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férends avec l'Angleterre a été son refus de continuer plus longtemps cette traite inhumaine. Et dans le premier article de la constitution indépendante de la Virginie, « l'usage inhumain qui a été fait du droit de veto dans cette question » est indiqué comme une des causes de la séparation des colonies de la mère patrie '.

On ne nous taxera donc pas d'exagération, si nous affirmons que l'esclavage qui se trouve maintenant faire partie intégrale du système social des états méridionaux de la république des États-Unis, fut premièrement introduit dans ces états par la mère patrie, et que c'est elle aussi qui, par ses refus de concourir avec les assemblées de ces états aux mesures qu'elles proposaient pour y mettre un terme, a perpetué cette malheureuse institution dans cette partie de l'Amérique. Nous disons même plus, jamais l'esclavage n'aurait existé en Amérique, ou il aurait au moins été aboli par les colonies ellesmêmes, si l'Angleterre n'avait fait tant d'efforts pour l'y établir et l'y maintenir. Le premier cri qui s'est élevé contre ce trafic honteux est parti de la Pennsylvanie, et le grand apôtre de l'abolition en Angleterre avoue aussi que les premiers écrits qui donnèrent à sa secte religieuse l'impulsion qui lui a fait faire tant d'efforts contre la traite des noirs, furent publiés aussi dans la Pennsylvanie 2. Longtemps avant que Clarkson ne fût parvenu à éveiller en Angleterre quelque intérêt sur ce sujet, Antoine Benazet et une foule d'autres philanthropes américains l'avaient devancé dans cette voie.

A peine les colonies eurent-elles déclaré leur indépendance en 1776, que le congrès américain défendit l'achat d'esclaves amenés de l'Afrique. Cette assemblée n'avait pas alors le droit de prohiber légalement l'importation d'esclaves aux ÉtatsUnis, ou la traite entre l'Afrique et les colonies européennes des Indes occidentales; mais les gouvernements de la Virginie, 1 WALSH'S Appeal, p. 347.

2 Voyez CLARKSON, History of the abolition.

de la Pennsylvanie et des états de la Nouvelle-Angleterre ont adoptés des lois pour prohiber la traite et l'importation des nègres.

Lors de l'établissement de la constitution fédérale actuelle, le congrès obtint le pouvoir de défendre immédiatement la traite des noirs, et de prohiber, à partir du 1er janvier 1808, l'importation d'esclaves dans les états de l'Union américaine. L'abolition de la traite des noirs devint donc, à partir de ce moment, une des conditions fondamentales du gouvernement des États-Unis. Déjà, par une loi du 22 mars 1794, il avait été défendu aux citoyens américains de faire la traite sous peine d'amende, tandis que le gouvernement anglais ne s'occupa de cette question qu'en 1807, par un acte du parlement qui défendait à tout vaisseau anglais de sortir des ports de l'Angleterre pour faire la traite, à partir du 1er mai de cette année, et à tout vaisseau de débarquer des esclaves dans les colonies anglaises, à partir du 1er janvier de l'année suivante, 4808.

Le Danemark abolit, en 1792, et la traite des noirs, et l'importation d'esclaves dans ses colonies. Cette loi devait avoir son effet à partir de l'année 1804. Ainsi donc l'Amérique précéda toutes les nations dans l'abolition de l'esclavage, et pour la prohibition d'importation ne fut devancée que par le Danemark.

La prohibition américaine eut son effet. Elle fut soutenue par la sanction pénale contenue dans les lois à ce sujet, et par une force navale qui devait surveiller les côtes. Plus tard les opérations de cette force navale furent étendues aux mers africaines et des Antilles.

Le 20 avril 1848, un acte additionnel fut publié pour augmenter les peines prescrites par la loi précédente, et en 1819 une loi nouvelle du congrès décida que l'importation d'esclaves serait punie de mort.

Plus tard, la traite des noirs fut déclarée un acte de piraterie,

par une loi du congrès du 15 mai 1820. Il ne faudrait pas cependant confondre cette espèce de piraterie avec l'idée que le mot entraîne ordinairement d'après le droit des gens; le congrès, par cet acte, ne voulait que déclarer que la traite serait punie de la même manière que la piraterie.

En fait, peu d'esclaves ont été importés aux États-Unis depuis que cette importation a été défendue par les lois. L'opinion publique, si fortement prononcée contre cette traite cruelle, l'intérêt même des états du midi de l'Union, dont la population nègre s'accroît déjà avec une effrayante rapidité, ont stimulé le zèle des commandants des forces navales et des autorités chargés de veiller à ce que la traite ne se fasse point. Si leurs efforts n'ont pas toujours réussi à mettre un terme à ce que cette traite a de houteux pour l'humanité, il faut l'attribuer aux mêmes causes qui ont fait échouer les efforts des autres gouvernements dans la même voie. En Angleterre la question de l'abolition de l'esclavage ne parvint que difficilement à entraîner en sa faveur l'opinion publique. Nous avons déjà vu combien d'intérêts puissants, tant politiques que commerciaux, s'opposaient à ce projet. Le bill d'abolition, soutenu avec tant de vigueur par Wilberforce dans la chambre des communes, et adopté en 1804, grâce à ses efforts, fut rejeté par la chambre des pairs, et proposé de nouveau l'année suivante à la chambre des communes, et rejeté par elle. Il fut enfin adopté sous le ministère de la coalition de M. Fox et de lord Grenville, qui, quoique ennemis politiques depuis la rupture avec la France en 1793, n'en restaient pas moins unis comme partisans de l'abolition. Ce ministère, qui était d'un heureux augure pour la cause de l'abolition, ne survécut pas longtemps à M. Fox. Son collègue, lord Grenville, eut à peine le temps de faire adopter le bill avant la chute de son ministère. Clarkson dit que quoique le bill eût été adopté par les deux chambres, on craignait encore que le roi n'y donnât point son assentiment.

Cette crainte était apparemment fondée, puisque lord Brougham nous dit : « La cour était décidement opposée à l'abolition. George III regarda toujours avec défaveur cette question, parce qu'elle sentait l'innovation, et l'innovation dans une partie de son empire à laquelle étaient attachés ses préjugés les plus chers, les colonies! Les courtisans prirent, selon leur habitude, leur couleur de celle de leur maître. Les pairs furent du même avis 1.»

Cette mesure reçut enfin la sanction royale, et tant que dura la lutte de l'Angleterre avec ses ennemis du continent, elle fut maintenue en vigueur à l'égard des nations neutres (à l'exception du Portugal), au moyen du droit de visite belligérant. La guerre même empêchait la France, l'Espagne et la Hollande, de prendre part à ce commerce. Le cabinet éclairé qui gouvernait l'Angleterre en 1806 prévoyait que même si la traite était abolie, cette puissance se trouverait dans la nécessité de rendre, à la fin de la guerre, les colonies qu'elle avait enlevées à ses ennemis, la France, l'Espagne et la Hollande. Dans la négociation que M. Fox entama en 1806 pour obtenir la paix, on tenta d'intéresser la France à l'abolition de la traite. Lord Lauderdale, l'ambassadeur chargé de cette négociation, dit, en en rendant compte au parlement, que les ministres français M. de Champagny et M. le général Clarke lui avaient répondu «< que l'Angleterre, dont les colonies étaient pleines de nègres et dont les revenus étaient si considérables, pouvait sans inconvénient abolir la traite, tandis que la France, dont les colonies étaient moins peuplées et dont les produits rapportaient beaucoup moins, ne pouvait l'abolir sans faire de grandes pertes 2. »

En 1808, l'Espagne et le Portugal réclamèrent la protection de l'Angleterre contre l'invasion de Napoléon, avec des circonstances qui semblaient favorables à l'adhésion de ces deux

1 BROUGHAM, Statesmen who flourished in the reign of George III, p. 154. (édit. de Paris.)

2 COBBET'S Parliamentary debates, 1807, vol. VIII.

pays aux mesures nécessaires pour mettre un terme à la traite. Du moment où l'Angleterre avait renouvelé ses relations d'amitié avec l'Espagne, elle ne pouvait plus soumettre les bâtiments de cette puissance au droit de visite belligérant, car on n'avait pas encore inventé alors la distinction récente de ce droit d'avec un droit de rechercher ou d'examiner les papiers et l'armement d'un bâtiment, pour savoir s'il fait la traite ou non. Quant aux bâtiments portugais, on ne pouvait pas non plus exercer contre eux le droit de visite, parce que, par un traité qui était encore en vigueur, ce pays s'était exempté de ce droit. Des raisons politiques empêchèrent le cabinet britannique (1808-1809) de présenter au cabinet espagnol des remontrances contre la traite faite sous son pavillon. «Il eût été imprudent, dit M. Canning à la chambre des communes, de prendre un ton impérieux avec l'Espagne, lorsque cette puissanee se trouvait dans un état si malheureux; des remontrances sur ce sujet entraîneraient un ton d'autorité qui paraîtrait insultant. » Mais avec le Portugal, cet état faible et dépendant, on prit en effet ce ton abolu; et par un ordre du conseil, il fut décrété que les croiseurs anglais devaient amener dans les ports de l'Angleterre, pour les y faire juger, tous les bâtiments portugais qui conduisaient des esclaves dans des lieux non soumis à la couronne portugaise. Cependant la traite augmentait toujours à l'ombre des pavillons espagnol et portugais. Le 19 février 1810, deux traités, l'un d'alliance et l'autre de commerce, furent signés entre la GrandeBretagne et le prince-régent de Portugal, qui s'était réfugié à Rio-Janeiro pour échapper à l'invasion française. Par l'article 10 du premier de ces traités, le prince-régent s'engageait à défendre à ses sujets de faire la traite en Afrique, excepté dans les parties qui lui étaient soumises. La Grande-Bretagne, de son côté, consentait à tolérer la traite dans les possessions portugaises en Afrique, à cause de quelques avantages qui lui étaient accordés par le traité de commerce, et dont le plus

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