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lesquels elles étaient chargées 1. On peut également affirmer qu'avant le dix-septième siècle il n'y a point d'exemple de traité ou d'ordonnance qui rend libres les marchandises ennemies chargées à bord d'un bâtiment neutre, ou, en d'autres termes, qui consacre la maxime que le pavillon couvre la marchandise. Il n'y a même point avant le seizième siècle d'exemple d'ordonnance d'aucune puissance belligérante qui ait adopté la maxime que la robe d'ennemi confisque celle d'ami, et qui ait prononcé la confiscation des marchandises neutres chargées sur un vaisseau ennemi, ou même celle des bâtiments neutres chargés de marchandises ennemies 2.

Le même principe anti-social observé parmi les peuples de l'antiquité, qui regardaient les étrangers comme ennemis, et qui leur refusaient, à moins d'un pacte spécial, tout droit de protection sur le territoire d'un autre souverain, subsistait encore au moyen âge parmi les nations chrétiennes de l'Europe. D'après ce principe, les étrangers étaient exclus de tout droit de succession aux biens situés dans le territoire d'un autre état; ils ne pouvaient pas léguer leurs propres biens situés dans un autre pays, et même ces biens étaient confisqués au profit du souverain du lieu lorsqu'ils mouraient dans son territoire. Le droit d'aubaine, qui existait alors dans toute sa rigueur, a été depuis graduellement aboli parmi les nations les plus civilisées.

Droit d'aubaine.

naufrage.

Le droit qui s'était généralement introduit à l'époque dont Droit de nous parlons, de confisquer les débris des navires naufragés, les marchandises que la tempête portait sur le rivage, et quelquefois même de réduire les personnes des naufragés en captivité, a pris son origine dans le même principe barbare.

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1 PARDESSUS, tome II. Introd. pp. CXXI, CXXII, p. 303, Note 4. PUTTER, §§ 154-156

2 GROTIUS, De J. B. ac P., lib. III, ch. VI, § 6. Leoline Jenkins, vol. II, p. 720.

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Life of sir

Les propriétaires étrangers étant regardés comme denués de droit de protection de la part du souverain du pays, il s'ensuivait que leurs biens pouvaient être confisqués par lui, ou par le seigneur féodal auquel le souverain avait concédé ses droits'.

La législation des empereurs romains sur cette matière, également conforme à la justice et à l'humanité, était partout tombée en désuétude; on voit par la multiplicité des lois faites au douzième siècle pour abroger cet usage barbare, combien il était général; et le grand nombre des priviléges particuliers que les souverains accordaient, prouvent encore que ces lois étaient mal observées.

Dès le sixième siècle le code des Visigoths avait prononcé des peines contre quiconque pillait les naufragés; cependant l'usage de confisquer leurs effets et les débris de leurs navires existait encore en 1068 en Catalogne, où le code visigothique était la loi commune; puisque la coutume nommée Usatici, donnée à la ville de Barcelone par Raymond Bérenger, tendait à abolir cette confiscation. Cette coutume ne paraît pas avoir été exécutée, puisque Jacques Ier en 1343, et Alphonse III en 1286, furent obligés d'en renouveler les dispositions 2.

A l'époque où le grand Théodoric régnait sur une partie de l'Allemagne et de l'Italie, il avait proclamé des principes conformes à ceux de la législation romaine. Le concile de Latran avait en 1079 frappé d'anathème ceux qui spoliaient les naufragés, et dès 1172 une constitution impériale de Frédéric II contenait la même règle. Sans doute ces lois ne furent point exécutées, puisqu'une nouvelle constitution impériale devint nécessaire en 1224 3. Cette loi tomba encore en désuétude, et dans tous les pays où elle aurait dû étendre son influence,

1 ROBERTSON, Hist. Charles V, vol. Note XXIX.

2 PARDESSUS, Lois maritimes antérieures au XVII siècle, tome II, Introd. p. CXV.

3 Constit. Frederici II, § 9, ad calc. corp. Juris.

le fisc ou les habitants du rivage continuaient à s'approprier les effets naufragés 1.

Les constitutions du royaume de Sicile de 1213 avaient prononcé des peines contre ceux qui s'emparaient des effets jetés sur le rivage par la tempête, et ordonné que ces objets fussent rendus à leurs propriétaires 2. On voit cependant qu'en 1270, Charles d'Anjou, se fondant sur des lois plus anciennes, exerça le droit de confiscation, même contre des navires croisés 3. Son infortuné compétiteur, Conradin, le dernier des Hohenstauffen, avait en 1268 fait avec la république de Sienne un traité par lequel il renonçait au droit de naufrage 1.

Les mêmes contradictions se présentent dans les législations des républiques d'Italie. Un statut de Venise de 1232 défendait de s'emparer des biens des naufragés, à quelque nation qu'ils appartinssent, et punissait ceux qui les ayant recueillis, ne les rendaient pas dans les trois jours aux propriétaires. Cependant cette même république faisait avec saint Louis, roi de France, un traité pour l'abolition respective du droit de naufrage dans les deux états; et même en 1434 les magistrats de Barcelone étaient encore obligés de négocier avec ceux de Venise pour obtenir la même faveur 5.

En France, la voix de la religion et la sagesse de SaintLouis avaient essayé de mettre un terme à cette effroyable injustice. Cependant une ordonnance de 1277 prouve que le roi exerçait ce droit dans ses domaines, puisqu'il en affranchissait spécialement quelques étrangers. Il existait encore au commencement du douzième siècle dans le Ponthieu, sur les

1 MURATORI, Antiq. ital. medii ævi, tom. II, col. 44-48, 403. 2 Const. regni siculi, lib. I, tit. XVIII, ap. Concioni, tom. I, p. 343, 3 MURATORI, Rerum italic. script., tome VI, col. 554.

+ ROUSSET, Supplément au corps diplomatique, tome II, Part. I, p. 426.

5 PARDESSUS, Lois maritimes, tome II, Introd. p. CXVI.

5 IBID., Tome I, pp. 343-348.

côtes septentrionales de la France, et il n'y fut aboli qu'en 1191. Cet abus substitait encore dans cette province en 1345. Une ordonnance de cette date, monument fort curieux de législation en ce qu'il prescrivait la promulgation et l'exécution dans ce royaume de la constitution impériale de 1224, assura de nouveau aux naufragés la protection royale. Il y a quelque probabilité que la ville de Marseille ne tolérait point cette injustice dans le territoire soumis à ses magistrats, puisqu'en 1219 elle fit avec le comte d'Empurias un traité par lequel ce prince renonçait, en faveur des Marseillais, au droit de naufrage, moyennant quelques avantages qu'il recevait en retour. Si l'usage de confisquer les effets des naufragés eût été en vigueur à Marseille, la remise aurait été réciproque, et, dans le fait, on n'en trouve point de traces dans les statuts de cette ville '.

En Angleterre, Édouard le Confesseur avait prononcé l'abolition du droit de naufrage dès le onzième siècle. Les rois anglo-normands Henry Ier, Henry II et Richard Ier renouvelèrent ces dispositions; mais on peut citer, comme preuve que ces lois ne furent pas exécutées, les traités par lesquels les souverains d'Angleterre accordaient aux commerçants étrangers qu'ils voulaient favoriser, l'exemption de la confiscation pour naufrage, connue sous le nom de wreck. Cependant la rigueur de l'ancien usage fut modifiée sous Henry Ier; il fut alors ordonné que s'il se sauvait quelque personne ou même quelque animal vivant du vaisseau naufragé, le droit de confiscation ne devait pas avoir lieu. Enfin par l'acte du parlement d'Édouard III, chapitre 13, il fut ordonné que si le vaisseau périssait, pendant que les marchandises de sa cargaison étaient jetées à terre, celles-ci devraient être rendues aux propriétaires, moyennant une indemnité raisonnable pour le sauvetage 2.

1 PARDESSUS, Tome II, Introd., pp. CXVI. CXVII.

2 BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of England, vol. I, pp. 290-292.

Les constitutions impériales que nous avons déjà citées, et une loi spéciale pour l'Allemagne de 1195, n'empêchèrent pas que la confiscation des effets naufragés ne subsistât dans ce pays, puisqu'un grand nombre d'actes du treizième siècle en font remise à plusieurs villes.

La ligue anséatique fut la première parmi les états du nord de l'Europe qui réduisit l'ancien droit de confiscation en cas de naufrage à une simple perception pour le sauvetage des effets naufragés. Elle stipulait en même temps, par des traités en faveur de ses citoyens, le droit de réclamer la restitution, dans l'an et jour, de ces effets, quoique quelque personne ou quelque animal n'eût pas été sauvé du vaisseau naufragé. Cet exemple fut suivi par plusieurs états sur les côtes de la Basse Germanie, de la Frise, et des Pays-Bas. Cependant, ou ces mesures équitables n'étaient pas généralement établies, ou elles n'étaient pas appliquées à tous les peuples indifféremment, puisque des documents du quatorzième siècle attestent que des priviléges ou des traités étaient encore nécessaires pour obtenir l'abolition de la confiscation des effets naufragés. L'usage établi de s'en emparer, soit au profit des habitants du rivage, soit au profit du fisc, survécut à toutes ces sages et humaines dispositions. Il est même assez remarquable que sur les côtes de la Prusse on s'imaginait que ce droit barbare, étendu jusqu'au point de réduire les personnes en esclavage, était fondé sur la législation rhodienne. Dans quelques pays, on avait poussé l'abus jusqu'a feindre des naufrages sur terre, et à confisquer, par analogie, les objets qu'un accident atteignait en voyage, comme ceux que frappait la tempête. Les baillis de l'archevêché de Brême furent excommuniés par le pape Grégoire XI en 1375, jusqu'à ce qu'ils eussent renoncé à exercer le droit de naufrage sur cette partie des côtes de la mer du Nord. Au dix-septième siècle même, les ducs de Lauenberg se vantaient de leur modération en rédui

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