Page images
PDF
EPUB

de pays étaient quelquefois occupées par eux, comme l'étaient encore tout récemment les côtes barbaresques, et la nécessité de mettre fin à ces désordres avait decidé plusieurs villes de la Méditerranée à former des coalitions, comme il s'en forma dans la Baltique pour atteindre le même but 1. Tant que les mers étaient couvertes de pirates, un navire marchand ne pouvait guère hasarder seul un long voyage, quelque armé qu'il fût. On s'associa pour naviguer de conserve; on choisit un chef appelé dans la suite amiral 2; on convint du partage du butin qu'on ferait en se défendant contre les pirates et les ennemis. Ces associations ne se bornèrent pas toujours à la défensive; on s'associa de même dans le dessein principal de nuire à l'ennemi et aux pirates, sans s'embarrasser de donner une forme légale à ces expéditions 3. Dans un temps où les gouvernements n'entretenaient pas des forces maritimes permanentes, où les vaisseaux employés à leurs expéditions navales étaient requis, loués ou achetés pour le besoin du moment, il était assez naturel que, dès que la guerre se manifestait, chaque état appelât ses sujets à son secours en les constituant auxiliaires de ses armées navales *. On en a vu plusieurs exemples dans l'histoire des guerres des républiques d'Italie entre elles ou contre l'empire d'Orient; les luttes longues et sanglantes qui subsistaient presque sans interruption entre la France et l'Angleterre, en fournissent de nombreux.

3

Lorsque les griefs d'un état contre un autre n'étaient pas de nature à faire éclater la guerre, on avait recours à un autre droit qui n'était encore qu'un genre de guerre privée. Celui

1 RAUMER, Geschichte der Hohenstauffen, V. Bd., S. 446.

2 Le mot amiral a été emprunté des Arabes qui appellent Amir ou Emir les chefs de leurs forces militaires et surtout maritimes. (DUCANGE, Gloss. voc. Amiralius.)

3 MARTENS, Prises et reprises, ch. I, § 3.

4 DUCANGE, voc. Marcha.

Lettres de marque et de

qui se prétendait lesé par un habitant d'un autre pays, obtenait des magistrats de son pays l'autorisation de saisir partout où il pourrait des propriétés appartenant à l'un des sujets de l'état auquel l'agresseur appartenait. La plupart des statuts municipaux des treizième et quatorzième siècles attestent cet usage. Cette loi de représailles n'était pas seulement établie dans les villes maritimes : elle existait dans les villes intérieures de l'Italie et de l'Allemagne. Si, par exemple, un citoyen de Modène était pillé par un Bolonais, il portait plainte aux magistrats de sa ville, qui demandaient justice des magistrats de Bologne. Si cette demande n'était pas accueillie, on donnait au plaignant des lettres de représailles pour ravager le territoire de Bologne jusqu'à ce qu'il eût obtenu par la vente du butin une pleine et entière indemnité 1. Des traités fixaient souvent un délai pour faire droit aux réclamants, afin de prévenir de trop promptes représailles 2. Déjà dans une multitude de traités de paix et de trêves du treizième siècle, on avait stipulé que les sujets des deux parties ne pourraient exercer des représailles qu'après s'être adressés aux conservateurs de paix établis à cet effet, et après avoir vainement attendu d'eux le redressement de leurs griefs dans un terme fixe. Au quatorzième siècle, on commença à les obliger d'obtenir préalablement des conservateurs une permission moyennant des lettres de représailles et de marque.

Les lettres de représailles donnaient le droit de s'emparer des représailles. biens étrangers dans l'enceinte de la juridiction du souverain qui les accordait. Les lettres de marque (du vieux mot marche qui signifie limite) autorisaient à les saisir hors des limites du territoire. On a cependant confondu dans la suite ces deux expressions, et on s'en sert aujourd'hui indistinctement pour désigner l'un et l'autre.

D'abord en France on commença à conférer aux gouver

1 MURATORI, Dissert. 53.

2 PARDESSUS, tome Il, Introduction, pp. CXX-CXXI.

neurs des provinces et aux parlements le droit d'accorder les lettres de marque et de représailles. Ensuite les États du royaume assemblés à Tours, ayant fait des représentations = au roi sur la nécessité d'user de grandes précautions à cet égard, Charles VIII, par un édit de 1485, réserva au roi seul le droit d'accorder des lettres de représailles, « qui ne pouvaient, >> disaient les États-Généraux, être baillées sans grand avis >> et cognoissance de cause, et sans les solennités de droit en >>> tel cas requises.» En Angleterre, déjà la grande charte de l'an 1215 assurait aux marchands étrangers la liberté de l'entrée, du séjour et de la sortie du royaume, en n'exceptant que le seul cas d'une guerre déclarée. Un acte du parlement de l'an 1353 porte que les biens d'un marchand étranger ne seront pas saisis pour les crimes ou dettes d'un autre, si ce n'est dans le cas où quelques seigneurs étrangers, après avoir causé dommage aux sujets anglais, se refusent à donner satisfaction après en avoir été duement requis; «le roi ayant le >> droit de marque et représailles, comme il a été usité par le » passé. » Le même recours au souverain avant d'exercer des représailles était stipulé dans un grand nombre de traités de la même époque '.

On trouve des diplômes déjà du douzième siècle, où il est question du droit de marche 2; mais là, ce droit ne signifie que la faculté de saisir d'autorité privée les biens de ceux contre lesquels on avait des griefs, et même leurs personnes. On trouve d'autres exemples, à la fin du treizième siècle, de sujets sollicitant auprès du souverain des lettres de marque 3. Mais il semble que ce ne fut qu'au quatorzième siècle que se forma l'usage de considérer comme nécessaire l'obligation d'être muni de telles lettres de marque; aussi ne fut-ce qu'à

1

2

MARTENS, Prises et reprises, ch. I, § 4.

Voyez le diplôme de 1152, cf. DU CANGE, Voc. MARCHA.

3 C'est ainsi que le roi Édouard Ier d'Angleterre dit dans une lettre

de 1205 «Bernardus nobis supplicavit ut nos sibi licentiam mar

cette époque qu'on en fit mention dans les traités. C'est ainsi que dans une ordonnance de Philippe-le-Bel de 1313, qui se rapporte au traité avec le roi d'Aragon, il est dit qu'avant d'en venir au droit de marque, la réquisition à l'amiable devra précéder, et qu'il sera nécessaire : ut de requisiti in reddenda justitia defecta constet illi qui marcham indicere voluerit per litteras regias vel alia publica instrumenta, antequam ad dictam marcham faciendam procedat. Dans un acte publié par Rymer, Édouard III d'Angleterre fait des remontrances contre des lettres de marque accordées par le roi d'Aragon å un nommé Bérenger de la Tone, qui avait été pillé par un corsaire anglais, disant que puisque le roi d'Angleterre avait toujours été prêt à rendre justice au plaignant, il lui paraissait, ainsi qu'aux hommes sages et savants qu'il avait consultés, qu'il n'y avait pas lieu à accorder des lettres de marque ou de représailles contre ses biens ou contre ceux de ses sujets 2.

Le droit de répresailles était un reste de l'ancien Fehderecht, et il pouvait être exercé non-seulement dans le cas d'injure faite à la personne ou à la propriété d'un sujet étranger, mais aussi pour obliger au payement d'une dette. Dans quelques pays on avait poussé les conséquences de ce

>> candi homines et subditos de regno Portugalliæ et bona eorum >>> invenire posset, concederemur, quousque de sibi abbatis inte» gram habuisset restitutionem.» (PRYMER, Fœdera, tom. II, p. 692.) Dans le traité de trêve entre la France et l'Angleterre du 7 mai 1360, il est question de faire cesser les représailles, marques et contreprises. (DUMONT, tom. II, P. I, p. 46.) Voyez aussi la lettre du roi de France au roi d'Aragon de 1396. (DU CANGE, 1. c.) 1 MARTENS, Prises et reprises, ch. I, § 4.

2 << Videntur sapientibus et peritis, quod causa de jure, non sub>> fuit marcham seu reprisaliam in nostris, seu subditorum nostro>>rum bonis concedendi. » M. HALLAM remarque que ce passage est curieux, puisqu'il reconnaît l'existence d'un droit des gens coutumier dont la connaisance était déjà devenue une sorte de science. (Middle ages, vol, II, ch. IX, 61, 2, p, 247.)

= principe jusqu'à rendre tous les commerçants d'un état solidaires des dettes de leurs compatriotes 1.

Guidon

Une distance de plusieurs siècles sépare le temps où a été de la mer. rédigé le Consulat de la mer et celui de la rédaction du Guidon de la mer. A cette dernière époque, les principes du droit maritime privé, tels qu'on l'observe maintenant, étaient fixés. Le rédacteur du Guidon de la mer conçut et exécuta habilement le projet de réunir en un corps de doctrines ce qu'il avait appris par son expérience et ses études. Il s'occupa principalement du contrat d'assurance, dont l'usage, beaucoup plus moderne que celui des autres contrats maritimes, méritait effectivement une attention spéciale. Cependant ce contrat n'est pas le seul objet dont se soit occupé le rédacteur : il parle de presque tous les contrats maritimes. Les chapitres VI et XI traitent des prises et des rachats, et le chapitre X des représailles et des lettres de marque.

M. Pard essus suppose que le Guidon de la mer a été rédigé en France vers la fin du seizième siècle. Le nom du rédacteur est inconnu; ce qui est incontestable, c'est qu'il a été composé par un particulier. Il ne doit pas être considéré comme une loi positive, ou même comme une coutume rédigée avec l'intervention ou l'approbation de l'autorité publique. Néanmoins presque toutes les décisions du Guidon concernant les contrats maritimes, ont été adoptées et converties en loi par l'ordonnance de la marine de Louis XIV de 1684, et ensuite par le Code du commerce actuel de la France 2.

Les dispositions de l'ordonnance de 1684 relatives aux lettres de marque ou de représailles en temps de paix, ne sont que la reproduction presque littérale de celles du Guidon de la mer sur le même sujet. Cette ancienne collection des us et coutumes de la mer s'exprime ainsi sur cette matière :

1

PÜTTER, Beiträge zur Völkerrechts – Geschichte, §§ 149 — 151. HALLAM, Middle Ages, vol. II, part. II, p. 247.

2 PARDESSUS, tome II, pp. 374, 372.

« PreviousContinue »