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important était l'abolition d'une stipulation contenue dans le traité conclu en 1654 entre le Portugal et Cromwell, stipulation qui assurait au Portugal le maintien du principe de vais} seaux libres, marchandises libres. La Grande-Bretagne s'assurait ainsi le droit de visite sur les vaisseaux portugais comme sur ceux des autres puissances 1. Cependant, malgré l'exercice de ce droit contre toutes les puissances neutres, les rapports annuels de l'Institution africaine de Londres montrent jusqu'à l'évidence que la traite, interdite aux Anglais et aux Américains, par les lois respectives des deux nations, aux ennemis de l'Angleterre par les événements de la guerre, et en partie à ses alliés par des conventions spéciales, continuait à se faire jusqu'à la paix générale de 1814, non-seulement par des bâtiments espagnols, portugais et suédois, mais par des bâtiments anglais équipés dans les ports de Londres et de Liverpool, avec des pavillons étrangers, mais au compte de marchands anglais 2.

Les stipulations du traité de 1810 entre l'Angleterre et le Portugal ne servaient guère la cause de l'abolition, puisque c'était surtout aux possessions de l'Afrique au midi de l'Équateur que l'on avait recours pour fournir des victimes à ce commerce odieux. La Suède s'occupa bientôt, à son tour, de travailler à l'abolition. L'ile de la Guadeloupe, conquise par l'Angleterre sur la France, fut cédée à la Suède, à la condition que l'importation d'esclaves dans cette colonie et dans les autres possessions de la Suède serait défendue. Par le traité de Kiel du 14 janvier 1814, le Danemark, qui avait défendu l'introduction d'esclaves dans ses colonies longtemps avant que l'Angleterre eût adopté une mesure semblable, stipulait la prohibition générale de la traite à ses sujets 3.

Louis XVIII, qui avait déclaré qu'il devait sa restauration à la

1 Schoell, Histoire abrégée des traités de paix, tom. X, pp. 42—45. Reports of 1810, 1844, 4812 and 1843.

3 SCHOELL, Histoire des traités de paix, tom. I, pp. 177–178.

providence et au prince-régent d'Angleterre, fut bientôt prié de montrer sa reconnaissance en défendant à ses sujets de faire la traite. Il consentit à défendre immédiatement aux étrangers d'importer des esclaves dans les colonies françaises, mais demanda un délai de cinq ans pour ses propres sujets, afin de leur donner le temps de se mettre sur un pied d'égalité avec les colonies anglaises'. Aussi ce fut en vain que le gouvernement anglais essaya d'obtenir de la France la prohibition immédiate de la traite, en offrant une somme d'argent ou la cession d'une de ses colonies aux Antilles 2.

Le gouvernement hollandais, par un décret du 15 juin 1815, défendit à ses sujets de faire la traite; mais cette prohibition ne s'étendit pas alors aux colonies des Pays-Bas, puisqu'elles étaient encore, par l'effet de la conquête, sous la domination de l'Angleterre. Par la convention du 13 août 1845, la Hollande racheta ses colonies, à l'exception du Cap de Bonne-Espérance et de la Guiane hollandaise, par la prohibition générale de la traite des noirs et de l'introduction d'esclaves dans les colonies rentrées sous la domination du gouvernement hollandais 3.

Le duc de Wellington, nommé de nouveau ambassadeur à Paris après la seconde restauration des Bourbons, fut chargé de proposer la prohibition de l'importation des denrées coloniales des pays qui n'auraient pas encore aboli la traite des noirs. Cette proposition fut rejetée par le gouvernement français, et toute l'affaire fut renvoyée au congrès de Vienne'.

Pendant les négociations qui aboutirent au traité signé Madrid, le 5 juillet 1814, entre l'Angleterre et l'Espagne,

1 SCHOELL, tom. XI, p. 178.

2 Quint report of the directors of the african institution.

3 SCHOELL, tom. X, p. 536, XI, p. 179.

4 IBID., tom. XI, p. 181. Dans le premier article additionnel du la traité de Paris du 30 mai 1814, il avait déjà été convenu que France et la Grande - Bretagne feraient de communs efforts pour mettre un terme à la traite des noirs. (MARTENS, Nouveau recueil, tom. VI, p. 14.)

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l'ambassadeur anglais, sir Henry Wellesley (actuellement lord Cowley), essaya de faire entrer dans ce traité un article, par lequel l'Espagne défendrait à ses sujets et la traite des noirs en général, et l'introduction d'esclaves dans les colonies espagnoles; mais il ne put obtenir que la prohibition de la traite avec les pays étrangers. Le duc de San-Carlos, en effet, fit observer au négociateur anglais que lorsque l'Angleterre abolit la traite, la proportion des noirs aux blancs dans ses colonies était comme de 20 à 1, tandis que dans les colonies espagnoles les blancs étaient aussi nombreux que les noirs; qu'il avait fallu vingt ans à l'Angleterre pour arriver à l'abolition de la traite, puisque la question avait été agitée dans la chambre des communes dès 1794, et que par suite il ne serait pas raisonnable de demander à l'Espagne l'adoption subite d'une mesure qui serait fatale à ses colonies. Après que le traité eut été signé, lord Cowley essaya de faire céder le gouvernement espagnol sur un point si important à l'Angleterre, en offrant à ce gouvernement de continuer à lui donner les secours pécuniaires que l'état déplorable des finances. espagnoles semblait rendre nécessaires. D'après ses dépêches, il faut conclure que cette dernière tentative demeura aussi sans effet '.

Lord Castlereagh eut plus de succès auprès du gouvernement portugais, car ses négociations avec cette puissance se terminèrent par deux conventions, signées à Vienne le 21 et 22 janvier 1815, par lesquelles l'Angleterre obtint, moyennant une indemnité en argent, la prohibition de la traite aux Portugais sur la côté occidentale de l'Afrique au nord de l'Équateur 2.

Nous arrivons maintenant, dans l'esquisse rapide que nous avons essayé de tracer des progrès de l'abolition de la traite des noirs, à l'époque mémorable du congrès de Vienne. Ce

1 SCHOELL, Recueil des pièces officielles, tom. VII, pp. 140, 143, 174.

2 MARTENS, Recueil des traités, tom. XIII, p. 93.

congrès ne s'occupait pas à retablir l'équilibre des puissances dans les colonies, et à renouveler des stipulations en faveur des droits maritimes des neutres qui faisaient partie du droit public de l'Europe depuis la paix d'Utrecht jusqu'à la révolution française. Dans les négociations pour la paix entre la république française et l'Angleterre, entamées à Lille en 1796, lord Malmesbury, le négociateur anglais, proposa de renouveler cette stipulation, qui était répétée dans tous les traités de paix depuis la paix d'Utrecht. Cette proposition fut rejetée par le Directoire. Sans doute si, de part et d'autre, on avait sincèrement désiré la paix, on aurait plus sagement médité cette question; l'Angleterre aurait vu combien peu cette sti pulation pouvait comprimer l'ambition de la France, et de son côté la France aurait compris que la reconnaissance de la part de l'Angleterre du principe, vaisseaux libres, marchandises libres, était bien plus importante pour elle que les déductions que l'on pouvait tirer du renouvellement des stipulations de la paix d'Utrecht, pour ce qui concernait l'équilibre continental de l'Europe. On ne pouvait guère attendre des souverains assemblés à Vienne, qui devaient tant de reconnaissance à l'Angleterre pour ses efforts constants contre « l'ennemi commun de l'Europe, » qu'ils s'occupassent de réprimer l'immense ascendant qu'avait pris cette puissance pendant la guerre, ascendant qu'elle avait eu soin de s'assurer par des conventions spéciales avec les puissances maritimes naguère ses ennemies. On ne pouvait pas non plus croire qu'ils refuseraient d'accorder à l'Angleterre toute concession en faveur de ses intérêts coloniaux, si toutefois cela ne nuisait pas aux intérêts des autres états de l'Europe qui ne possédaient pas de colonies. On devait d'autant plus s'attendre à ce que cette concession serait accordée, qu'on la demandait au nom de l'humanité et de la cause sacrée qui depuis si longtemps déjà intéressait le monde chrétien. Ce qu'il y a donc d'étonnant, c'est que le lord Castlereagh n'obtint du congrès que la déclaration du 15 fé

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vrier 1815, qui dénonçait la traite des noirs comme «< opposée aux principes d'humanité et de la morale universelle, » et qui laissait en même temps à chaque état la liberté de déterminer pour lui-même l'époque à laquelle il abolirait la traite. Cependant cette déclaration ne fut pas acceptée par toutes les puis=sances: l'Espagne et le Portugal refusèrent absolument d'écouter la proposition qui avait déjà été faite à Paris, à savoir que si l'on continuait dans un état la traite au-delà du délai réclamé par la stricte nécessité, un tel acte serait puni par la défense d'importer, dans les états qui avaient des réprésentants au congrès de Vienne, les denrées de toutes les colonies où la traite était encore tolérée; il était de plus ajouté que ces états ne permettraient que l'entrée des produits des colonies où la traite est regardée comme illégale, ou, comme le dit le protocole, « ceux des vastes régions du globe qui fournissent les mêmes produits par le travail de leurs propres habitants 1. »

Les ministres d'Espagne et de Portugal déclarèrent que l'adoption d'un pareil système motiverait des représailles de la part des états auxquels il serait appliqué; ils alléguèrent dailleurs, pour justifier la continuation de la traite dans leurs colonies, que pendant le laps de temps écoulé depuis la première proposition en faveur de l'abolition dans le parlement anglais jusqu'à l'adoption de cette mesure, les colonies de cette puissance s'étaient remplies d'esclaves, tandis que celles de Cuba et de Porto-Rico n'avaient pu pendant la guerre augmenter leur population noire, et que les vastes contrées du Brésil demandaient encore annuellement de nouveaux esclaves des côtes de l'Afrique pour les cultiver.

Lord Castlereagh ne put donc obtenir l'abolition immédiate, ni même abréger la période pendant laquelle la France, l'Espagne et le Portugal auraient le droit de faire la traite. La

1 SCHOELL, Histoire des traités de paix, tom. X, pp. 187-188.

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