3. Les immunités de l'ambassadeur s'étendent aussi à sa suite, à ses biens, et à sa demeure *. Mais Gentili prétend, en revanche, que l'ambassadeur est soumis à la juridiction ordinaire des tribunaux civils de l'endroit qu'il habite pour ce qui regarde des contrats faits pendant la durée de sa mission 5. Cette singulière opinion, qui n'est confirmée par aucun autre écrivain sur le droit public, est probablement fondée sur une fausse interprétation des lois romaines au sujet du legatus, qui représentait une province ou une ville à Rome même, ou bien du legatus envoyé de Rome dans les provinces, et qui était naturellement, comme sujet romain, soumis aux tribunaux du lieu qu'il habitait passagèrement, et où le contrat aurait été fait. - Cependant il soutient qu'un ambassadeur ne peut pas être puni d'un crime commis par lui dans le lieu qu'il habite, mais

1 GENTILIS, De legationibus, Lib. II, cap. 7, 8.

2 IBID., Ibid., Lib. II, cap. 9.

3 IBID., Ibid., Lib. II, cap. 14.

4 IBID., Ibid., Lib. II, cap. 45.

5 IBID., Ibid., Lib. II, cap 16, 17.

Machiavel

qu'il doit être renvoyé du pays, dans le cas même où il aurait conspiré contre le gouvernement '.

Le livre troisième s'occupe presque exclusivement des qualités d'un ambassadeur. Selon Gentili ces qualités sont aussi nombreuses que celles que Cicéron exige pour former un orateur parfait. Outre les dons de la nature, et une aptitude très-grande pour cette carrière, Gentili exige qu'un ambassadeur soit éloquent, qu'il ait une connaissance étendue de l'histoire et de la philosophie politique, qu'il ait de la dignité dans les manières, qu'il réunisse la prudence à la fermeté, et qu'il s'attache scrupuleusement à la vérité et à la justice, en un mot qu'il ait toutes les qualités et toutes les vertus que possédait, selon lui, son protecteur sir Philippe Sydney.

Dans cette partie de son ouvrage, Gentili défend la tendance morale du Prince de Machiavel, que l'on considère ordinairement comme une sorte de manuel de tyrannie. Selon lui cet ouvrage ne serait qu'une satire des vices des princes, et une exposition pleine et entière des artifices des tyrans; et Machiavel, admirateur presque fanatique des républicains et des régicides de l'antiquité, ne l'aurait écrit que comme avertissement au peuple, dont il avait toujours activement pris la défense 2. Cependant le but de Machiavel en écrivant son livre peut être expliqué plus naturellement et d'une manière plus satisfaisante, si l'on considère que le système moderne de l'équilibre des puissances a été développé et mis en pratique par les états d'Italie à la fin du moyen âge, d'abord pour se maintenir les uns vis-à-vis des autres, et ensuite pour les unir contre les envahissements des barbares transalpins. Telle fut la politique de la république de Florence sous Cosme et Laurent de Médicis, et tel fut le but de Machiavel lorsqu'il dédia son ouvrage à l'instruction du jeune prince Laurent, fils de

1 GENTILIS, De legationibns, Lib. II, cap. 18.
2 IBID., Ibid., Lib. III, cap. 9.

Pierre de Médicis. Malheureusement ce publiciste, en séparant la politique de la morale, a voulu se servir, pour délivrer sa belle patrie du joug étranger, de tous les moyens qui n'étaient déjà que trop familiers aux tyrans domestiques de l'Italie. Les remèdes violents qu'il a voulu appliquer à ces maux étaient des poisons, et son livre est devenu ensuite le manuel du despotisme où Philippe II et Catherine de Médicis ont puisé leurs détestables maximes politiques. Mais on ne saurait impunément séparer la politique de la morale. Il n'y a qu'une vérité, et on ne peut lui en opposer une autre. Une saine politique ne peut vouloir faire ce qui est prohibé par le droit des gens fondé sur les principes de la justice éternelle; et d'un autre côté, le droit des gens ne doit pas prohiber ce qu'une saine politique juge nécessaire pour la sécurité d'une nation. On peut citer à l'appui de cette maxime les paroles de Burke : <«La justice est la grande politique perpétuelle de la société >> humaine, et chaque dérogation notable à ses principes, dans >> quelque circonstance que ce soit, est fondée sur ce préjugé, » qu'il n'existerait aucune politique au monde '. >>>

Mais quel qu'ait été le but de Machiavel en écrivant ce Hugo Grotius célèbre ouvrage, il est certain qu'il trace un sombre tableau de la société et du droit public en Europe au seizième siècle; ce n'était plus qu'un amas de corruption, de dissimulation et de crimes, qui réclamaient hautement un réformateur capable de parler aux rois et aux peuples le langage de la vérité et de la justice, et de mettre ainsi un terme à ce fléau moral. Ce réformateur parut: ce fut Hugo Grotius, qui naquit vers la fin de ce siècle, et se fit surtout remarquer pendant le commencement du siècle suivant. Cette époque si fertile en grands hommes n'en a pourtant pas produit de plus illustre par le génie, par la variété de ses connaissances, et par l'influence de ses travaux sur les opinions et la conduite de ses contempo

1 BURKE'S Works. Vol. III, p. 207.

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